La CWO-TCI renie la dictature de classe au profit de la « vraie démocratie »

(«le prolétaire»; N° 538; Août-Septembre-Octobre 2020 )

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La «Tendance Communiste Internationaliste» (TCI) a succédé, en 2009, au «Bureau International pour un parti révolutionnaire» (BIPR). Elle regroupe principalement le Partito comunista internazionalista en Italie (connu par le nom de son journal Battaglia Comunista) et la Communist Workers Organisation (CWO) en Grande-Bretagne, (organisation d’origine conseilliste), et des groupes dans différents pays. En France elle publie Bilan et perspectives.

La TCI se réclame de l’héritage du marxisme et plus précisément de la Gauche communiste d’Italie. Mais en fait elle s’en écarte toujours davantage, à mesure que fait se sentir avec de plus en plus d’insistance l’héritage conseilliste de la CWO.

La TCI affirme dans sa présentation sur son site Internet que : « Le renversement du capitalisme n’est possible que par une révolution, c’est-à-dire la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, à l’extérieur et à l’encontre de toutes les voies pseudo-démocratiques (élections, réformes, etc.); des mécanismes qui sont spécialement conçus pour éviter tout changement radical de société. Le forum de notre “démocratie”, les organes de pouvoir de la révolution, seront les conseils ouvriers, des assemblées de masse dans lesquelles des délégués se verront confier des mandats spécifiques et qui seront révocables en tout temps. Mais ces organisations ne deviendront jamais de véritables organes du pouvoir prolétarien sans l’adoption d’un programme clair ayant pour objectif l’abolition de l’exploitation et, en conséquence, l’élimination des classes et l’édification d’une société “de producteurs librement associés” qui travaillent pour la satisfaction des besoins humains. Ce programme ne tombera pas du ciel, mais sera le produit de la conscience de la fraction de la classe ouvrière qui tente de comprendre les leçons des luttes du passé et qui se regroupe à l’échelle internationale pour former un parti qui lutte contre le capitalisme et pour le socialisme à l’intérieur des conseils ouvriers» (1).

On remarque déjà que, après avoir affirmé son opposition aux «voies pseudo [sic!]-démocratiques», lorsqu’elle veut caractériser le pouvoir politique issu de la révolution, la TCI parle de démocratie et pas de dictature du prolétariat – qui est pourtant selon Marx une notion centrale de ses thèses. Le marxisme n’est pas opposé aux élections parce qu’elles ne seraient pas vraiment démocratiques, mais parce qu’elles reposent précisément sur le mensonge démocratique selon lequel tous les individus, quelle que soit leur classe sociale, possèdent au même titre la capacité de décider de l’orientation et de l’action de l’Etat.

Un autre point à remarquer est la mise au premier plan des «conseils ouvriers» dans cette «démocratie» et l’affirmation que, pour que ceux-ci jouent leur rôle, il faudra qu’ils adoptent un programme clair de révolution sociale. On pourrait voir là une allusion alambiquée à la nécessité que le parti de classe devienne la force dominante dans ces conseils (sans quoi ils ne sont que d’«informes parlements ouvriers» – Trotsky, «Terrorisme et communisme»), sauf que ce programme n’existe pas encore: il sera produit par la conscience de l’avant garde ouvrière – le parti – agissant dans ces conseils! C’est au fond logique pour une organisation qui affirme, dans sa plate-forme (2), n’être pas le parti ni «son seul noyau existant» (?) étant donné qu’il faudra au préalable «clarifier» ce programme entre les futures composantes de ce parti. Or un parti se définit d’abord par son programme; si ce programme n’est pas clarifié on peut au mieux constituer une «Tendance» ...

