Paix sociale et guerre impérialiste (1)

(« programme communiste », n° 11, avril-juin 1960)

(«le prolétaire»; N° 544; Mars - Juin 2022)

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Ce texte de synthèse des positions du communisme révolutionnaire sur la nature et les caractéristiques des guerres dans le cours du développement historique de la société bourgeoise, ainsi que sur la ligne théorique et politique de classe que le prolétariat devrait suivre à leur égard, est paru dans notre revue « programme communiste » numéro 11, d’avril-juin 1960. Il faisait écho à l’édito du «programme communiste» précédent de janvier-mars 1960, qui sous le titre « Honte et mensonge de la détente » fustigeait l’illusion d’un nouveau cours pacifiste du capitalisme dans lequel pourrait s’apaiser les tensions et conflits entre les impérialismes dominants ou cherchant à dominer. Cette illusion était portée par la longue visite de Khrouchtchev, premier secrétaire du Comité Central du P.C. de l’Union soviétique, à son homologue américain, le Président Eisenhower en septembre 1959.

Cet édito rappelait donc que : «La vérité est que le capitalisme et la paix sont incompatibles et que la guerre a ses racines non pas dans des volontés humaines, fussent-elles de la classe dominante, mais dans les lois de l’économie capitaliste, qu’aucune volonté humaine ne pourra modifier.»

Aujourd’hui, sous les grondements des canons en Ukraine et en compagnie du spectre d’une nouvelle guerre impérialiste mondiale, ces lignes qui percutent tous les discours bourgeois passés sur la paix ou la coexistence pacifique, prennent toute leur valeur en rappelant aux prolétaires de tous les camps que la guerre actuelle à l’Est de l’Europe n’est pas la leur, mais celle de l’impérialisme mondial dans lequel font partie, avec leurs criantes contradictions, leurs nations «démocratiques» ou «néo-soviétistes».

Les discours pacifistes bourgeois, charlatanesques et métaphysiques, de cette période de grande « réconciliation » et « ouverture » entre ennemis d’hier, avaient comme objectifs en arrière plan le désarmement politique de la classe ouvrière et son alignement sur la paix sociale, bien réelle celle-ci. Mais, passées les brumes de cette fastueuse rencontre hautement incantatoire, l’impérialisme a poursuivi à plus vive allure encore sa marche en avant de la production d’armement classique ou nucléaire, développant dans les deux catégories les technologies les plus sophistiquées et meurtrières, afin de se préparer à des guerres générales qu’il disait pourtant pouvoir éviter dans le dialogue rétabli entre les deux superpuissances. La course aux armements se complétait par la continuation et l’extension des guerres contre les pays cherchant à se libérer du joug colonial et aussi contre ceux, bourgeois et ancrés dans l’économie capitaliste, taxés de « voyous » ou de « terroristes », qui cherchaient à s’affirmer localement envers et contre tous les diktats de la domination impérialiste. Ces guerres sont devenues un champ d’expérimentation de tout cet arsenal mortel, un terrain d’entrainement des stratégies et tactiques militaires et une occasion de jauger son adversaire dans ses capacités militaires et dans sa force à défendre ses intérêts impérialistes et son influence sur le monde.

L’heure est aux discours de guerre, demain certainement les discours de paix reviendront sur le devant de la scène politique et idéologique de la bourgeoisie si le prolétariat ne retrouve pas son terrain de la lutte de classe pour se dresser contre le capitalisme. Mais ils ne feront comme hier que préparer l’avenir à de nouvelles guerres, jusqu’à la guerre mondiale.

 


 

 

Pour les hommes d’Etat comme pour les faiseurs d’horoscopes, pour les politiciens comme pour les bureaucrates syndicaux, l’année 1960 est celle du triomphe de la paix. Il a tout de même fallu un demi-siècle de déchéance du mouvement ouvrier pour qu’une telle paix, à l’ombre de laquelle se développent massacre et exploitation, torture et spoliation, puisse être offerte aux masses atones comme une «victoire des travailleurs».

