Le virus du réformisme (suite)

(«le prolétaire»; N° 537; Mai-Juin-Juillet 2020 )

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Dans le «supplément Covid au Prolétaire» nous avons dénoncé la propagande profondément réformiste du NPA qui n’a (et n’a jamais eu) aucune perspective révolutionnaire à proposer.

Il n’est pas le seul dans ce cas. Son rival dans le marais du trotskisme électoraliste, Lutte Ouvrière, ainsi que ses courants internes, tous plus révolutionnaires en paroles les uns que les autres, n’ont pas grand-chose d’autre à offrir.

LO pointe du doigt à juste titre la nature criminelle du capitalisme et de sa loi du profit ; mais cela reste à une dénonciation de pure forme dans la mesure où elle ne s’accompagne que de lamentations réformistes. LO reprend en particulier un des mots d’ordre classiques du trotskisme : le «contrôle ouvrier» : «Aux travailleurs d’imposer leur contrôle» affichait en une l’hebdomadaire du 29 avril, qui reprenait en éditorial leur bulletin d’entreprise titrant «Le contrôle ouvrier, une nécessité vitale». Le journal écrit : «il n’y a pas de fatalité à ce que les travailleurs perdent leur salaire, leur emploi, voire leur vie dans cette crise ! Ils ont à se protéger tout à la fois du coronavirus et de la domination patronale» Très bien ! Mais il ajoute aussitôt : «Cette lutte dépend de leur capacité à s’organiser pour imposer le contrôle ouvrier sur les décisions patronales». Ce «contrôle ouvrier» consisterait à «surveiller et vérifier la réalité des mesures prises» et doit «s’imposer» à «l’échelle de l’entreprise et (...) aussi à l’échelle de la société».

Lutter pour imposer un contrôle sur les décisions des patrons ? Pour surveiller s’ils respectent bien les mesures décidées par l’Etat ? Nous n’avons rien d’autre ici qu’une plate perspective de cogestion, sans remise en cause ni du capitalisme ni de l’Etat bourgeois. Dans le conte de fées réformiste de LO, les prolétaires pourraient obtenir un droit de regard sur les modalités de leur exploitation, en espérant sans doute faire fonctionner autrement la loi du profit, consubstantielle à l’économie capitaliste. Mais si les prolétaires doivent entrer en lutte – et ils le doivent ! – ce n’est pas pour «contrôler» les décisions des patrons, mais pour bloquer leurs attaques ou leur arracher des concessions avant d’aller plus loin ; autrement dit la perspective qui doit guider leur mobilisation n’est pas celle d’une entente (même si c’est sous la pression) pour cogérer avec les patrons et leur Etat (dont LO ne parle jamais) les entreprises et la société. C’est celle de l’affrontement de classe qui se mène inexorablement jusqu’à la lutte finale débouchant sur le bouleversement révolutionnaire de la société bourgeoise, le renversement de la classe dominante, la destruction de l’Etat bourgeois, la prise du pouvoir et l’instauration de la dictature du prolétariat nécessaire pour en finir avec le capitalisme. Autant de concepts classiques du marxisme que LO passe soigneusement sous silence…

«Démocratie révolutionnaire», qui regroupe au sein du NPA des descendants de l’ancienne scission de LO des années 1990 («Voix des travailleurs»), tout en dénonçant le réformisme… des autres, exhibe le même réformisme en parlant de la «nécessité du contrôle sur la marche de l’économie» et d’un «plan pour le monde du travail» (1). Elle liste un grand nombre de mesures transitoires : la «réquisition des trusts pharmaceutiques» et des EHPAD, «l’interdiction des licenciements, l’arrêt des contrats précaires, les embauches massives dans les services publics», et le «droit de regard [sic ! N’allons pas trop loin !] sur la finance et surtout le crédit» (2) «un véritable service public de la finance et du crédit sous le contrôle démocratique des salariés et de la population» (perspective ouvertement interclassiste : comme si toutes les classes sociales composant «la population» avaient les mêmes intérêts), etc. Tout cela pour que les travailleurs exercent «le contrôle sur la marche de la société, des entreprises» car c’est «une question de droit démocratique». Crétinisme démocratique au dernier degré : les prolétaires, pardon «le monde du travail, les salariés, les petits artisans et commerçants», doivent espérer contrôler les entreprises capitalistes et la société bourgeoise au nom de la démocratie bourgeoise....

