Élections parlementaires au Venezuela

Gigantesque victoire du chavisme ?

Non, méfiance dévastatrice du prolétariat !

(«le prolétaire»; N° 539; Nov.-Déc. 2020  / Janvier 2021)

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Les élections législatives de début décembre devaient être un moment politique important au Venezuela; le «chavisme» (du nom de l’ancien président, le démagogue Hugo Chavez, idole de la gauche petite-bourgeoise internationale) entendait y trouver une légitimation en reconquérant l’Assemblée nationale qui était aux mains de l’opposition de droite et dont le président Guaidó s’était autoproclamé Président de la République. Il faut dire que Guaidó jouit du soutien appuyé des Etats-Unis et de la plupart des impérialismes occidentaux dont la France, l’Italie étant l’exception, tandis que le gouvernement chaviste de Maduro peut compter sur l’appui de la Russie et de la Chine; les énormes réserves pétrolières du Venezuela, encore largement inexploitées, ne sont pas étrangères à ces alignements. Guaidó et ses partisans avaient décidé de boycotter les élections, sans doute sur les conseils des Américains. Les Chavistes ont pu ainsi claironner leur «gigantesque victoire» électorale.

 

S’il s’agissait d’une victoire, ce serait la victoire – à la Pyrrhus - non seulement de Maduro mais de l’ordre bourgeois qu’il représente et qui a toujours régné au Venezuela, peu importe le nom donné depuis vingt ans à l’exploitation capitaliste bestiale du prolétariat au Venezuela.

Près de 21 millions d’électeurs potentiels, plus d’un millier d’observateurs, nationaux et « amis » étrangers du Venezuela tels que l’ancien président espagnol Zapatero – Bruxelles, Washington et Lima ont jugé ces élections invalides voire frauduleuses (avant même les résultats ...), et n’ont envoyé aucun représentant – , tout a été organisé pour les élections législatives du 6/12, dont les résultats devaient désigner les 277 nouveaux parlementaires de l’Assemblée nationale. Jusqu’ici tout est normal, la rue est calme, il n’y a pas d’incidents, l’opium démocratique a pu se propager sans accroc majeur.

Vers 1h30 du matin du lendemain des élections, le premier communiqué est annoncé sur la base du dépouillement des 6 premiers millions de suffrages, selon les chiffres officiels, soit 31% du total des électeurs potentiels (selon Guaidó seulement 7% des électeurs sont allés voter, d’autres porte-paroles parlent de 21%). L’abstention, c’est sûr, a été massive, quasi 70%. Ce premier communiqué donnera les pourcentages sans que le décompte des bulletins restants n’y apporte de changement significatif. L’opposition de droite (Alliance pour le Changement) remporte un sixième des voix (17,52%, près d’un million de voix) , l’extrême droite (Justice d’abord, Volonté Populaire) 4,15% des voix et les deux tiers restants (67%, soit 3,5 millions de voix) vont aux représentants du PPT-PSUV, le soi-disant « Grand Pôle patriotique » ou Alliance bolivarienne.

Ces élections parlementaires se sont déroulées au Venezuela dans un contexte de nombreux et intenses problèmes sociaux et politiques : pandémie, sanctions économiques de la part des États Unis, crise économique dévastatrice, pauvreté croissante, pénuries, premiers heurts au sein du parti au pouvoir avec le départ du PCV et d’autres petits groupes politiques réformistes de gauche, en l’occurrence Tupamaro et Marea Socialista - Aporrea.org, qui ensemble avec d’autres petites organisations minoritaires obtiennent un petit 2,7% des suffrages exprimés.

 

Le président autoproclamé Guaidó, sa consultation et son boycott

 

Guaidó et les politiciens extrémistes anti-chavistes avaient perdu la capacité de mobilisation qu’ils avaient il y a des années, leur appel au boycott des élections législatives était donc la seule alternative honorable qu’il leur restait, mais pas avant d’avoir consulté les huiles impérialistes dirigées par le encore président Trump. D’autre part, la Banque d’Angleterre prévoit d’octroyer les 1100 millions de dollars en or déposés par Chávez dans ses coffres, à la cause de Guaidó et de ses partisans – signe plus qu’évident que les impérialismes occidentaux continuent de soutenir leur protégé président autoproclamé. Ce dernier appelle à une « consultation démocratique » par voie électronique dans les prochains jours. Mais si Guaidó dénonce les élections chavistes comme une farce, sa « consultation » via Telegram (1) est une farce au carré !

