Rapports à la réunion générale

(14-15 mai 2022 à Milan)

L’économie mondiale en 2022:

De l’espoir de nouvelles «roaring twenties» à la crainte de la «stagflation»

(«le prolétaire»; N° 545; Juillet - Août 2022)

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Nous publions ci-dessous le schéma du rapport sur l’économie mondiale à la Réunion Générale du parti ce printemps. Les quelques mois qui se sont écoulés depuis n’ont fait que confirmer les tendances au ralentissement, après le rebond qui a caractérisé la phase post-pandémie. Les Etats-Unis ont enregistré 2 trimestres successifs de recul du PI, ce qui en Europe est conventionnellement le signe d’une récession ; l’économie chinoise selon des déclarations officielles « rencontre des difficultés » pour continuer à croître tandis qu’en Europe, les risques de récession se précisent – au point que même le FMI commence à parler d’un risque de récession mondiale pour 2023.

Parallèlement l’inflation s’envole y compris dans les grands pays capitalistes, à commencer par les Etats Unis et l’Europe où elle est supérieure à 8%, le record étant détenu par la Grande Bretagne avec un taux supérieur à 10% en juillet.

C’est ce climat de crise qui alimente les fièvres guerrières, mais aussi un renouveau des luttes ouvrières particulièrement spectaculaire outre-manche. Cependant il se traduira inévitablement par une aggravation des attaques anti-prolétariennes.

 

 

La reprise économique vigoureuse qui a marqué l’année 2021 après la chute historique de la production en 2020 a provoqué une vague d’enthousiasme parmi les économistes ; au point que nombre d’entre eux (à la suite de l’influent hebdomadaire économique britannique The Economist) affirmaient que le monde entrait dans une nouvelle époque de « roaring twenties » (les dites « années folles »), la décennie d’expansion économique, surtout aux USA, qui commença au début des années vingt du siècle dernier. On pourrait opportunément rappeler aux idéologues du capitalisme que cette décennie de croissance forcenée déboucha sur la plus grave crise économique capitaliste du début des années trente et à la guerre mondiale ; mais nous allons voir que la perspective d’années d’une longue et forte croissance économique s’est vite évanouie.

Dans la continuité du rapport précédent, donnons les chiffres des organisations internationales : ceux de la croissance du PIB fournis par le FMI (World Economic Outlook, avril 22) pour 2021 (rappelons que ces chiffres sont plus ou moins sujets à caution selon les pays).

 

Europe :

1) zone euro : 5,3 %; Allemagne : 2,8% ; Espagne : 5,1% ; France : 7% ; Italie : 6,6% ; Grèce : 8,3% . On voit que la locomotive de l’Europe, l’Allemagne, étrangement « freine » au contraire la reprise ; ceci s’explique par la plus grande importance économique dans le pays du sud de l’Europe du secteur dit « tertiaire », comme les activités liées au tourisme, qui avaient les plus impactées par les restrictions liées à la pandémie : la levée de ces restrictions entraîne automatiquement une reprise économique plus forte, alors que l’industrie allemande peine à trouver des débouchés.

2) hors zone euro : Grande Bretagne : 7,4% ; Pologne : 5,7% ; Russie : 4,7% ; Suisse : 3,7% ; Ukraine : 3,4%

Amérique du Nord :

USA : 5,7% ; Canada : 4,6%

Amérique Latine :

Argentine : 10,2% ; Brésil : 4,6%; Chili : 11,7% ; Colombie : 10,6% ; Mexique : 4,8% ; Venezuela : -1,5%

Asie :

Chine : 8,1% ; Corée du Sud : 4% ; Indonésie : 3,7% ; Inde : 8,9% ; Japon :1,6%

Moyen Orient et Afrique :

Afrique du Sud : 4,9% ; Algérie : 4,0% ; Egypte : 3,3% ; Arabie Saoudite : 3,2% ; Iran : 4% ; Nigéria : 3,6% ; Turquie : 11%

 

Cette croissance du PIB des différentes nations se reflète dans la croissance du commerce mondial.

