Guerre et crise alimentaire

(«le prolétaire»; N° 544; Mars - Juin 2022)

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Tôt ou tard, toute guerre provoque une crise alimentaire. Dans le contexte de la guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine, les alarmes provoquées par la crise du blé et des céréales en général, ont mis en excitation tous les gouvernements du monde. Les sanctions qui touchent la Russie, le premier exportateur de blé au monde, ne concernent pas seulement son gaz et son pétrole, mais aussi toutes ses autres exportations dont les céréales. L’Ukraine fait également partie des principaux pays producteurs et exportateurs de blé et les 20 millions de tonnes de blé bloqués dans des navires au port Odessa par les propres lignes de mines ukrainienne de défense et les missiles russes font aujourd’hui courir les diplomaties du monde « démocrate » pour trouver un accord avec la Russie. On parle même d’aider l’Ukraine à déminer le passage vers en mer Noire (1).

L'exportation de céréales ukrainiennes concerne particulièrement les pays plus pauvres et plus faibles, qui ne sont pas en mesure de payer les prix élevés auxquels les céréales sont vendues aujourd'hui. La loi capitaliste de l'offre et de la demande implique qu'une marchandise très demandée sur les marchés, mais peu disponible pour diverses raisons (mauvaises récoltes, difficultés de transport dues à des conflits, etc.), voit inévitablement son prix augmenter. On ne peut l'acheter qu'en payant le prix le plus élevé ; ceux qui ne peuvent pas le payer en seront privé. Dans le cas du blé, comme de toutes les céréales et denrées alimentaires de base, les prix les plus élevés ne peuvent être payés que par les pays riches et, en tout cas, aux dépens de la population, notamment du prolétariat et de ses couches les plus pauvres.

En millions de tonnes et selon les données 2019, les dix premiers producteurs mondiaux de blé sont : la Chine (133,59), l'Inde (102,19), la Russie (7350) (2), les États-Unis (52,26), le Canada (32,35), l'Ukraine (29,00), le Pakistan (25,60), l'Australie et l'Argentine (19,00 chacun), l'Iran (16,80). Mais être un gros producteur ne signifie pas automatiquement être un gros exportateur. En fait, pour ce qui est de ces pays, la Chine, l'Inde, le Pakistan, l'Iran utilisent leur production de céréales pour leur consommation intérieure et pour alimenter leurs propres stocks, et non pour l’exporter. Toujours selon les données 2019, les 10 premiers exportateurs mondiaux de blé sont, en millions de tonnes : Russie (35,8), Etats-Unis (27,29), Canada (22,06), Australie (21,98),France (15,22), Ukraine (17,31), Argentine (13,09), Allemagne (7,89), Roumanie (5,75) et Kazakhstan (4,25). Tous les pays ne vendent pas leur blé au même prix. Il dépend de sa qualité, de sa disponibilité immédiate, du nombre de récoltes par an, des coûts de transport, etc. Mais indépendamment du prix de vente de base du blé, ils sont aussi les 10 premiers pays producteurs en millions de dollars. Si l'on tient compte de la production de blé par continent, et de sa part dans les exportations mondiales, on obtient le tableau suivant : Europe 34,4%, Amérique du Nord 27,1%, Asie 24%, Océanie 7,5%, Amérique latine 6,6% et Afrique 0,1%.

Donc, l'Europe et l'Amérique du Nord - représentant les pays les plus industrialisés et les plus riches - détiennent 61,5% des exportations mondiales de blé. Si l'on considère que les plus grands importateurs de blé sont notamment les pays d'Afrique et d'Asie, les pays les plus industrialisés et impérialistes dominent également le monde en matière d'alimentation de l'humanité. En données de 2019 toujours et en millions de tonnes, les plus grands importateurs de blé sont : l'Egypte (12,0), l'Indonésie (10,4), l'Algérie (7,9), le Brésil (7,2), le Bangladesh (5,9). Ils sont suivis par les pays d'Europe de l'Est et la Turquie, qui achète du blé à l'étranger pour produire des denrées alimentaires et les revendre ensuite.