Autrefois, l’action ouvrière contre la guerre était inséparable de la revendication sociale d’émancipation. Le refus du «sacrifice suprême» sur l’autel de la patrie n’était que le prolongement logique du refus de l’exploitation économique. Les ouvriers, qui n’acceptaient pas que la spoliation de la force de travail fût reconnue naturelle et éternelle se refusaient de la même façon à admettre que les guerres du capitalisme fussent légitimes et sacrées. Mieux encore, ils se promettaient, si la bourgeoisie commettait la folie d’allumer l’incendie belliciste aux quatre coins de l’Europe, de le noyer promptement dans le sang de la révolution sociale.

Cette résolution altière et cet engagement solennel des syndicats et partis ouvriers, c’était il y a cinquante ans. Le spectacle est aujourd’hui bien différent: des dirigeants «communistes» qui, au nom de la paix, abandonnent jusqu’aux revendications les plus élémentaires des travailleurs; des chefs d’Etats pseudo-socialistes qui congratulent les magnats de la finance et des marchands de canons; des dirigeants syndicaux pour lesquels la menace de guerre, bien loin de justifier la révolte sociale, constitue au contraire une raison suprême d’y renoncer; des hommes et des partis, enfin, qui, non seulement ont remplacé l’agitation, la grève, la lutte de classe par les «campagnes de signature» sous le signe de la «Colombe», l’imploration servile d’une paix de misère, mais encore propagent au sein du prolétariat la version la plus vulgaire, la plus hypocrite et la plus fausse de la cause des guerres: la version bourgeoise. L’ignorance des masses, la cupidité des puissants, l’ambition des chefs d’Etat ou, pire encore, l’incompréhension réciproque de peuples que diviseraient des régimes sociaux prétendument différents, voilà l’explication de la guerre et des risques de guerre telle que nous la donnent conjointement la propagande russe et la propagande américaine, M. Khrouchtchev comme M. Eisenhower. Telle que la reprennent à leur compte, démocrates et réactionnaires, «socialistes» et «communistes» au rythme vertigineux des rotatives, dans le tumulte assourdissant des radios...

 

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Depuis le début du mouvement prolétarien, les marxistes n’ont jamais cessé de se battre contre cette «explication». Reprenant à leur compte la fameuse formule de Clausewitz: «la guerre c’est la politique qui continue par d’autres moyens», ils signifièrent clairement à la bourgeoisie capitaliste qu’en tant que révolutionnaires et adversaires acharnés de toute exploitation, ils n’oublieraient jamais en face de toute guerre, et quelle que soit sa motivation immédiate, que la seule cause des guerres modernes réside dans la forme mercantile-capitaliste de production. Pour éclater, pour être conduite à terme, pour se résoudre par une consolidation de cette société, elle exige que soit mis en veilleuse tout autre conflit que celui des protagonistes militaires. Elle est donc incompatible avec la lutte de classe qu’elle doit au préalable bâillonner. Si ce résultat est atteint, si le prolétariat s’est laissé prendre aux «raisons» qu’on lui a données en faveur de l’union sacrée, si ces partis ont accepté le principe d’un intérêt supérieur à celui de la révolution ouvrière (droit, civilisation, patrie et démocratie, etc.) peu importe alors, pour les classes exploitées, quel est l’Etat qui sort vainqueur du conflit: de toute façon c’est le CAPITALISME qui a gagné. C’est pourquoi le vrai parti prolétarien ne se définit pas vis-à-vis de la guerre ou de la paix en général, mais vis-à-vis du capitalisme, qui se concilie et s’accommode aussi bien avec l’une qu’avec l’autre de ces deux faces, également odieuses, également infâmes, de la domination bourgeoise.

 

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Etant admis - nous allons voir comment et pourquoi - qu’il y eut des guerres nécessaires et progressives, la grande question qui se pose est de décider si de telles guerres, que le prolétariat doit appuyer de toutes forces et non pas condamner, sont encore aujourd’hui possibles. Disons tout de suite, pour nous délimiter de l’opportunisme qui a infecté deux Internationales tout entière, que, ni la première guerre mondiale de 1914-18, ni la seconde de 1939-45, ne peuvent être classées, sous quelque prétexte que ce soit, dans cette catégorie. Ces secousses formidables, qui mobilisèrent des masses sociales considérables dans les armées régulière ou dans les rangs des «partisans», n’en furent pas moins des conflits sordides entre pouvoirs capitalistes se disputant de la force de travail à exploiter, des ressources naturelles à piller, des marchés à dominer. Abominables boucheries, elles ne vinrent à bout d’Etats militaires armés jusqu’aux dents que pour consacrer la victoire de la forme la plus rapace de l’exploitation capitaliste, dont la citadelle n’était située ni dans le militarisme prussien, ni dans l’hitlérisme fasciste, mais au cœur de la coalition démocratique dominée par la force anglo-yankee.

