Algérie: crise politique et lutte de classe

(«le prolétaire»; N° 533; Juin - Juillet - Août 2019)

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Le 12 juillet l’Algérie a connu son 21e vendredi (jour férié dans le pays) de manifestations; en dépit de la chaleur torride encore une fois des centaines de milliers de personnes sont sorties dans les rues pour demander la fin du «système» politique en place.

Ni les maigres gestes d’«ouverture» du pouvoir (comme la nomination pour la première fois d’un député d’opposition à la présidence du parlement après la démission du président précédent, ou ses appels au dialogue), ni la répression et les manoeuvres de division des manifestants (arrestations de porteurs du drapeau berbère, etc.), n’ont eu les effets escomptés.

Les autorités ont été contraintes d’annuler les élections présidentielles qui auraient dû avoir lieu le 4 juillet, aucun candidat sérieux n’osant se présenter, tant étant généralisé parmi la population le discrédit du mécanisme électoral, après tant d’années de trucage éhonté – dont la candidature de la momie Bouteflika, incapable de parler depuis deux ans, n’a été que l’ultime expression.

La crise politique a déchiré le mince voile démocratique, démontrant s’il en était besoin que la réalité ultime du pouvoir bourgeois est concentrée au niveau de l’état-major suprême de l’armée. Il y a bien un gouvernement provisoire qui expédie les affaires courantes (mais dont parfois les ministres sont expulsés des locaux officiels par les employés!), mais les décisions importantes, y compris au niveau judiciaire, sont prises par les chefs militaires. La décision de retirer la candidature Bouteflika pour tenter d’apaiser la colère a fait éclater l’unité apparente de ce que l’on appelait le «clan présidentiel», révélant au grand jour la férocité des luttes entre diverses fractions bourgeoises.

Le chef d’état-major Gaïd Salah a fait arrêter celui qui passait pour être l’homme fort du régime, Said Bouteflika, frère de l’ancien président, ainsi que l’ancien chef de la redoutable sécurité militaire, le général Tewfik, tous deux accusés de «comploter» contre lui, en même temps que d’autres personnalités. Louisa Hanoune, dirigeante du PT (trotskyste lambertiste), qui avait participé à des réunions discrètes avec ces personnages alors même qu’elle essayait de faire oublier ses compromissions passées avec le pouvoir en multipliant les déclarations contre le «système», a fait partie de la même charrette.

Présentant ses arrestations comme une opération de lutte contre la corruption, Gaïd Salah a voulu se donner une image d’homme à l’écoute des attentes de la population afin de clore au plus vite la crise politique avec des élections présidentielles. Cette grossière manoeuvre ayant échoué, il s’est dit partisan d’un dialogue réunissant «la classe politique, la société civile et les personnalités nationales»., pour préparer au plus vite des «élections démocratiques», dans le cadre constitutionnel.

L’opium démocratique est une arme formidable aux mains de la bourgeoisie pour résoudre une crise politique: mais pour qu’il fonctionne, il y a un certain nombre de conditions qui ne sont pas remplies actuellement, comme l’existence de partis bourgeois influents et la confiance dans l’impartialité du système politique en place. C’est la raison pour laquelle certains courants préconisent sous une forme ou une autre une assemblée constituante pour reconstituer un système politique crédible aux yeux des masses.

Mais les appels au dialogue des chefs militaires, conjugués à la crainte que la crise politique débouche sur une situation dangereuse qui verrait les prolétaires et les exploités lassés des habituelles manifestations pacifiques, se lancer dans des luttes directes contre les capitalistes et leur Etat, comme cela a déjà lieu ponctuellement, poussent les organisations réformistes à faire leur possible pour fournir une issue à la situation d’incertitude actuelle.

 

Un Pacte de défense du capitalisme national

 

C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les réunions qui ont abouti finalement à un «Pacte pour une véritable alternative démocratique», signé par la Ligue des droits de l’Homme, les néo-staliniens du MDS, l’UCP (centristes), le RCD (démocrates), le FFS (parti kabyle), les syndicats autonomes, les trotskystes du PT et du PST, des économistes, des avocats, des associations féministes (1).