Le blé est incontestablement l'un des moteurs du commerce alimentaire mondial et, pour de nombreux pays, il est si fondamental que la moindre variation de son prix provoque des protestations et des émeutes, mettant en péril la stabilité de leurs gouvernements. Il suffit de rappeler les émeutes du pain dans la Tunisie de Bourguiba, entre fin décembre 1983 et début 1984, dont la répression a fait pas moins de 80 morts, ou la «guerre de la semoule», dans l'Algérie de Chadli Bendjedid, en octobre 1988, réprimée par les chars de l’armée et qui a fait, selon les chiffres officiels, 162 morts ; et l'augmentation de 400 % du maïs au Mexique, en 2007, qui a provoqué la « révolte des tortillas », faisant descendre dans la rue et dans toutes les villes du pays des dizaines de milliers de manifestants, et obligeant finalement le gouvernement à faire baisser les augmentations ; et de nouveau en Tunisie, entre Noël 2010 et janvier 2011, lorsque le soi-disant « printemps arabe » a éclaté, émeutes qui ont fait pas moins de 50 morts, avec des répercussions immédiates en Algérie et dans tout le Moyen-Orient (3).

En pratique, les prix des céréales augmentent comme tous les prix des matières premières augmentent tendanciellement lorsque leur production entre en crise en raison soit de conflits locaux ou plus larges entre États, soit de  l'augmentation de la consommation de viande même dans des pays où cette habitude alimentaire n'était pas si exagérée (comme en Chine, au Brésil ou en Russie, sans parler des États-Unis), soit aussi à cause de la demande croissante, à partir des années 2000, de bioéthanol utilisé comme carburant alternatif pour les voitures. Par exemple, aux États-Unis, premier producteur mondial de maïs, un tiers de cette récolte est utilisée pour la production d'éthanol, beaucoup plus rentable que la consommation de maïs alimentaire. Et donc, comme le souligne le worldsocialagenda, cité en note de bas de page, « En plus des 7 milliards de personnes qui doivent manger, s’ajoute un milliard de voitures, des millions d'avions et de bateaux, de machines, etc. » La loi du profit capitaliste décide facilement à qui donner la priorité : aux voitures, aux avions, aux bateaux, aux machines, en somme aux infrastructures et à tous ces moyens de production et de consommation qui génèrent des profits élevés. Le fait que pour ces 7 milliards d’habitants de la planète, la moitié d’entre eux survivent dans la misère la plus noire, est considéré par le capital comme un dommage collatéral. Evidemment collatéral au profit capitaliste ! Ainsi, dans l'agriculture, notoirement beaucoup moins développée industriellement, on assiste à un développement comparable à celui de l'industrie particulièrement dans les cas où cette production agricole fait concurrence, en termes de rentabilité des investissements, avec la production alimentaire spécifiquement pour la consommation humaine.

Les situations chaotiques, telles que celles qui viennent d'être évoquées dans cet article, ont émaillé l'histoire du capitalisme depuis des temps immémoriaux. Mais le capitalisme ne les résoudra jamais, ne faisant que les rendre encore plus tragiques.

 


 

(1) Selon un conseiller de l’Elysée, la France serait prête à participer à une « opération » permettant de lever le blocus du port d’Odessa :  «Nous sommes à disposition des parties pour au fond que se mette en place une opération qui permettrait d’accéder au port d’Odessa en toute sécurité, c’est-à-dire de pouvoir faire passer des bateaux en dépit du fait que la mer est minée.» Cf. www.tf1info.

(2) Poutine a fait du blé une quasi-matière première de chantage politique stratégique à ce que l’ONU a appelé les « ouragan de famines ». En 2001, elle produisait 36 millions de blé, en 2006, 45 millions dont 11 pour l’exportation et en 2020 la production de blé atteignait 80 millions de tonnes dont 35 pour l’exportation, c’est-à-dire 21% du marché mondial.

(3) cf. 7.1.2011, www. lastampa.it/ esteri/ 2011/ 01/ 07/ news/ le-precedenti- rivolte- del- pane- in- algeria- e- tunisia- scheda.1.369822068/ ; www. worldsocialagenda.org/3.2-The-revolutions-of-the-bread ; www.ilgiornale.it/ news/messico-scoppia-rivolta-delle-tortillas.html.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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