Gouvernement et appareils syndicaux contre la grève

(«le prolétaire»; N° 535; Décembre 2019 / Janvier 2020 )

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Au moment où nous écrivons, le mouvement de lutte contre la réforme des retraites entre dans sa cinquième semaine. La détermination et la combativité des travailleurs qui était évidente dès la journée de grève à la RATP le 13 septembre ou lors des grèves «sauvages» de conducteurs à la mi-octobre à la suite d’un accident suivie de celle du technicentre de Châtillon, expliquent la longueur du conflit.

C’est cette combativité qui poussa le syndicat corporatiste UNSA à déposer un préavis de grève pour le 5 décembre. L’UNSA est un syndicat collaborationniste jusqu’au bout des ongles; il est qualifié de syndicat «majoritaire» à la RATP, car d’après le résultat des élections professionnelles, il est devant la CGT en termes de «représentativité»; mais il a obtenu en fait pratiquement le même nombre de voix que la CGT (30,19% des voix contre 30,11). Et surtout ces élections ont été marquées par une forte baisse de la participation au scrutin: 45% de votants contre 65% aux élections précédentes. Cette désaffection était le signe de la perte de confiance dans les syndicats d’une part croissante des 45 000 employés de la RATP.

En fixant une date lointaine, proche des vacances de fin d’année, l’UNSA choisissait la plus mauvaise date pour un conflit prolongé et laissait tout le temps au gouvernement et à la direction pour se préparer, tout en démontrant sa «combativité» aux yeux des travailleurs de base. Les autres syndicats à la RATP puis à la SNCF se rallièrent en quelques jours à cette décision et finalement l’intersyndicale décida de faire du 5/12 une «journée d’action» nationale, avec la participation d’autres secteurs, en particulier les enseignants.

La journée fut un succès incontestable aussi bien par le nombre de grévistes que celui des manifestants, aux dires même de la police et des directions patronales. Il ne restait plus à l’intersyndicale que de répéter sur tous les tons sa détermination à obtenir le retrait de la réforme, tout en s’efforçant de saboter le mouvement.

Le gouvernement ne s’y trompait pas; de nombreux témoignages indiquent qu’il redoutait avant tout un mouvement «incontrôlé», c’est-à-dire échappant au contrôle des appareils syndicaux collaborationnistes. Estimant que ce n’était pas le cas, le premier ministre dévoila le contenu de la réforme contenant l’allongement de l’âge pivot. On eut alors la comédie de la colère de Laurent Berger, le dirigeant de la CFDT, qui pendant quelques jours fut même sacré par les médias «opposant n°1» au gouvernement!

 

Meeting unitaire des adversaires de la lutte de classe

 

Entre-temps, à l’invitation du PCF, tous les partis de gauche et d’extrême gauche ainsi que la CGT et Solidaires, participaient à un meeting commun le 12/12 pour la première fois depuis longtemps: non seulement le PS et ses dissidents de Benoît Hamon, la France Insoumise et les Verts mais aussi le NPA et Lutte Ouvrière avaient répondu à l’appel du PC «une autre réforme des retraites est possible». Cette réunion avait valeur de symbole: à côté des partis de gauche qui ont géré loyalement les affaires du capitalisme lorsqu’ils étaient au gouvernement, ou qui, comme le PS, ont été les auteurs d’attaques anti-ouvrières d’ampleur, siégeaient la même tribune des organisations qui se prétendent révolutionnaires! Sur son journal, LO a justifié ainsi sa participation: «Dans les grèves et dans les manifestations, de nombreux militants de différentes organisations de gauche et d’extrême gauche se battent côte à côte. Il s’agissait d’affirmer la présence de Lutte ouvrière dans ce mouvement et sa pleine solidarité avec les travailleurs en lutte contre la réforme des retraites» (1).

Donc sa présence dans ce meeting avait pour but d’affirmer la solidarité avec les travailleurs en lutte. Mais une véritable solidarité prolétarienne ne passe pas par un rapprochement avec des partis effectivement anti-ouvriers; elle commence au contraire par mettre en garde les travailleurs contre ces faux amis et ne pas leur faire croire que ceux-ci se battent avec eux: s’ils se battent, c’est contre eux!

Nous avons là une manifestation éclatante du suivisme congénital des organisations de la dite «extrême» gauche vis-à-vis des forces collaborationnistes, de ce qu’on appelait à l‘époque de Lénine l’«opportunisme» politique et syndical. En dépit de tous leurs discours, ces organisations ne sont que les flanc-garde des grands appareils contre-révolutionnaires qu’elles ne critiquent de temps à autre que pour mieux ramener dans le giron du collaborationnisme les prolétaires qui tendent à s’en écarter.