Les «révolutionnaires» du NPA regroupés dans l’«Alternative Révolutionnaire Communiste» (ARC), nous ont même pondu un «programme transitoire écosocialiste». Comme tout bon réformiste, l’ARC tout en prenant bien soin de tresser des lauriers aux marxistes, affirme qu’ils sont dépassés : «Marx, Engels et les bolcheviks n’ont pas (et ne pouvaient pas à leur époque respective) pris la mesure de la crise écologique actuellement en cours, et il semble normal d’actualiser leurs théories à la lumière de ce que nous savons maintenant. Le marxisme et le projet socialiste classique nécessitent donc bel et bien une certaine mise à jour» (3).

Eternelle ritournelle du révisionnisme social-démocrate qui affirme depuis plus d’un siècle que le marxisme doit être perpétuellement mis à jour pour l’adapter à des situations toujours «nouvelles» et »imprévues»! Cette prétendue actualisation n’est que la reprise de vieilles foutaises : la «démocratie directe» (bourgeoise), «l’autogestion de l’usine» (dans le cadre du capitalisme) et un «gouvernement des travailleurs/ses» qui est le seul «capable (de) porter jusqu’au bout (des) mesures qui résonnent (sic) avec la conscience actuelle de notre classe» (anesthésiée par des décennies de trahison réformiste et bien loin des revendications et des pratiques classistes). De peur de faire fuir les petits bourgeois «écosocialistes», la longue litanie des mesures «transitoires» évite toute position de classe : «développement des services publics», «agriculture agro-écologique», contrôle «démocratique de l’économie» et même des «investissements gérés par les travailleurs/ses», «relocalisation de la production» (4), etc. Plus réformiste tu meurs !

Enfin, le CCR («Courant Communiste Révolutionnaire») du NPA, qui anime le site «révolution permanente», a également présenté aux prolétaires son plan d’urgence (5).

Dans la présentation de ce plan, le CCR indique tout d’abord qu’il est opposé au déconfinement : cela signifie-t-il que ces «révolutionnaires» sont pour la poursuite du quasi-emprisonnement de fait de dizaines de millions de personnes par l’Etat bourgeois, dénonçant seulement la «gestion répressive» de celui-ci?

Quoi qu’il en soit, leur plan mélange des revendications prolétariennes élémentaires (augmentations salariales, régularisation des sans-papiers, etc.), à des revendications plus que douteuses tirées de l’arsenal réformiste classique du trotskysme : «nationalisation sous contrôle des travailleurs de toutes les branches stratégiques de l’économie», «ouverture des livres de comptes des entreprises qui licencient» (6). A ceux qui se demanderaient pourquoi ces trotskistes laissent en paix les patrons qui ne virent pas leurs salariés (pour l’instant) et ceux des secteurs «non stratégiques», les «mesures d’urgence» nous donnent peut-être la réponse : «Priorité aux petits producteurs, artisans et commerçants, pas aux grands capitalistes». Priorité aux petits patrons même s’ils sont souvent les plus féroces pour exploiter!

Pour les travailleurs, la perspective qui est proposée est de jouir d’un «droit de veto» dans l’entreprise et de «reconvertir eux-mêmes la production». Comme si c’est au niveau de chaque usine que les prolétaires étaient les mieux à même de «reconvertir» la production , alors que c’est seulement au niveau central que cela pourra être possible – et à condition d’avoir au préalable renversé le pouvoir des capitalistes et instauré celui des prolétaires, c’est-à-dire d’avoir fait la révolution !

