Rapports à la réunion générale

(14-15 mai 2022 à Milan)

Dans la continuité du travail collectif du parti guidé par la boussole marxiste pour la préparation du parti communiste révolutionnaire de demain

(«le prolétaire»; N° 545; Juillet - Août 2022)

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Ces deux dernières années, les mesures forcées d’isolement et de restrictions de déplacement prises par l’ensemble des Etats européens dans leur soi-disant « lutte contre le Covid-19 », nous avaient placé dans l’impossibilité de réunir en présentiel le parti. Ces mesures levées, nous avons donc pu nous rencontrer et reprendre le cours régulier des réunions générales.

Sous le prétexte du Coronavirus SARS-CoV-2, les bourgeoises de chaque pays avaient établi un contrôle social qui emprisonnait le prolétariat dans les mailles d’une collaboration de classe destinée à faire face à la récession économique apparue bien avant l’arrivée de la pandémie et qui empêchait les couches prolétariennes les plus combattives d’exprimer dans la lutte leurs réactions spontanées aux conditions de vie et de travail de plus en plus intolérables pour elles, particulièrement pour les immigrés, les précaires et les chômeurs.

Plongées dans une situation de crise de surproduction naissante et ne pouvant d’aucune manière stopper les facteurs de crise que le mode de production capitaliste génère cycliquement, les grandes bourgeoisies impérialistes ont saisi l’occasion de l’épidémie du SARS-CoV-2 pour tester la capacité de leurs appareils d’Etat à mettre en place des mesures permettant d’enrégimenter de larges masses. Parmi ces méthodes autoritaires, caractéristiques de ce qu’exigent les « temps de guerre », se comptaient les confinements, la vaccination obligatoire, les pass vaccinaux, la suspension du travail et des salaires pour les non-vaccinés. Si en temps de guerre, les entreprises d’armement bénéficient des bonnes affaires, en temps de pandémie, ce sont les entreprises pharmaceutiques qui empochent de gigantesques profits. Pour la bourgeoisie au pouvoir, dans les deux cas, celui de la « défense de la patrie » contre un ennemi visible ou celui de la « défense contre le coronavirus », contre un ennemi invisible, il est fondamental que les grandes masses prolétariennes obéissent sans résistance aux ordres, dans les usines comme dans la vie sociale. Il va sans dire qu’en « temps de guerre », elles veulent des gouvernements forts et capables de prendre rapidement des décisions impopulaires, en contournant les débats parlementaires si chers aux partis démocratiques et collaborationnistes mais qui sont autant d’obstacles à l’efficacité de leur action.

Cela révèle comment la démocratie si vantée, présentée comme valeur irrépressible et dont la défense justifie toutes les sortes d’autoritarismes, joue en réalité un rôle exclusivement mystificateur, utile seulement pour tromper les naïfs. Jamais la bourgeoisie ne fera passer les intérêts du « peuple » avant ses intérêts de classe, et encore moins ceux du prolétariat. En certaines périodes de crise, la collaboration politique et sociale à laquelle elle prétend, qu’elle demande et qu’elle impose, sert à renforcer sa domination de classe. En période d’expansion économique, les amortisseurs sociaux constituent le lubrifiant de la collaboration de classe ; ils s’appliquent alors à toutes les couches de la population et au prolétariat en particulier, tandis qu’en période de crise ils ne sont assurés que pour des couches sociales sélectionnées, parmi lesquelles les couches de l’aristocratie ouvrière, parce qu’elles s’identifient plus au mode de vie petit-bourgeois et parce qu’elles ont une influence certaine sur les grandes masses prolétariennes en représentant une échelle sociale que chaque prolétaire pourrait s’imaginer gravir individuellement. D’une part, les amortisseurs sociaux ont exercé la fonction d’apaiser les tensions sociales, d’autre part ils ont été le terreau du collaborationnisme interclassiste.

Nous ne nions assurément pas que historiquement les luttes des travailleurs, revendiquant toute une série de mesures économiques et sociales visant à stabiliser leur vie professionnelle quotidienne, n’ont pas eu un poids dans les décisions que les bourgeois ont prises dans leur politique sociale. Mais il ne faut pas oublier qu’en fait c’est le fascisme qui, en les institutionnalisant, a mis en œuvre les mesures sociales que le réformisme avait avancées depuis longtemps. Et il l’a fait  après avoir vaincu les masses prolétariennes dans la guerre de classe et détruit leurs organisations de défense économique et sociale. Ce n’est qu’après cette victoire, par l’action des forces de conservation et des fascistes en particulier, que la bourgeoisie dominante a fait sienne la politique des amortisseurs sociaux afin d’attirer à elle les masses prolétariennes déjà repliées du front de la lutte des classes et de réduire au silence leurs exigences immédiates. Les démocraties impérialistes et post-fascistes n’ont fait que reprendre la même politique sociale de classe pour renforcer la collaboration de classe qui, combinée avec l’usage de la force de l’Etat, a été l’arme décisive utilisée par la bourgeoisie contre le prolétariat.

