Guerre russo-ukrainienne
«Une immense armée de déserteurs»
(«le prolétaire»; N° 555; Nov. - Déc. 2024 / Janv. 2025 )
Sur le front ukrainien
Dans un article du Monde du 26/10 un écrivain ukrainien décrivait ainsi la situation en Ukraine: « nous avons une immense armée de déserteurs qui se balade dans le pays ». Ancien soldat, il s’alarmait du « désespoir des combattants » au front depuis 3 ans sans espoir de relève et de la « difficulté à mobiliser des troupes » ; en effet: « Si une personne rejoint l’infanterie, elle sait qu’elle ne survivra pas trois ans. (...) Quelle est la solution pour eux ? La désertion ».
Les soldats ukrainiens sont donc nettement moins enthousiastes pour la poursuite de la guerre que les soutiens d’« extrême gauche » à l’Ukraine style NPA (2). Selon le Financial Times le nombre de déserteurs de janvier à octobre de cette année a été deux fois plus élevé que pendant les deux années précédentes: les tribunaux ukrainiens ont enregistré 60 000 cas au cours des 10 premiers mois de 2024 (3). D’après l’ Associated Press le Bureau du Procureur Général indique que 100 000 soldats ont été accusés de désertion devant les tribunaux depuis le début de la guerre. D’autres sources estiment que ces chiffres sont sous-estimés et qu’en réalité le nombre de déserteurs est bien supérieur (4). Certains militaires envoyés à l’étranger pour se former en profitent pour quitter le pays: il y en aurait une dizaine par mois en Pologne. On a récemment appris que parmi les militaires de la brigade «Anne de Kiev», une cinquantaine en aurait profité de leur formation en France pour déserter et plus de 1700 n’auraient pas rejoint leur unité en Ukraine (5).
Pour essayer d’enrayer ce phénomène une loi a été votée le 21/11 qui dispense de peine de prison les déserteurs qui retourneraient au front ; mais son efficacité semble réduite. Début octobre des centaines de soldats ukrainiens de la 123ème Brigade avaient abandonné les combats meurtriers à Vouhlevar et étaient rentré chez eux: quelques-uns sont retournés au front, mais la plupart se cachent toujours.
Quoi qu’il en soit, pour faire face au manque de soldats, les autorités multiplient les contrôles dans les rues et les lieux de réunion pour trouver les personnes qui essayent d’échapper à l’enrôlement – suscitant parfois des réactions violentes.
De plus le gouvernement ukrainien, comme l’avait fait le gouvernement russe, s’est tourné vers des prisonniers: plusieurs milliers ont été ainsi libérés pour être envoyés au front. Zelensky avait déjà fait appel à des mercenaires étrangers, comme en particulier des militaires colombiens, attirés par centaines par une solde 4 fois plus élevée que dans leur pays. Mais tout cela ne suffit pas et les autorités ukrainiennes sont sous la pression des Anglo-Américains pour augmenter le nombre de recrues.
De l’autre côté du front
Du côté russe les problèmes de recrutement se posent aussi ; jusqu’ici les autorités n’ont pas voulu décréter une mobilisation générale par crainte d’ébranler la paix sociale ; la mobilisation partielle en septembre 2022 de plusieurs centaines de milliers d’hommes avait entraîné des réactions hostiles allant de manifestations aux départs pour l’étranger de centaines de milliers de personnes. Depuis lors, étant donné que les campagnes d’engagement volontaire ne donnent pas de résultats suffisants, l’armée a eu recours aux prisonniers ; puis au recrutement de soldats à l’étranger : des milliers d’Indiens, Népalais, Afghans, Yéménites, etc., ou des migrants, se sont enrôlés dans l’armée russe, attirés par une solde avantageuse et la promesse d’obtenir la nationalité russe au bout d’un an des service. Enfin la Corée du Nord a envoyé des milliers de soldats servir de chair à canon sur le front russe.
Mais les désertions sont également nombreuses, et même des actes de violence contre les officiers selon les informations diffusées par un collectif anarchiste de Kharkov (6). Selon la Cour suprême de Russie, pour la première moitié de l’année 2023 plus de 1200 soldats furent condamnés pour divers actes d’indiscipline (non spécifiés) contre 543 pour la même période de 2022. Fin octobre 2023, 150 soldats à Voronej, engagés et conscrits, refusèrent de partir pour le front ; malgré les intimidations de la hiérarchie, une trentaine qui refusaient toujours furent jetés en prison et menacés d’être fusillés. Quelques-uns réussirent à s’enfuir.
La situation au sein de l’armée russe a continué à se dégrader depuis ; le nombre de désertions, en augmentation depuis mars 23, a atteint au mois de juillet 2024 près de 1000 cas déférés devant les tribunaux. Au mois de novembre, un millier de soldats de la 20ème division de Fusiliers Motorisés stationnés à Volgograd auraient déserté.
Une autre source russe a répertorié en juin dernier plusieurs cas d’officiers tués par des soldats et des dizaines de cas de résistance violente contre des sergents-recruteurs de l’armée (7).
Le collectif anarchiste a publié un message reçu début septembre depuis la région séparatiste de Donetsk: « Les militaires qui prennent la fuite sont de plus en plus nombreux (...). Mais le plus triste est que si vous commencez à dire aux gens que les soldats doivent déserter l’armée et retourner leurs armes contre ceux qui sont au pouvoir, les gens vont écarquiller les yeux et dire : “vous voulez que 1917 se reproduise ? (...). Il vaut mieux que nous supportions, sinon ça ira encore plus mal” » (8).
C’est pourtant la solution: transformer la guerre impérialiste en guerre civile, retourner les fusils contre les dirigeants ; alors comme le disent les paroles de l’Internationale: ils sauront que nos balles sont pour nos propres généraux !
(1) Le NPA-Besancenot avait refusé de faire partie de la liste de la France Insoumise aux élections européennes de juin parce qu’il trouvait qu’elle ne soutenait pas assez l’Ukraine. Il est membre d’un « Réseau Européen de Solidarité avec l’Ukraine » (RESU) aux côtés des Verts, de l’Union Syndicale Solidaires, de petites organisations de gauche et de diverses associations. Le but essentiel du RESU semble être d’obtenir du gouvernement qu’il livre davantage d’armes à l’Ukraine: un réseau clairement aligné sur l’impérialisme occidental.
(2) https://www.ft.com/content/9b25288d-8258-4541-81b0-83b00ad8a03f
(3) Financial Times 1/12/2024
(4) Un journaliste ukrainien se lamentait ainsi début septembre sur sa page Facebook: « J’ai dit et je redis que le nombre de déserteurs a déjà dépassé 150.000 personnes et approche les 200.000. Avec la dynamique actuelle, on peut prédire 200.000 déserteurs d’ici décembre 2024 ».
(5) Le Monde, 4/1/25
(6) assembly.org.ua, cité de façon déformée par Il Manifesto, 4/12/2024. Les informations de Assembly sont souvent publiées par le site trotskyste wsws.org.
(7) voir la chaîne Telegram russe https://t.me/mobdnrlive
(8) https://libcom.org/article/catastrophe-somebody-salvation-others-desertion-flooding-ukraine
Parti Communiste International
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