Cette condamnation des deux guerres mondiales, dont le caractère impé­rialiste ne peut, selon nous, être de bonne foi discuté, ne nous interdit pas, bien au contraire, d’admettre qu’il y eut et qu’il y a encore des guerres légitimes. Ici, en effet, les marxistes se délimitent très nettement des pacifistes, qui n’ont pas seulement le tort d’être «bêlants», impuissants et sans écho, mais celui d’agir sur un plan idéologique de non-violence qui implique l’acceptation des véritables causes de la guerre moderne: l’existence de la société capitaliste. Cela les amène toujours, soit à rallier en dernière instance l’un ou l’autre des camps militaires en présence, comme le firent plusieurs d’entre eux au cours de la dernière guerre en optant pour un pro-hitlérisme larvé ou en devenant «d’authentiques résistants», soit à allonger la liste d’un martyrologue stérile que l’Etat bourgeois, dans les pays anglo-saxons, se préoccupe même d’officialiser en rendant légale une certaine «objection de conscience». Le marxisme, tout à l’opposé, étudie chaque conflit militaire, non pas en fonction de principes d’humanité abstraits et creux, mais en étudiant sa portée et ses conséquences au point de vue des intérêts du prolétariat c’est-à-dire du socialisme. Or le socialisme n’est pas seulement étranger aux valeurs classiques de la société bourgeoise: la liberté, la démocratie, l’intégrité nationale; il se doit de les détruire sous peine de ne jamais exister. La liberté ce n’est jamais que celle des riches et des puissants. La démocratie n’est qu’une nivellation illusoire, l’abolition de privilèges anachroniques qui ne disparaissent que pour céder la place aux privilèges mille fois plus exorbitants du capital. L’intégrité nationale ce n’est rien d’autre que la sauvegarde du cadre social et historique qui garantit ces privilèges. En un mot ces principes idéologiques, cette structure de l’économie, du droit et de l’administration civile, que chacune des deux dernières guerres affirma vouloir défendre jusqu’au dernier souffle, n’intéressent, dans l’absolu, que la classe bourgeoise, donc l’ennemie directe de celle des travailleurs (ou du prolétariat).

Il y eut pourtant toute une phase historique, relativement longue, au cours de laquelle le prolétariat fut directement intéressé au triomphe de la bourgeoisie sur les anciennes classes aristocratiques, et où son parti l’ «Association Internationale des Travailleurs», préconisa ouvertement l’appui des ouvriers à toute lutte pour le renversement de l’absolutisme monarchique, la conquête des libertés bourgeoises, la constitution ou la défense des unités nationales. A cette tactique il y avait deux raisons primordiales, l’une d’ordre économique et social, l’autre d’ordre politique et historique. D’une part le socialisme est impossible sans le développement massif, à l’échelle mondiale, de la seule classe capable de le réaliser: le prolétariat. Pas de prolétariat sans capitalisme; pas de capitalisme sans révolution bourgeoise «libérant» la main-d’œuvre enfermée dans les rapports de droit personnel ou dans l’organisation corporative. D’autre part, c’est seulement sous le régime démocratique, avec l’épanouissement de l’activité politique caractéristique des sociétés modernes, que s’affrontent en toute clarté les intérêts antagoniques du prolétariat et de la bourgeoisie.