Rien d’étonnant alors si les tâches du futur parti, notamment dans la période du pouvoir prolétarien, sont minimisées, la TCI prenant soin d’affirmer qu’il ne devra pas «se substituer à la classe (selon les abstractions métaphysiques des bordiguistes)». Cette accusation de «substitutionnisme» n’est pas nouvelle; elle a été historiquement lancée contre les bolcheviks d’abord dans la période prérévolutionnaire, puis après la prise du pouvoir. Trotsky y a répondu de façon magistrale: «On nous a accusés plus d’une fois d’avoir substitué à la dictature des soviets celle du parti. Et cependant, on peut affirmer sans risquer de se tromper, que la dictature des soviets n’a été possible que grâce à la dictature du parti : grâce à la clarté de sa vision théorique, grâce à sa forte organisation révolutionnaire, le parti a assuré aux soviets la possibilité de se transformer, d’informes parlements ouvriers qu’ils étaient, en un appareil de domination du travail. Dans cette “substitution” du pouvoir du parti au pouvoir de la classe ouvrière, il n’y a rien de fortuit et même, au fond, il n’y a là aucune substitution. Les communistes expriment les intérêts fondamentaux de la classe ouvrière. Il est tout à fait naturel qu’à l’époque où l’histoire met à l’ordre du jour ces intérêts dans toute leur étendue, les communistes deviennent les représentants reconnus de la classe ouvrière dans sa totalité» (3). Défendre le rôle primordial du parti n’a rien à voir avec du substitutionnisme; le parti n’est pas seulement la fraction la plus avancée du prolétariat, il est l’organe indispensable à ce dernier pour mener la lutte révolutionnaire en tant que classe contre le capitalisme et pour exercer son pouvoir après la révolution; c’est le processus décrit par le «Manifeste du Parti Communiste» d’«organisation en classe donc en parti politique» du prolétariat puis sa «constitution en classe dominante» (4). Le programme du parti étant la synthèse des leçons des batailles prolétariennes du passé, il doit exister avant le retour des périodes révolutionnaires pour permettre d’agir de façon correcte dans ces moments; il n’a pas à être réécrit ou clarifié à tous les tournants historiques par la discussion entre groupes hétérogènes ou par l’expression de la «conscience» à un moment donné de l’avant-garde. Prétendre le contraire est une attitude révisionniste, un reniement honteux (non affirmé ouvertement pour le moment) de l’héritage de la Gauche communiste d’Italie.

Cette déclaration de principes pour le moins confuse se traduit dans sa propagande par l’aplatissement sur le démocratisme bourgeois.

Un article récent posté sur son site Internet (leftcom.org), et initialement publié dans le n°48 du bulletin de la CWO, Aurora, est intitulé « Workers’ Democracy is the Only Real Democracy » («La démocratie ouvrière est la seule vraie démocratie») (5). Rien que cette affirmation est totalement opposée au marxisme : les communistes ne cachent pas mais affirment ouvertement que le pouvoir prolétarien sera dictatorial, excluant de la vie politique les classes ennemies et leurs représentants, y compris déguisés en «socialistes» ou «révolutionnaires», et que sa direction sera aux mains du parti unique de classe. La «vraie» démocratie n’est qu’un slogan creux pour duper les prolétaires et camoufler une des formes de la dictature bourgeoise.

Le contenu de l’article est du même acabit. La CWO nous apprend que « Sous le capitalisme, nous [qui ? Le corps électoral dans son ensemble? Les prolétaires ? Les militants de la TCI?] élisons des représentants en tant que membres du Parlement (…). Une fois élu, il est peu probable que nous voyions “notre député” au cours des 4 ou 5 prochaines années lorsqu’ils reviendront demander notre vote une fois de plus. Au Parlement, que font-ils ? Habituellement, ils votent pour leur propre parti, ou parfois ils se rebelleront et voteront comme ils l’entendent. Les députés n’ont aucune obligation de voter selon les souhaits de ceux qui ont voté pour eux. Voilà ce que signifie la représentation. Vous confiez au député d’agir pour vous et vous n’avez absolument pas le pouvoir de le changer jusqu’aux prochaines élections. Et bien sûr il est exclu que le parlement envisage les changements fondamentaux pour que chacun ait son mot à dire: comment garantir que la communauté dans son ensemble [?] décide de ce qui est produit. (...) Comment décider ce qui est le mieux pour la communauté au lieu de calculer les profits et les pertes (...)».

