G. Zinoviev
Pacifisme ou marxisme (Les vicissitudes d’un mot d’ordre)
(extraits)
(«le prolétaire»; N° 556; Février-Mars 2025 )
Nous publions ci-dessous des extraits d’un article de Zinoviev, écrit en août 1915, alors qu’avec Lénine les bolcheviks luttaient dans l’émigration pour la défense des positions marxistes correctes contre la guerre. Max Adler était un socialiste autrichien qui passait pour un marxiste orthodoxe; mais comme chez Kautsky son marxisme n’était que le voile de l’opportunisme*.
Le «mot d’ordre» de la paix est, pour les marxistes révolutionnaires, une question d’une importance beaucoup plus grande qu’on ne le croit parfois. Le débat se ramène en réalité à un problème de lutte contre l’influence bourgeoise dans le mouvement ouvrier, à l’intérieur du socialisme.
Le «mot d’ordre» de la paix est préconisé dans la littérature socialiste de deux points de vue différents. Les uns, sans admettre en principe le pacifisme, veulent considérer ce mot d’ordre comme le plus compatible avec l’actualité, comme une consigne qui doit réveiller les masses dès l’instant présent, comme un appel qui n’aura de retentissement que pendant les derniers mois à courir jusqu’à la fin de la guerre. Les autres entendent par ce mot d’ordre quelque chose de plus : ils en font tout un système de politique étrangère du socialisme, à maintenir après la guerre, c’est-à-dire la politique d’un pacifisme soi-disant socialiste.
En fait, les premiers viennent en aide aux seconds. Et il n’en peut être autrement.
Le courant le plus sérieux, celui qui a un passé, une théorie à lui, une base d’idée, c’est uniquement le second. La philosophie de ce deuxième courant, la voici : le socialisme, jusqu’à présent, n’a pas été assez pacifiste, il n’a pas assez prêché l’idée de la paix, il n’a pas fait converger ses efforts dans le but d’amener le prolétariat mondial à s’assimiler le pacifisme comme un système général de politique étrangère de l’Internationale. De là l’impuissance du prolétariat socialiste dans la guerre actuelle, de là la débilité de l’Internationale devant cette tourmente. Ce point de vue est fortement mis en relief dans la récente brochure de Max Adler : Prinzip oder Romantik (Principe ou Romantique) (Nuremberg, 1915). Max Adler, en paroles bien entendu, est l’adversaire d’un pacifisme purement bourgeois, qu’il repousse de la façon la plus énergique. Ce n’est même pas un pacifiste du genre de ceux que nous trouvons en Angleterre, dans l’Independent Labour Party. C’est un «marxiste du centre», un kautskyste. Et voici la plate-forme qu’il adopte, en guise de leçon à tirer de la guerre 1914-1915 :
«La politique extérieure du socialisme ne peut être que pacifiste, non dans le sens d’un mouvement bourgeois vers la paix... et non pas non plus dans le sens d’un aveu de l’idée socialiste tel que nous l’avons entendu jusqu’à présent... autrement dit d’une idée qui était considérée jusqu’à ce jour comme une fin secondaire dans la lutte émancipatrice du prolétariat... Il est maintenant opportun de lancer cet avertissement : Tout l’internationalisme de la social-démocratie devra rester et restera une utopie si celle-ci ne fait point de l’idée de la paix le point central de son programme de politique extérieure et intérieure... Le socialisme, après la guerre, deviendra un pacifisme international organisé, ou bien n’existera plus.» (Brochure ci-dessus mentionnée, pages 61-62, souligné par l’auteur).
Sans aucun doute, c’est tout un programme. Mais ce n’est pas le programme du marxisme ; c’est celui de l’opportunisme petit-bourgeois. De ce «pacifisme international», il n’y a qu’un pas à faire pour rejoindre le social-chauvinisme international. La logique de cette évolution est très simple : nous sommes pacifistes, l’idée de la paix est le point central de notre programme ; mais, du moment que le pacifisme n’a pas encore poussé de racines assez profondes dans les masses, du moment que l’idée de la paix est encore faible, que nous reste-t-il à faire sinon de défendre chacun notre patrie ? Certes, cette décision ne peut être prise que provisoirement, et «d’un cœur lourd» ; certes, après la guerre, il faudra adopter comme «point central» de notre propagande l’idée de la paix. Mais, pour le moment, il faut défendre la patrie. Il n’y a pas d’autre issue.
Et pour les socialistes qui n’aperçoivent pas d’autre perspective... révolutionnaire, qui ne voient pas comment les guerres impérialistes peuvent en effet se transformer en guerres civiles, il n’y a pas réellement d’autre issue. Du pacifisme au social-chauvinisme, et du social-chauvinisme à un nouveau prêche pacifiste, – tel est le cercle vicieux, telle est la souricière dans laquelle se débat vainement la pensée des opportunistes et des marxistes du «centre».
«L’idée de la paix au centre de nos mots d’ordre !»... On dit cela maintenant, après que la première guerre impérialiste de toute l’Europe a éclaté ! Voilà ce que nous ont appris les événements !
Non pas l’idée de la paix, mais l’idée de la guerre civile, a-t-on envie de crier à ces grands utopistes qui promènent une si petite utopie. La guerre civile, citoyen Adler ! Voilà quel sera le point central de notre programme. Le malheur n’est pas en ceci que nous n’avons pas assez prêché l’idée de la paix avant la guerre ; il est en ceci que nous n’avons pas trop, ni assez sérieusement, prêché l’idée de la lutte de classes, de la guerre civile. Car, en temps de guerre, la reconnaissance de la lutte de classes, de la part de ceux qui n’admettent pas la guerre civile est une pure phrase ; c’est de l’hypocrisie ; c’est un mensonge pour les ouvriers. (...)
* Source: www.archiveautonomies.org/spip.php?article2902
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