Rien d’étonnant donc si ce pacte ne dépasse pas d’un iota l’horizon crassement bourgeois de la réforme du système. Se terminant par le slogan «Vive l’Algérie libre et démocratique», il se donne comme objectif l’instauration d’un «Etat de droit démocratique» et la «souveraineté du peuple», la «consécration» du rôle de l’Etat pour le «développement national», la lutte contre «le bradage des richesses nationales», etc. On y trouve sans doute les revendications de la libération des tous les détenus, de l’égalité en droits entre les hommes et les femmes et de l’arrêt de la répression contre les militants politiques et syndicaux, mais aucune autre revendication sociale: les conditions de vie et de travail des prolétaires n’étaient pas à l’ordre du jour!

 Ces gens-là veulent ignorer l’existence des classes sociales aux intérêts opposés; ils se félicitent donc du caractère «unitaire» du mouvement «populaire»; redoutant la lutte de classe, ils saluent le pacifisme des manifestations comme un signe de «la maturité politique des populations». En bref ce pacte pour une alternative démocratique n’est qu’un pacte pour la défense du capitalisme national.

Le PST a justifié sa participation à une initiative qu’il reconnaît «interclassiste» par les besoins de la lutte pour la «libération des détenus et la levée de toutes les entraves aux libertés démocratiques», nécessitant d’«élargir la brèche démocratique» (2). Il est difficile de comprendre ce qu’il signifie par-là: se mettre à la remorque de partis démocratiques bourgeois qui veulent stériliser les éventuelles luttes prolétariennes, n’est pas le meilleur moyen d’élargir des brèches! Mais l’explication se trouve un peu plus loin: «La seule solution contre la répression est bien l’élection d’une assemblée nationale constituante, avec des délégués, des élus».

Cette émouvante profession de foi démocratique démontre que le PST est complètement noyé dans l’idéologie démocratique: il est donc parfaitement à sa place dans ce rassemblement de démocrates bourgeois soucieux avant tout des intérêts du capitalisme algérien!

 En janvier 1936, après que le POUM espagnol eut signé, sous prétexte de la lutte pour la libération des prisonniers politiques, un accord dit de «Front Populaire» avec le PS, le PC et des partis bourgeois de gauche, Trotsky répliqua sèchement aux chefs de ce parti qui se réclamaient de lui: «je n’ai jamais enseigné la trahison politique à personne» – l’initiative du POUM n’étant rien d’autre selon lui qu’«une trahison du prolétariat dans l’intérêt d’une alliance avec la bourgeoisie». Invariance de l’opportunisme!

Toutes choses égales par ailleurs, le PST se situe dans la continuité du POUM en renonçant à l’indépendance de classe du prolétariat; la seule chose que l’on pourrait dire en sa «faveur» étant, qu’à la différence du POUM, il n’a jamais prétendu être fidèle à cette indépendance de classe!

Pendant que les démocrates bourgeois et petits bourgeois s’activent, les chefs militaires travaillent, semaine après semaine, à concentrer tous les moyens de coercition de l’appareil d’Etat pour les soumettre leur contrôle exclusif. Les juges répondent au doigt et à l’oeil à leurs desiderata, distribuant «en leur âme et conscience» des peines de prison contre des manifestants. Dernier exemple en date: l’arrestation de deux universitaires de Tlemcen le 10/7 sous l’accusation d’«atteinte au moral de l’armée» pour avoir critiqué les chefs militaires lors de conférences.

Les prolétaires ne doivent pas s’y tromper; même si la répression actuelle ne se situe pas au niveau de ce qui se passe par exemple au Soudan et si la recherche d’un compromis avec des courants politiques d’opposition est aujourd’hui prioritaire, les chefs militaires n’hésiteront pas utiliser s’il le faut tous les moyens pour défendre et stabiliser l’ordre bourgeois; ils l’ont fait dans le passé, ils le referont demain.

Devant une telle perspective les déclarations des démocrates pour un Etat de droit ou les discours sur une brèche démocratique ne sont que de la poudre aux yeux.

 Une seule force est capable de briser les forces de répression de l’Etat bourgeois et cet Etat lui-même: le prolétariat, dès lors qu’il se situe sur des positions de classe et retrouve ses armes et son organisation de classe.

Il n’y a pas de tâche plus importante que de travailler à cette alternative, en Algérie comme ailleurs.

15/07/2019

 


 

(1) https://www.pst-algerie.org/pacte-politique-pour-une-veritable-alternative-democratique/

(2) Interview de M. Rachidi, secrétaire général du PST, sur la radio RAJ, 27/6/2019.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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