Le problème serait donc l’arbitraire des élus à cause de l’absence de contrôle des électeurs sur eux entre deux élections. On a l’impression de lire les pleurnicheries des partisans du «référendum d’initiative citoyenne» ou du «référendum révocatoire» comme il en existe aux États-Unis, ou les creuses rêveries anarchistes sur la «démocratie directe».

Le CWO n’en reste pas là et elle présente à ses lecteurs son modèle de démocratie : « dans la démocratie de la classe ouvrière qui émergera pendant la révolution pour renverser le capitalisme, chaque assemblée élit des délégués, pas des représentants . Ils sont mandatés pour réaliser les souhaits de leur collectivité. S’ils constatent qu’ils ne peuvent pas le faire, ils retournent dans la communauté de base et les persuadent de changer de cap ou sont remplacés par un autre délégué. »

Voici la «démocratie ouvrière» : des assemblées qui représentent la «collectivité», la «communauté» et dont les délégués ont un mandat impératif. Ce mandat est le vieux rêve des républicains bourgeois du XIXe qui espéraient faire revivre la révolution jacobine… bourgeoise. Quant à cette «collectivité» dont sont élus ces délégués, c’est un ensemble dont la nature reste indistincte.

En fait la «démocratie ouvrière» de la CWO n’est qu’une version idéale de la démocratie bourgeoise. Il est significatif de ce point de vue que l’article ne dénonce que «les Trump, les Bolsonaro, les Poutine et les Xi Jin Ping» – ceux-là mêmes que les bourgeois occidentaux critiquent à grand bruit pour leurs pratiques «anti démocratiques»; est-ce par hasard que le journal d’une organisation prétendument révolutionnaire britannique ne rajoute pas à sa liste le premier ministre de Sa Majesté, Boris Johnson? Ne serait-ce pas une adaptation au courant dominant de la propagande des médias?

Les marxistes doivent s’opposer sans relâche à cette propagande démocratique omni présente car sa fonction est fondamentalement anti prolétarienne: elle a pour but d’entraver au maximum l’organisation et la lutte des prolétaires sur des bases de classe, en faisant croire qu’il leur serait possible, par le vote de la «communauté» nationale dans son ensemble, toutes classes confondues, d’obtenir tranquillement le succès de leurs revendications, «immédiates» ou «générales».

Mais par ailleurs la caractéristique fondamentale du pouvoir révolutionnaire prolétarien – la dictature du prolétariat – ne résid pas dand la forme politique qu’il revêt, contrairement à ce que s’imagine les conseillistes car celle-ci peut se modifier selon les époques et les pays: par exemple si la révolution avait éclaté en Italie en 1920, le rôle des conseils ouvriers (soviets) aurait été rempli par les bourses du travail (camera del lavoro) qui étaient alors les organes de centralisation et d’extension des luttes ouvrières.

 

La révolution n’est pas un problème de forme d’organisation

 

Pour donner une illustration de la façon marxiste d’aborder la question, nous allons citer quelques courts extraits du «Principe démocratique» en invitant le lecteur à le lire dans son intégralité (6).C’est un article dont la TCI devrait se revendiquer puisqu’il a été écrit en 1922 par le représentant le plus éminent de la Gauche communiste d’Italie, Amadeo Bordiga. Celui-ci pose la question: peut-on définir le pouvoir prolétarien d’après la révolution comme «une démocratie prolétarienne»? Et il répond: «(...) Il se peut qu’on arrive à la conclusion que le mécanisme démocratique est utilisable, avec certaines modalités, tant que l’évolution même des choses n’en aura pas produit de plus adapté; mais il faut bien se convaincre que nous n’avons pas la moindre raison d’établir a priori le concept de souveraineté de la “majorité” du prolétariat». Horreur! s’exclameront tous les démocrates, y compris d’«extrême» gauche...