Mais les concessions faites par la bourgeoisie ne sont pas gratuites; tant pour la bourgeoisie que pour le prolétariat, elles ont un coût. Pour la bourgeoisie, cela signifie acepter une limitation de son extorsion de la plus-value du travail salarié, et donc une limitation dans l’accumulation de profits, au bénéfice de la collaboration de classe et de la paix sociale. Pour le prolétariat, ce coût est une concurrence accrue entre les travailleurs et donc une plus grande flexibilité aux exigences de la production capitaliste en fonction des cycles d’expansion ou de récession. Et lorsque les masses prolétariennes cèdent à ces exigences du capital, non pas occasionnellement mais durablement, alors la bourgeoisie commence à retirer progressivement les concessions qu’elle a accordées auparavant. Surtout en temps de crise! Et c’est bien ce qui se passe depuis quarante ans, c’est-à-dire depuis que l’économie capitaliste mondiale, ayant atteint le sommet de son expansion après la seconde guerre mondiale impérialiste, en 1975-1980, a commencé à être secouée par les soubresauts qui l’ont conduite à subir des crises économiques et financières de plus en plus sévères.

Au cours du développement historique à partir de la fin de la deuxième guerre impérialiste mondiale, dans une Europe déchirée par la guerre, poussées par leur nature à une concurrence toujours plus grande et par la recherche de grandes quantités de capitaux pour la «reconstruction post-guerre», les bourgeoisies ne pouvaient que se vendre aux Etats-Unis d’Amérique et à la «dictature du dollar», renforçant ainsi une alliance qui avait fonctionné dans la guerre contre l’Allemagne, l’Italie et le Japon et qui s’est imposée comme un bloc occidental antisoviétique indispensable face aux visées impérialistes de Moscou sur les pays d’Europe orientale et d’Asie.

Cependant, en s’appuyant sur le formidable développement industriel des pays européens et de l’Allemagne en particulier – bien que partagée en deux sous l’occupation militaire des deux blocs impérialistes opposés – et sur l’objective nécessité de la concurrence sur les marchés internationaux (dont le marché «Europe» représentait un morceau de choix pour chaque impérialisme), les pays européens, au sein de l’Alliance atlantique dirigée par Washington, se sont organisés en une communauté économique européenne qui leur permettait de profiter eux aussi d’un marché dont ils faisaient partie intégrante.

Les rivalités économiques, financières, commerciales et de domination impérialiste, soit en Europe soit ailleurs dans le monde, n’ont certainement pas disparu avec le Marché commun européen; mais, facilitée par la contigüité de nombreux pays hautement industrialisés, cette réalité économique a acquis avec le temps un pouvoir réel en termes monétaires et politiques, et en dépit du fait que politiquement l’Union européenne n’est pas une unité étatique comme les Etats-Unis, la Russie ou la Chine.

A un certain moment du développement des contradictions inter-impérialistes, c’est la concurrence capitaliste mondiale qui a poussé les plus importants pays européens à contracter des alliances économiques, financières, commerciales et politiques pour défier la puissance de Sa Majesté le dollar en émettant une nouvelle monnaie, l’euro, représentant plus directement les intérêts du marché européen. En l’espace de vingt ans, cette monnaie s’est surtout imposée sur le marché européen, mais elle a l’ambition de jouer un rôle plus important sur les marchés internationaux, chose certainement difficile puisque sa vie financière ne dépend pas d’un seul centre de décision, mais des accords que les plus puissants pôles économico-financiers européens parviennent ou non à conclure.

Le talon d’Achille de l’euro se trouve dans les transactions internationales. Aujourd’hui encore, comme monnaie de réserve, le dollar représente 62% de la masse mondiale contre 20% pour l’euro. Et il ne faut pas oublier que sur le marché des matières premières, pas seulement énergétiques, le dollar est la monnaie de référence. L’Union européenne voudrait bien se donner un rôle politique égal à celui des Etats-Unis ou de la Chine, mais c’est un fait qu’il lui manque la force d’une unité étatique, même si la force de l’alliance politique actuelle entre les Etats européens n’est pas forcément négligeable.