Il est évident qu’on ne peut attribuer l’abstention massive aux appels de Guaidó au boycott des élections, sous le prétexte que « les élections de Maduro manquent de garanties et de conditions favorables » (Cf El Carabobeño ). L’analyste politique d’opposition Vicente León, président de l’institut de sondage Datanalisis, reconnaît que l’abstention est davantage la conséquence d’une « méfiance accrue à l’égard des politiques » que des appels au boycott lancés par l’opposition. Le journal Libération citait cette phrase d’un habitant de Caracas: « Le seul fait d’arme de l’opposition c’est de nous avoir fait crever de faim ! » (2), en faisant référence à l’impact, sur la vie de la grande majorité, des appels extrémistes de l’opposition à imposer encore plus de sanctions économiques de la part de l’impérialisme occidental aux Vénézuéliens. De fait, la grande majorité a exprimé un grand désintérêt à l’égard des élections et une grande méfiance envers les politiques chavistes ou de droite. Cela explique en partie la sortie du PCV et compagnie du groupe chaviste : quand le navire commence à couler ...

 

« Il n’y a personne dans les bureaux de vote parce que les gens votent et s’en vont »

 

Les images des bureaux de vote quasi vides que tout le monde a vues dans les médias ont montré en partie le faible afflux d’électeurs. Cela n’a pas empêché que l’épouse du président du Venezuela, Cilia Flores, donne l’explication suivante: «(le vote) est si rapide que les gens votent et s’en vont (?); cela ne donne pas l’occasion aux gens de s’agglomérer, ce qui est très positif par rapport aux mesures de «biosécurité»; comme nous sommes au milieu d’une pandémie, cette rapidité est très positive ... on vote et on rentre chez soi pour attendre les résultats, c’est pourquoi le processus se passe à merveille »… L’abstention pure et dure a été trop élevée pour qu’il soit possible de légiférer à merveille et dans la sérénité au cours des 5 prochaines années, encore plus avec une telle explication de la réalité.

Les chavistes ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour dramatiser l’enjeu, ce sont eux qui ont voulu transformer ces élections en une opportunité de présidentielles anticipées. Par exemple, Maduro a déclaré qu’il était prêt à quitter le pouvoir si les chavistes perdaient. Les attentes étaient donc trop élevées pour qu’il soit possible de nier l’importance qu’ils attribuaient à cette élection’. Mais ils voient à présent que la réalité est tout autre. D’un côté, ils disent que c’est une victoire gigantesque (Maduro, Cabello, Rodríguez dixit), et de l’autre, ils affirment qu’il y a eu beaucoup d’abstention parce que les gens n’ont jamais été motivés par ce type d’élections et ils relativisent en citant d’autres pays avec les mêmes pourcentages de participation. Mais de cette façon, ils reconnaissent sans s’en rendre compte que cette « victoire » n’en est pas une !

La première conclusion à tirer est que les prolétaires commencent à tourner le dos aux mystifications électorales et démocratiques; la « gigantesque victoire » de Maduro et de l’ordre bourgeois n’est que temporaire; les prolétaires ont compris instinctivement que la voie électorale et démocratique est une impasse, il ne manque plus qu’ils se rendent compte que la seule issue réaliste, non illusoire, est celle de la lutte classe contre classe, contre le système capitaliste, son État, ses politiciens de droite et de gauche et tous ses serviteurs. Aussi difficile qu’elle soit, la réalité montre que dans la situation actuelle, une bonne partie des exploités et des opprimés ne croit plus à la voie électorale. Ils ne croient pas encore en la voie de la lutte des classes, mais ils sont objectivement en condition de prendre le chemin qui les y conduit, bien que ce résultat ne sera ni automatique ni spontané.