Sans nous étendre ici sur les conditions que posait le parti prolétarien à un appui momentané (à l’échelle historique s’entend) aux révolutions bourgeoises et aux mouvements- d’unification nationale, précisons tout de suite que cet objectif d’instauration des formes capitalistes de production et de la structure politique correspondante n’a jamais été, pour les marxistes, une fin, mais une étape qu’il fallait franchir, non pas pour s’endormir dans le pseudo-paradis de la «démocratie», mais au contraire pour en précipiter la destruction. Cet appui aux mouvements nationaux et démocratiques-bourgeois disparaît dès que cette étape est réalisée, dès que les pays où il s’est manifesté sont définitivement acquis au mode capitaliste de production. Pour cette raison, et après une expérience terrible et meurtrière de la félonie bourgeoise par les prolétaires anglais, allemands et français, le soutien des mouvements et des guerres nationales s’éteint dans les flots de sang de la Commune de Paris en 1871, après laquelle tout «front commun» entre bourgeoisie et prolétariat dans l’Europe capitaliste d’occident est une trahison de la cause révolutionnaire et socialiste. Marx l’exposa lumineusement dans un de ses plus brillants pamphlet: le massacre des Communards parisiens a consigné, pour cette partie du monde, l’élimination définitive de toute guerre nécessaire et progressive. Cette ligne de partage de l’histoire, que reproduit fidèlement le véritable programme communiste, n’est pas une déduction purement théorique, c’est l’expression d’un grand fait historique: l’impératif politique de la défense des frontières nationales, «ce dernier acte d’héroïsme dont est capable la vieille société», la bourgeoisie y renonce délibérément dès 1871, faisant passer d’abord la défense de ses privilèges de classe, n’hésitant pas à traiter avec le chef des armées ennemies, comme le fit alors Thiers auprès de Bismarck, pour pouvoir se retourner contre son propre prolétariat. Ce dernier, qui n’a soutenu le mouvement d’unification nationale que pour autant qu’il développait ses propres forces de classe grâce à la généralisation des forces productives capitalistes, ne va pas supplanter la bourgeoisie dans cette tâche dès lors que le capitalisme est instauré et qu’il s’agit désormais de l’abattre.

La démission de la bourgeoisie en tant que classe révolutionnaire s’accentue d’ailleurs et se démasque par la suite en liaison avec le phénomène central du XXe siècle: l’impérialisme. La bourgeoisie se gardera bien, c’est évident, d’avouer que ses guerres ne sont plus désormais que des guerres de rapine et de conquêtes. Pour en masquer les buts elle continuera à invoquer la défense du sol sacré de la patrie et des conquêtes sociales qu’elle a réalisées il y a un siècle et ne cesse depuis de bafouer. Mais ce ne seront que vils prétextes pour violer le sol non moins sacré des autres patries, pour leur imposer son propre joug, soit par une brutalité militaire qui égale et surpasse celle des troupes des anciennes monarchies, soit par l’hypocrite domination économique du grand capital qui, ne se contentant plus du domaine de la vieille Europe, exerce désormais ses ravages sur les autres continents, réduit en esclavage des populations entières, pille les richesses naturelles de l’Afrique et de l’Asie, dans ses colonies.

 

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Mais cette exploitation impérialiste, en dépit de ses lenteurs et de ses contradictions, joue malgré elle un rôle révolutionnaire considérable, en ce qu’elle éveille à la vie politique moderne des populations jusque-là fermées à tout mouvement massif d’émancipation sociale. Et ce phénomène a pour résultat de faire subir à toutes les «valeurs» idéologiques bourgeoises un curieux renversement qui vient à point confirmer l’analyse marxiste et sa perspective révolutionnaire. Les populations coloniales assujetties réclament-elles à leur tour les droits politiques que revendiquèrent, il y a un siècle, les peuples d’Europe? La bourgeoisie démocratique y répond par la calomnie et la violence répressive: l’indépendance des peuples d’Asie et d’Afrique n’est qu’un rêve utopique exploité par des «agitateurs» stipendiés. La sacro-sainte liberté du travail, qui procura au capitalisme européen son armée industrielle de faméliques salariés, vient-elle à se retourner contre l’exploitation coloniale privée d’une main-d’œuvre qui déserte les grands domaines ou l’industrie des cités-champignons? La bourgeoisie blanche y répond par la contrainte, le service du travail obligatoire ou l’amende que l’indigène ne peut payer et qui le voue aux travaux forcés sur la terre du colon. Les colonisés, enfin, se décident-ils à revendiquer la souveraineté nationale, à l’instar des peuples d’Europe asservis autrefois par les dynasties? Ce n’est là que rébellion sauvage, atteinte à «l’intégrité du territoire». La bourgeoisie, ainsi, écrit avec le sang et par les armes, sa propre définition, rigoureusement conforme à celle qu’en donnait le «Manifeste des Communistes»: la liberté c’est celle d’exploiter toute force de travail, de gré ou de force, la nation c’est le champ de cette exploitation, et l’Etat national l’instrument d’oppression qui la garantit.