La CFDT rejoignit donc le mouvement, mais sur ses propres bases, sans intégrer l’Intersyndicale, car elle soutenait et soutient toujours les grandes lignes de la réforme. Ce ralliement lui permit de recoller à ses adhérents (principalement à la SNCF) et surtout d’essayer de casser la mobilisation en appelant quelques jours plus tard avec l’UNSA et d’autres syndicats dits «réformistes» à une «trêve de Noël».

De son côté, après le succès de la journée du 17 décembre, l’intersyndicale refusa avec indignation cet appel une «trêve»: il est vrai que devant la réaction des prolétaires l’UNSA-RATP et la CFDT Cheminots désavouaient leurs dirigeants nationaux. Mais l’intersyndicale organisait une trêve de fait en repoussant toute initiative nationale au 9 janvier!

C’était clairement abandonner les grévistes à leur sort, au moment où en plus les syndicats se précipitaient pour aller écouter le premier ministre leur redire qu’il n’avait aucune intention de modifier le projet...

Les déclarations de Martinez le premier janvier, selon lesquelles il faut «des grèves partout» ne sont bien entendu que de la poudre aux yeux, alors qu’il déclare en même temps qu’il va discuter avec le premier ministre le 7 janvier et que surtout la CGT s’est employée à laisser isolés les grévistes.

 

SUD contre l’organisation indépendante de classe des grévistes

 

Devant le mécontentement des grévistes face au lâchage de l’intersyndicale, les organisations syndicales appelèrent à mettre sur pied des actions locales, censées entretenir la mobilisation jusqu’au 9 janvier, alors que cela ne servait qu’à disperser les forces du mouvement. Le syndicat SUD (Solidaires) joua un rôle particulièrement nocif. Clamant sur tous les tons que la grève devait «appartenir aux grévistes», appelant à une «semaine noire» pour le gouvernement entre Noël et le Jour de l’an, en région parisienne, il critiquait les décisions de l’Intersyndicale.

Mais il liait dans les faits le sort des grévistes aux décisions de cette intersyndicale – dont il fait partie! SUD a participé à la création de la coordination francilienne des grévistes de la RATP et de la SNCF, initiative largement souhaitée par les travailleurs et il est la force dominante dans cette coordination. Le communiqué du 27/12 est éclairant sur le sens qu’il lui donne. Il est intitulé «Après avoir montré qu’il n’y aurait pas de trêve, la base veut la généralisation de la grève!». On y explique «le sens même de cette coordination»: «(...) elle ne vise pas à remplacer ni à s’opposer aux syndicats, mais au contraire [?] à ce que ce soient les grévistes eux-mêmes qui aient la main sur leur mouvement». Qu’est-ce que cela veut dire? «En tant que grévistes depuis le 5 décembre, de tous syndicats confondus et non-syndiqués, nous exigeons que les directions des confédérations syndicales, qui pour certaines semblent aussi être parties en vacances, de mettre tous leurs moyens au service de la poursuite et de la généralisation du mouvement».

Donc la coordination remet le sort de la grève aux directions des Confédérations; c’est après tout logique quand on a refusé de prendre leur place à la tête du mouvement. Et la position de SUD, qui est notamment dirigé, ce n’est un secret pour personne, par des militants du NPA, est également logique pour un syndicat qui, lors de la grève des cheminots de Châtillon, avait choisi le «dialogue social» au détriment de la solidarité de classe.

 

La seule solution: l’organisation de classe indépendante

 

Ce sont les faits qui le démontrent une nouvelle foi: la détermination et la combativité des grévistes ne sont pas suffisantes. Si la direction du mouvement reste entre les mains des appareils syndicaux et des directions adeptes du dialogue social, la lutte est condamnée. Lors de ce mouvement on a vu apparaître une tendance à la formation de comités de grève et, en région parisienne, d’une «coordination» des grévistes. Ce sont des signes d’une aspiration d’une partie au moins des travailleurs en lutte, mécontents de l’attitude des directions syndicales, d’être davantage partie prenante du conflit.

Mais ces initiatives sont condamnées à l’impuissance si elles se cantonnent à faire pression sur les directions syndicales en espérant qu’elles feront ce qu’elles ne veulent ni ne peuvent faire: initier une véritable lutte de classe. Tant que les travailleurs n’auront pas la force de prendre réellement en mains la lutte, de l’organiser et de la diriger indépendamment des pratiques défaitistes du collaborationnisme, en utilisant les moyens et les méthodes de la lutte de classe, ils ne connaîtront que des défaites.

 

Contre les orientations et les méthodes du dialogue social, retour aux orientations et aux méthodes de classe!

Pour l’organisation de classe indépendante de toute influence bourgeoise et collaborationniste!

 

2/01/2020

 


 

(1) Lutte Ouvrière n°2680, 11/12/19

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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