 Les estimations de la chute en 2020 du commerce mondial des marchandises en volume (les variations en volume donnent une image beaucoup plus fidèle de la réalité que les variations en valeur couramment utilisées, étant donné les variations de la valeur des grandes monnaies) varient selon les institutions, de 4,2 % (SP) à 5,3% (OMC/WTO), ou à 8,4% selon le FMI (en y ajoutant les services), soit moins que lors de la crise de 2008-2009 (-7,8% pour les seules marchandises).

Pour 2021 les estimations de la croissance du commerce mondial vont de 8,3% pour la Banque Mondiale (incluant les services) à 10,8% pour l’OMC (après la crise précédente la croissance avait atteint les 11% en 2010).

Quoi qu’il en soit de la validité de ces diverses estimations, elles peignent l’image d’une reprise économique vigoureuse. Celle s’explique d’une part comme nous l’avons dit de la réouverture de secteurs arrêtés pendant la crise sanitaire, mais la cause principale est l’injection massive de capitaux et la création monétaire pour doper l’économie en souffrance et protéger les institutions financières des terribles chocs subis en 2008-2009. 

Si ces injections de capitaux ont largement alimenté la spéculation et propulsé les bourses mondiales vers des records historiques qui risquent à tout moment de déboucher sur des krachs, elles ont cependant réussi à faire redémarrer l’économie et à empêcher un effondrement du système financier ; mais ces interventions étatiques ont conduit à un endettement colossal : selon le FMI (15/12/21), l’endettement public (endettement des Etats) ainsi que, dans une moindre mesure, l’endettement privé, ont connu en 2020 une croissance sans précédent depuis la dernière guerre mondiale, pour atteindre le chiffre record d’un endettement global (public et privé) de 226 000 milliards de dollars (équivalent à 256% du PIB mondial).

Les interventions étatiques ont continué en 2021 et l’IIF (Institut de la Finance Internationale, association de grandes banques et institutions financières de plus de 70 pays) estimait en février 2022 que l’endettement global avait atteint l’année dernière plus de 300 milliards de dollars, le tiers de celui-ci venant des pays « émergents ».      

 

« Stagflation » ?

 

Dès le début de 2021 les premiers signes d’inflation apparurent ; mais ils furent considérés par les dirigeants des grands Etats et des Banques Centrales comme temporaires et sans gravité. Pour y voir un peu clair il n’est pas inutile de rappeler quelques points élémentaires.

1) La concurrence entre entreprises se traduit normalement  par une course à la baisse du prix de production des marchandises produites (à la suite d’innovations technologiques, de recours à des matières premières moins chères, de l’augmentation de la productivité, notamment par la baisse des « coûts » salariaux, etc.) ; cette baisse peut se traduire par une baisse du prix du marché des marchandises produites par l’entreprise qui a réussi à la réaliser, afin d’augmenter sa part de marché au détriment de ses concurrentes ; ou alors pour augmenter ses profits, si elle continue à les vendre au prix du marché en vigueur ; ou une combinaison des deux.

La baisse des coûts salariaux, tendance constante de la production capitaliste, peut se réaliser par une diminution du nombre d’ouvriers employés, par une baisse du « salaire réel » par une diminution des « charges sociales » qui constituent le « salaire différé » voire par un « gel » ou carrément une baisse du salaire nominal, rendu plus facile par une baisse de la valeur de la force de travail (les économistes ont par exemple calculé que la vente de vêtements à bas coûts fabriqués en Chine a été un facteur important de la « modération » salariale aux USA). Une autre ressource est de faire produire les marchandises dans des pays à bas salaires.

2) L’inflation, c’est-à-dire une hausse généralisée des marchandises qui contredit cette tendance, s’explique soit par une hausse d’un élément-clé de la production, soit par une baisse de la valeur de l’argent. On peut citer pour le premier cas la forte inflation qui a suivi la crise de 1974-75 à la suite de la hausse brutale du prix du pétrole, source fondamentale de l’énergie utilisée par la production capitaliste. Pour le deuxième cas on peut citer les pays qui ont connu un effondrement  de la valeur de leur monnaie nationale au point parfois de tomber dans une « inflation galopante », absolument incontrôlable et qui désorganise complètement la machine productive.