Mais pour le prolétariat international, classe révolutionnaire, universelle, qui entend libérer l’humanité de toute exploitation et de tout esclavage, lorsque les peuples assujettis par l’impérialisme en viennent à prendre les armes, les guerres qu’ils mènent ne sont-elles pas nécessaires et progressives? N’est-elle pas légitime la révolte contre un système qui double l’exploitation économique de l’oppression raciale et, pire encore, renforce la première en consacrant la seconde? Toute une génération de socialistes réformistes l’a ignoré, se bornant à revendiquer l’égalité de droits entre les indigènes exploités et les «citoyens» de la métropole et masquant ainsi le revers sordide du mot d’ordre de «sauvegarde de la paix», à l’ombre duquel s’accomplissent journellement mille et une ignominies qui n’ont rien à envier à celles qui sont monnaie courante en temps de guerre. Pendant que les grandes puissances financières et industrielles d’Occident dépeçaient les autres continents, transplantant des populations entières et les réduisant à l’esclavage par l’usage alternatif du gourdin et de l’encens religieux des missionnaires, c’était bien, en effet, la paix qui régnait dans les métropoles repues où une bourgeoisie insolente et sotte étalait son luxe sous les yeux d’un prolétariat affamé et trahi par ses chefs mais conservant encore assez de sens de la solidarité internationale pour se dresser contre le brigandage colonialiste. Qu’à cette époque déjà la révolte des peuples de couleur ait été, bien qu’infructueuse, socialement justifiée, qu’elle ait répondu à une nécessité historique, cela apparaît aujourd’hui de façon lumineuse, au moment où les pays hier encore assujettis arrivent enfin, en dépit des vicissitudes et des trahisons, à la souveraineté nationale, qui n’est certes pas la fin de leurs misères sociales, l’objectif suprême que les bourgeoisies indigènes, à l’instar de celles d’Europe il y a deux siècles, voudraient assigner à la révolte populaire, mais qui, en créant et développant de nouveaux capitalismes, crée et développe de nouvelles armées de prolétaires pour le socialisme. Si ce mouvement avait eu la même ampleur il y a quarante ans, si à l’appel du prolétariat d’Europe réveillé par la révolution russe d’Octobre avait répondu la levée en masse des millions d’exploités d’Asie et d’Afrique, il est bien sûr que l’impérialisme aurait perdu la partie, que le capitalisme n’aurait pu résister à l’assaut prolétarien, que la contre-révolution stalinienne ne se serait pas produite et que le socialisme aurait déjà libéré au moins l’ancien continent et ses colonies.

 