Mais comme le montrent les querelles économiques toujours prêtes à s’allumer chaque fois que l’intérêt national de l’une ou l’autre des puissances européennes est mis en danger, cette alliance des pays est appelée à entrer en conflit non seulement avec l’alliance plus large et militaire que représente l’OTAN (dont le leadership américain n’a jamais été remis en cause), mais également entre les pays européens eux-mêmes qui, logiquement, ont des poids économiques et politiques très différents entre eux. Pour comprendre à quel point l’UE est cycliquement sur le fil du rasoir, il suffit de penser à l’Allemagne avec ses hauts et ses bas économiques : si l’économie allemande est saine, celle des autres pays européens, qui dépendent de ses relations commerciales et de sa compétitivité dans le monde, l’est aussi ; si au contraire, elle connait des difficultés, tous les autres en souffrent, bien que de manière différente, car ils sont contraints pour leurs importations et exportations de s’orienter vers d’autres marchés sur lesquels d’autres acteurs sévissent déjà et depuis longtemps, Etats-Unis en tête !

Même à une époque où les crises économiques ont poussé les impérialismes occidentaux à conclure des accords encore plus étroits entre eux (mais toujours sous le constant chantage des Etats-Unis (comme l’a démontréTrump), ce bref aperçu général permet de comprendre comment les lois fondamentales du capitalisme ne sont pas maitrisables, même par la plus forte puissance impérialiste et même par un hypothétique super-impérialisme : comme le montre amplement la succession des crises depuis les années 1980, les facteurs de plus en plus puissants des crises économiques et financières, congénitales au mode de production capitaliste, feront voler en éclats les plans d’une future coexistence mondiale pacifique entre les géants impérialistes.

Les guerres du Moyen-Orient des années 1980-1990 ont servi de toile de fond à la conquête par l’OTAN des pays de l’Europe de l’Est, libérés du talon de fer russe avec l’effondrement de l’Union soviétique, mais totalement impuissants à gagner leur « indépendance » vis-à-vis de Moscou, sans se mettre sous la dépendance directe de Washington et de ses puissants partenaires britannique, français et allemand.

C’est dans ce cadre que les impérialistes atlantistes ont tenté de « normaliser » un Moyen-Orient et une Afrique du Nord soumis à de perpétuels séismes économiques, politiques et guerriers, et de s’implanter en Asie à proximité de la Chine et de l’Océan Indien, notamment en Afghanistan, sous prétexte de lutte contre le terrorisme islamique. Mais, tant dans le premier cas que dans le second, la normalisation de l’impérialisme atlantiste a échoué; et c’est en raison de cet échec que la Russie a tenté de sortir de l’étau dans lequel elle était enfermée sur son front occidental, en reprenant, sinon toute l’Ukraine, du moins sa partie orientale la plus russophile.

Pour la énième fois, la guerre est le moyen auquel recourt toute puissance impérialiste, autant pour se défendre contre la concurrence des autres impérialismes, que pour conquérir de nouveaux marchés, passage obligé pour tenter de surmonter les crises constantes de surproduction qui saisissent l’économie de chaque pays.

La guerre russo-ukrainienne est là pour montrer que ce n’est pas la volonté d’un Poutine ou d’un Zelensky, tous deux oligarques et tous deux doublement liés à des intérêts capitalistes contradictoires, qui « déclenche » une guerre que personne n’aurait voulue… Ce sont les intérêts des capitalismes nationaux respectifs qui attisent la guerre, auxquels s’ajoutent les intérêts convergents vers l’un ou l’autre des belligérants des autres puissances impérialistes qui en tirent profit pour faire de grandes affaires, que ce soit pendant la guerre elle-même (et plus dure elle est, plus fructueuses elles sont) ou après celle-ci; et finalement tous en profitent pour tester leurs armes de haute technologie et jeter les bases politiques des futurs traités et alliances.

La revendication d’une «souveraineté territoriale» par les petites nations destinées à subir les agressions et les amputations territoriales des grands monstres impérialistes est un drapeau terni. Servie avec la revendication des valeurs de la démocratie et de la civilisation, elle ne sert qu’à duper les masses prolétariennes qui, dans la guerre bourgeoise, sont asservies dans les usines et transformées en chair à canon pour défendre des intérêts purement bourgeois, donc capitalistes. Mises au service de ces intérêts, elles continueront à être asservies au travail salarié et à des Etats dont la fonction n’est autre que de les plier aux besoins de leur capitalisme national respectif.

Le travail que nous consacrons au cours mondial de l’impérialisme et qui a fait l’objet d’un des rapports de la dernière réunion générale, sert précisément à confirmer une tendance générale que le marxisme connait bien et dont il est utile de souligner certains aspects qui nécessairement demandent des explications.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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