Ce n’est pas par hasard que nos «communistes révolutionnaires» oublient aussi de préciser cette petite condition quand ils écrivent que «la seule réponse progressiste [sic !] à la crise mais aussi à Macron et son monde serait un gouvernement des travailleurs et des secteurs populaires [qui est-ce ?] issu de la mobilisation révolutionnaire des masses». Ce que serait l’action de ce gouvernement n‘est pas dit ; mais on peut le deviner lorsqu’on lit que cette prétendue «mobilisation révolutionnaire» déboucherait sur «une vraie politique démocratique et radicale» impliquant «d’en finir avec les institutions de la V° République et de supprimer aussi bien la figure présidentielle que cette chambre réactionnaire qu’est le Sénat pour imposer un Assemblée Unique à laquelle siègeraient des élus révocables à tout moment et rémunérés à la hauteur du salaire moyen» – bref sur une réforme constitutionnelle ! Cela signifie que la mobilisation envisagée n’est qu’une mobilisation électorale et que l’action gouvernementale se bornerait essentiellement à une rénovation de l’Etat.

Une «vraie politique démocratique et radicale» n’est en aucun cas une alternative souhaitable pour les prolétaires ; c’est au contraire une dangereuse impasse qu’il faut dénoncer et combattre pour se tourner vers une vraie politique de classe, donc anti-démocratique (démocratie signifiant interclassisme), dont l’objectif n’est pas d’en finir avec telle ou telle institution étatique, telle ou telle constitution bourgeoise, mais avec l’Etat bourgeois et le capitalisme. En conformité avec le rôle néfaste qu’il a joué dans la lutte contre la réforme des retraites en tenant un discours combatif pour mieux ramener les travailleurs à la remorque des directions syndicales, le CCR est malgré ses phrases «radicales», est enlisé jusqu’au cou dans le terrain de la réforme…

En outre, en dehors même de la justesse ou non des revendications présentes dans ce genre de «plans» ou de «programme», l’ambiguïté fondamentale est qu’il n’est pas dit à qui ils s’adressent, quelles forces pourraient les mettre en œuvre et avec quels moyens. Dans la situation actuelle où il n’existe pas de mouvement prolétarien capable d’entrer en lutte pour eux, ce silence est significatif : ou ils ne sont que de la poudre aux yeux, ou ils s’adressent en réalité aux forces collaborationnistes, aux syndicats et partis qui s’emploient à maintenir la paralysie du prolétariat. Dans les deux cas ils représentent des diversions au retour des prolétaires sur la voie de la lutte de classe.

Les communistes combattent toutes les illusions d’un «contrôle ouvrier» du capitalisme et toute idée que le prolétariat pourrait tranquillement réformer ce dernier. Même si elle peut sembler bien lointaine aujourd’hui, la seule perspective réaliste est la destruction du pouvoir bourgeois et du mode de production capitaliste. Cela ne peut se faire que par la révolution violente et la dictature du prolétariat.

Malgré leurs prétentions orthodoxes et leurs discours de gauche, LO, l’ARC, le CCR, DR ou A&R sont, au même titre que le NPA, des obstacles au combat révolutionnaire du prolétariat.

 


 

(1) cf. «Lettre n°142», 17/5/2020 http://npa-dr.org/images/lettrepdf/dr142-17-05-20.pdf       

(2) cf. «Lettre n°139», 26/4/2020

(3) «Une perspective (éco)socialiste : programme et stratégie», 17 avril 2020. https://alt-rev.com/ 2020/04/17/une-perspective-ecosocialiste-programme-et-strategie

(4) Le «Manifeste du Parti Communiste» écrivait qu’«au grand regret des réactionnaires» la bourgeoisie a enlevé à l’économie sa «base nationale» avec la création du marché mondial. Vieillerie que tout ça ! Avec l’ARC on revient à la production locale…

(5) «12 mesures d’urgence pour que ce ne soit pas aux travailleurs de payer la facture de la crise», 26 avril 2020, sur le site https://www. revolution permanente .fr/

(6) Citons aussi cette perle : le CCR demande le retrait des troupes françaises d’Afrique et du Moyen Orient aussi parce qu’elles sont… un «vecteur important de contamination» !

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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