Ces élections ne changeront rien à la situation critique vécue par les prolétaires et les masses populaires au Venezuela. Les chiffres montrent que le chômage, au-delà des statistiques officielles que le gouvernement a cessé de publier depuis 2013 (!), continue de galoper (3), encore plus avec la pandémie déclenchée par la covid-19; que le salaire (0,9 €) n’est plus un salaire (4), mais une aumône attribuée par l’État à la population; que le taux d’inflation annuel reste stratosphérique (5); que la pauvreté atteint des niveaux alarmants (6); que la diminution terrifiante de la production de pétrole extrait par PDVSA, autrefois étendard flamboyant de l’économie vénézuélienne, empêche une reprise économique qui permette au moins de pallier aux nécessités les plus urgentes des classes populaires, a fortiori pour les déshérités de toujours, les prolétaires.

 

La crise économique frappe également les émigrés vénézuéliens

 

La crise économique a également frappé les travailleurs migrants, peut-être plus gravement que les travailleurs locaux. « 100 000 travailleurs vénézuéliens ont quitté la Colombie après avoir perdu leur emploi - qui leur permettait même d’envoyer de l’aide à leur famille -, beaucoup n’ont pas pu revenir au Venezuela et, selon l’ONU, font partie des 2,75 millions de “travailleurs immigrés bloqués” dans le monde qui, après avoir perdu leur emploi, cherchent, souvent sans succès, à retourner dans leur pays. (Cf New York Times, 28-29/11/20). Une grande partie des émigrés vénézuéliens travaille en Colombie où le taux de chômage a atteint 14,7% en octobre (derniers chiffres officiels publiés); mais le chômage est nettement plus élevé en raison de l’importance de l’économie informelle. Dans d’autres pays d’Amérique latine, la situation n’est pas meilleure pour l’émigration vénézuélienne. La perte de leurs emplois a pour conséquence un moindre envoi de fonds à leurs familles, ce qui accentue la misère de ces dernières.

Ainsi, comme tout au long de cette année dans une vingtaine de pays, la violente flambée sociale contre un gouvernement de plus en plus autoritaire, tyrannique et affameur ne se fera pas attendre. Mais pour que ces affrontements, inévitables, ne se terminent pas en un simple ravalement de façade de l’ordre bourgeois, le prolétariat devra trouver la voie de la lutte de classe indépendante et reconstituer, avec les prolétaires des autres pays, le parti de classe, pour diriger sa lutte contre le capitalisme.

Dans cette perspective de reprise de la lutte des classes, l’abstention aux dernières élections au Venezuela réfute « la prétention bourgeoise d’avoir établi pour toujours l’administration de la société sur des bases pacifiques et indéfiniment perfectibles, grâce à l’instauration du droit de vote et du parlementarisme » (Amadeo Bordiga, « Le principe démocratique »)

 

14/12/2020

 


 

(1) Telegram est un service de messagerie créé en Russie, mais lorsque le gouvernement a voulu forcer la société à céder les codes d’accès, les propriétaires ont quitté le pays.

(2) Libération, 06/12/20

(3) Le Fonds Monétaire International a révélé que le taux de chômage au Venezuela a atteint 44,3% en 2019, affectant donc près de la moitié de la main-d’œuvre du pays – et en juillet de cette année il atteignait déjà 47,4%.

(4) Cf. https:// fedecamarasbolivar .org/ se-requieren-354-52-salarios-minimos-para-poder-adquirir-la-canasta-alimentaria-familiar/

(5) « Le dernier taux de variation annuelle de l’Indice des Prix à la Consommation publié au Venezuela date de septembre 2020 et il était de 1 813,1% ». Cf. https://datosmacro. expansion. com/paises/venezuela

(6) «Selon les revenus, 96% de la population vénézuélienne est pauvre. 79% sont en état d’extrême pauvreté, ce qui signifie que les revenus perçus sont insuffisants pour couvrir le panier alimentaire » https://elpais.com/internacional/2020-07-08/la-pobreza-extrema-roza-el-80-en-venezuela.html

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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