Un forte hausse soudaine des salaires peut être aussi une cause de l’inflation : ce fut le cas en France après les hausses de salaires obtenues lors de la grève générale de mai-juin 68; il ne fallut qu’un an ou deux pour que ces hausses soient mangées par l’inflation : Il faut souligner que l’inflation se fait toujours au détriment  des prolétaires, les salaires étant toujours en retard sur la hausse des prix. On peut dire que  c’est un moyen de baisser les salaires réels et donc de sauver les profits.

Par ailleurs une forte croissance économique engendre toujours un peu d’inflation au niveau des prix du marché en raison de la quête du profit par les intermédiaires, même si les prix de production restent  stables ou diminuent.

3) Si l’inflation perturbe le bon fonctionnement économique capitaliste, le véritable danger pour la capitalisme est la déflation,  la baisse générale du prix des marchandises, qui caractérise toute crise économique majeure : face à un marché  engorgé par la surproduction, les entreprises sont obligées d’écouler leurs marchandises en dessous de leur valeur, réduisant ou faisant disparaître leur profit. La déflation frappe d’abord les capitalistes, alors que les prolétaires bénéficient de la baisse du prix des denrées – du moins tant qu’ils ne sont pas licenciés.

4) Les causes réelles de l’inflation actuelle.

Les économistes officiels  attribuent l’inflation à des causes conjoncturelles : les désorganisations consécutives à la pandémie, la guerre en Ukraine. Si ces facteurs sont bien réels et ne peuvent qu’accroître - y compris fortement - le problème, la cause fondamentale est la baisse de la valeur de l’argent ; la bourgeoisie à réagi à la crise de 2008-2009 par un recours massif à l’économie de crédit, accentuée ces dernières années par la poursuite de la dite politique de « quantitative easing » (« assouplissement quantitatif ») c’est-à-dire une politique de création monétaire ; pour éviter le grippage des mécanismes financiers et combattre le risque de déflation les banques centrales ont baissé le « loyer de l’argent  » - les taux d’intérêts - jusqu’à zéro ou même à une valeur négative (l’objectif de la BCE était une inflation à 2% , la recherche d’une inflation plus faible risquant de déboucher sur la déflation). Cette véritable drogue de l’argent « gratuit » a eu des conséquences favorables sur l’économie (pas seulement  sur les bourses et les profits financiers), mais comme cela revenait à ce qu’il y ait plus d’argent en circulation que de marchandises, cela signifiait une baisse de la valeur de l’argent (la « marchandise équivalent général » qui a perdu cette équivalence) : cela devait se traduire tôt ou tard par une hausse des prix de toutes les marchandises, autrement dit une flambée de l’inflation. Conscientes du problème les Banques centrales ont tenté de mettre fin à cette politique, mais pour se rendre compte que la suppression de cette drogue risquait de plonger le malade dans une nouvelle récession, démonstration de la fragilité de la reprise économique après la crise de 2008-2009 . Cependant,  confrontée à la hausse continuelle de l’inflation, elles ont finalement jugé qu’il n’était plus temps d’attendre et, comme la BCE, elles ont finalement décidé la fin de l’argent gratuit : elles  ont estimé que le risque de la récession (désormais d’ailleurs à peu près inévitable) était moins grave que le risque d’une inflation incontrôlable.

D’autre part, pour parer aux conséquences de l’inflation la bourgeoisie demande aux prolétaires  d’accepter des sacrifices salariaux au nom des intérêts « supérieurs » de l’économie nationale : en acceptant une baisse de leurs salaires réels, ils aident au sauvetage des profits mis à mal par la hausse des matières premières et autres.