Mais Bordiga explique: «L’Etat prolétarien, en tant qu’organisation d’une classe contre d’autres classes qui doivent être dépouillées de leurs privilèges économiques, est une force historique réelle qui s’adapte au but qu’elle poursuit, c’est-à-dire aux nécessités qui sont sa raison d’être. A certains moments l’impulsion pourrait lui être donnée aussi bien par les plus larges consultations de masse que par l’action d’organes exécutifs très restreints munis des pleins pouvoirs; l’essentiel est de donner à cette organisation du pouvoir prolétarien les moyens et les armes nécessaires pour abattre le privilège économique bourgeois et les résistances politiques et militaires bourgeoises, de façon à préparer ensuite la disparition des classes elles-mêmes, et les modifications toujours plus profondes de ses propres tâches et de sa propre structure.

Une chose est sûre: tandis que la démocratie bourgeoise n’a pas d’autre but réel que de priver les grandes masses prolétariennes et petites bourgeoises de toute influence dans la direction de l’Etat, réservée aux grandes oligarchies industrielles, bancaires et agrariennes, la dictature prolétarienne, elle, doit pouvoir entraîner dans la lutte qu’elle incarne les couches les plus larges de la masse prolétarienne et même semi-prolétarienne.

Mais seuls ceux qui sont influencés par des préjugés peuvent s’imaginer que pour atteindre ce but il suffit d’instaurer un vaste mécanisme de consultation électorale: cela peut être trop, ou – le plus souvent – trop peu, car on inciterait ainsi beaucoup de prolétaires à s’en tenir à cette forme de participation en s’abstenant de prendre part à des manifestations plus actives de la lutte de classe. D’autre part, l’acuité de la lutte dans certaines phases exige une promptitude de décision et de mouvement, et une centralisation de l’organisation des efforts dans une direction commune.

(...) Dans la dictature du prolétariat, le mécanisme constitutionnel de l’organisation d’Etat n’est pas seulement consultatif, mais en même temps exécutif, et la participation aux fonctions de la vie politique, sinon de toute la masse des électeurs, du moins d’une large couche de leurs délégués, n’est pas intermittente mais continue. Il est intéressant de constater qu’on y parvient sans nuire, bien au contraire, au caractère unitaire de l’action de tout l’appareil d’Etat, grâce précisément à des critères opposés à ceux de l’hyper-libéralisme bourgeois: c’est-à-dire en supprimant pratiquement le suffrage direct et la représentation proportionnelle, après avoir foulé aux pieds, comme nous l’avons vu, l’autre dogme sacré du suffrage égalitaire.

(...)Nous tenons à bien faire comprendre que nous n’attribuons à ces formes d’organisation et de représentation aucune valeur intrinsèque: ce que nous voulons démontrer se traduit dans une thèse marxiste fondamentale que l’on peut énoncer ainsi: “la révolution n’est pas un problème de formes d’organisation”. La révolution est au contraire un problème de contenu, un problème de mouvement et d’action des forces révolutionnaires dans un processus incessant, que l’on ne peut théoriser en le figeant dans les diverses tentatives de “doctrine constitutionnelle” immuable ».

Elle ne peut donc se caractériser par une forme de représentation politique particulière – et encore moins par une forme démocratique «supérieure», mais par son action pour renverser et déraciner le capitalisme dans le monde entier!

 


 

(1) cf. http://www.leftcom.org/fr/about-us

(2) La «Plate-forme de la TCI» est disponible en français sur son site (leftcom.org) depuis le 1/10/20

(3) Trotsky, «Terrorisme et communisme», Ed Prométhée, p.119.

(4) «Le Manifeste...», ch. 1 «Bourgeois et prolétaires»

(5) Aurora n° 48 (octobre 2019)

(6) L’article se trouve dans le recueil «Parti et classe», Textes du PCInternational n°2

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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