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C’est ici qu’il convient de se référer à une formule fondamentale de Lénine, celle que les imposteurs de Moscou ont dû falsifier et dénaturer avec le plus d’acharnement pour pouvoir impunément continuer à se réclamer du marxisme et du communisme au moment où ils en bafouaient les principes en adhérant à la plus ignoble et inacceptable des guerres. Lénine appelait guerre juste toute guerre se dressant contre l’exploitation des pays arriérés ou colonisés par les puissances impérialistes et toute révolte armée dirigée contre les dynasties ou pouvoirs de nature féodale qui, complices et points d’appui pour l’asservissement de ces pays par le capital européen, en retardait le développement économique et y maintenaient des formes barbares et anachroniques (1). Il appelait par contre guerre injuste tout conflit résultant de la concurrence entre puissances capitalistes et de la compétition pour un nouveau partage des territoires que le capital domine, soit par la coercition militaire alliée au maintien des vieilles formes despotiques locales, soit par l’étroit réseau des intérêts financiers. Cette classification se dressait résolument contre les concepts bourgeois de «légitime défense» et du «premier agresseur». Elle plaçait au premier plan le caractère général de la guerre qui venait d’exploser: une guerre impérialiste entre «gros propriétaires d’esclaves» «pour un plus «juste» partage des esclaves» (2). Il est possible, il est fatal que dans de telles guerres des nations de l’un ou l’autre des camps militaires en présence se trouvent véritablement asservies, occupées par les troupes de l’autre belligérant. Mais cela ne change rien au caractère général de la guerre et n’autorise pas à la considérer pour autant comme «juste» ou «défensive». La guerre de 1914-18, expliquait Lénine, était impérialiste parce qu’il ne s’agissait en fait, ni du sort particulier du territoire national proprement dit des uns ou des autres belligérants, ni de leur souveraineté nationale, mais de leur butin colonial, de l’ampleur et des limites de leur champ respectif d’oppression et d’exploitation. Il s’agissait, pour les impérialismes riches et comblés de conserver le fruit de leurs rapines coloniales, pour les impérialismes jeunes et encore mal servis, de le leur ravir. Et «il n’appartenait pas aux socialistes d’aider un brigand plus jeune et plus vigoureux à piller des brigands plus vieux et plus repus (3).» A ceux qui invoquaient l’invasion de la Belgique en 1914 pour justifier leur adhésion à l’union sacrée patriotique, Lénine rétorquait qu’il était bien vrai que le sol de la Belgique avait été violé par l’armée allemande, mais que dans ces conditions, c’est-à-dire dans les conditions d’une guerre impérialiste, «il est impossible d’aider la Belgique autrement qu’en aidant à étrangler l’Autriche ou la Turquie». (4) Et il ajoutait: «Que vient donc faire ici la «défense de la patrie»? Cette patrie qui ne peut être défendue que par l’écrasement des autres patries, c’est-à-dire non seulement des pays belligérants, mais encore des pays opprimés, dont les impérialismes rivaux se disputent la domination par la guerre précisément.

Il n’est que trop vrai que la propagande belliciste et chauvine de la bourgeoisie se renforce des conséquences même du désastre qu’elle a provoqué: les populations militairement occupées et aux prises avec les mille misères et vexations qui en découlent sont forcément portées à oublier les responsabilités de leurs propres dirigeants dans la guerre et le caractère d’exploitation et d’oppression de classe du pouvoir d’Etat qui les appelle à la lutte contre l’envahisseur. Ce qui constitue une raison supplémentaire pour les révolutionnaires de dénoncer avec force le caractère historique et social de l’holocauste que subit tout le prolétariat international. «Quiconque, concluait Lénine, justifie la participation à cette guerre perpétue l’oppression impérialiste des nations. Quiconque veut exploiter les difficultés actuelles des gouvernements en ayant pour but la révolution sociale défend réellement la liberté réelle des nations, liberté qui n’est réalisable qu’en régime socialiste.

 

(à suivre)

 


 

(1) La brochure «Le socialisme et la guerre» (Editions Sociales 1952) recueil d’articles écrits en 1915 par Lénine formule cette position d’une façon qui ne laisse place à aucune équivoque: «L’époque 1789-1871 a laissé des traces profondes et des réminiscences révolutionnaires. Avant le renversement de l’absolutisme et du joug étranger, il ne pouvait être question du développement de la lutte du prolétariat pour le socialisme. Parlant du caractère légitime de la guerre «défensive a par rapport aux guerres d’une telle époque, les socialistes ont toujours eu précisément pour but une révolution contre le régime médiéval et le servage. Les socialistes ont toujours entendu par guerre «défensive» une guerre «juste» dans ce sens. C’est dans ce sens seulement que les socialistes reconnaissaient et continuent de reconnaître le caractère légitime, progressif, équitable de la «défense de la patrie» ou d’une guerre «défensive». Par exemple, si demain le Maroc déclarait la guerre à la France, l’Inde à l’Angleterre, la Perse ou la Chine à la Russie, ce seraient des guerres «justes», «défensives», quel que soit le premier agresseur, et tout socialiste montrerait de la sympathie pour la victoire des Etats opprimés, dépendants, ne jouissant pas de la plénitude de leurs droits, sur les «grandes» puissances oppressives, esclavagistes, spoliatrices.» (Page 6.)

(2) Ouvrage cité page 7.

(3) Ouvrage cité page 9.

(4) Ouvrage cité page 11.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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