 

L’exemple turc : le cas de la Turquie est emblématique : c’est un des pays dans le monde où cette politique a été la plus suivie ; le résultat a été la chute de la livre turque (-50% par rapport au dollar), ce qui a dopé les exportations du pays et lui a permis de surmonter la crise ; cette orientation répondait aux intérêts des « tigres d’Anatolie », les entreprises industrielles et agricoles exportatrices qui sont la base politico-économique du régime d’Erdogan. Mais cela a alimenté une inflation qui a d’abord frappé la population prolétarienne (affamer les prolétaires pour nourrir les entreprises capitalistes est une règle du bon fonctionnement de l’économie bourgeoise), puis qui, devenant hors contrôle menace maintenant toute l’économie ; le chiffre officiel de l’inflation était en mars de 61% mais en début d’année on l’estimait déjà à 70% .

Dans les grands pays capitalistes, on n’atteint pas de tels sommets, mais l’inflation néanmoins progresse fortement ; aux Etats Unis elle a atteint un niveau inconnu depuis près de 40 ans, avant même que se fassent sentir les conséquences du conflit en Ukraine.

Les économistes agitent maintenant le spectre de la « stagflation » des années 70 marquées par une faible croissance et une inflation à deux chiffres. En réalité ce qui s’est passé à l’époque, c’est que l’économie des pays occidentaux a réagi au choc de la crise de 1974-75 par une inflation généralisée dans une course pour sauver les profits ; il a fallu la récession de 1980-81 et les politiques d’austérité anti prolétariennes initiées par Reagan et Thatcher avant d’être reprises par les autres pays pour casser la « spirale inflationniste » en imposant un « partage de la valeur ajoutée » au détriment des salariés ; c’est à dire en restaurant le taux de profit moyen de l’économie grâce à toute une série de mesures anti-sociales et anti-prolétariennes consistant notamment à supprimer ou réduire les amortisseurs sociaux mis en place progressivement dans la période de croissance économique pour acheter la paix sociale.

La situation est différente aujourd’hui : ce qui pointe, selon les derniers chiffres aux USA et en Europe (comme en Chine), c’est une rechute dans la récession, alors qu’une grande partie de ces amortisseurs sociaux ont été levés ; cela signifie que les attaques contre le prolétariat qui deviendront nécessaires devront être plus directes et plus brutales ; les bourgeois le savent et en redoutent les conséquences : les explosions sociales comme en Amérique Latine ou au Moyen-Orient en 2019, ou au Sri Lanka aujourd’hui.

Mais les pays capitalistes développés ne seront pas à l’abri, comme en témoigne l’avertissement de l’éditorialiste du quotidien patronal Les Echos le 25/4/22 :

« Le président de la République pourrait entamer son mandat dans une économie en panne. Et risque d’affronter dans la foulée une récession marquée, dont apparaissent des signes avant-coureurs. (…) Les revendications salariales qui se font déjà entendre ici et là vont prendre une tout autre ampleur. Des grèves risquent d’éclater dès l’automne, par exemple dans le secteur public (…). Elles pourraient faire tache d’huile dans les grandes entreprises où les frustrations ont monté. (…) Le climat social risque alors de devenir insurrectionnel ».

Au-delà du fantasme, ce que redoutent les bourgeois, c’est une flambée de la lutte de classe, et ils se préparent sans aucun doute à utiliser toutes leurs outils à disposition, de la répression à leur outil le plus puissant, l’opportunisme politique et syndical.

 Le prolétariat ne pourra d’un coup s’en libérer, mais toutes les luttes à venir pourront contribuer à se rapprocher de ce but, indispensable pour la réapparition demain sur le terrain de classe de l’alternative révolutionnaire aux crises et aux guerres.

 

14/05/2022

 

 

Indice DE PRODUCTION INDUSTRIELLE

Source: FRED, Board of  Governors of the Federal Reserve System (US)

 

Etats-Unis

 

Allemagne

 

France

 

Grande-Bretagne

 

Italie

 

Espagne

 

Japon

 

Brésil

 

Chine (Sans secteur construction)

 

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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