Notes d’actualité

 

Misère du «syndicalisme alternatif»: à propos d’un manifeste pour le premier mai

(«programme communiste»; N° 102; Février 2014)

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Nous avons déjà parlé dans notre presse (voir Le Prolétaire n°508) de la création en mars dernier à Paris d’un «Réseau syndical international de solidarité et de lutte» associant diverses organisations au plan international se prétendant comme une alternative combative au syndicalisme traditionnel. Lors de cette réunion, il avait été décidé, entre autres, l’élaboration par les diverses organisations d’un manifeste  pour le premier mai. Au final ce manifeste qui devait être international apparemment n’a vu le jour qu’en France, sous la signature de Solidaires (les syndicats SUD), la CNT, la CNT-Solidarité ouvrière, Emancipation, et le Courant Syndicaliste Révolutionnaire. Son analyse est instructive de ce qu’est vraiment ce courant.

 

 

Nous «optons», commence ce Manifeste, pour un «syndicalisme de confrontation, opposé au syndicalisme des pactes sociaux». Admettons que ça veuille dire syndicalisme de lutte en opposition au syndicalisme de collaboration entre les classes et continuons :

«Nous affirmons que la lutte est la seule voie vers la transformation sociale». Qu’est-ce que la «transformation sociale»? Ce n’est pas la révolution sociale (sinon on le dirait), c’est donc la réforme sociale. La lutte est-elle nécessaire pour réformer la société? Peut-être, mais en tout cas il ne s’agit pas d’une lutte révolutionnaire, mais d’une «lutte» qui reste dans le cadre et les limites de l’ordre établi comme les pseudo-luttes des syndicats collaborationnistes, peut-être en utilisant les méthodes et les moyens «démocratiques», électoraux, etc. Ce n’est pas dit, le flou est complet sur la nature de cette «lutte». Par hasard, par oubli, ou volontairement?

Poursuivons.

«Nous croyons à la démocratie directe, au syndicalisme assem-bléiste face au syndicalisme des états-majors bureaucratiques, à l’internationalisme, à la lutte internationale de la classe ouvrière et des opprimé-es».

Leur différence avec les grands syndicats est donc définie d’abord comme étant de forme, non de nature: les uns «croient» à la démocratie directe et à l’internationalisme, tandis que les autres constituent un syndicalisme «bureaucratique» et d’«état-majors».

Nous, nous nous opposons au syndicalisme des grandes organisations, parce que ces organisations pratiquent la collaboration de classes, trahissant du coup les intérêts de classe des travailleurs, et non parce qu’elles sont «bureaucratiques». Elles sont effectivement «bureaucratiques» parce qu’elles pratiquent la collaboration de classe, parce qu’elles sont liées aux réseaux et administrations de la collaboration de classe mises en place par la classe capitaliste: l’appareil de ces organisations est financé par ces structures bourgeoises, non par les adhérents, et cet appareil agit pour étouffer dans ces syndicats toutes les poussées classistes venant des prolétaires de base. L’alternative à ces appareils n’est pas la «démocratie directe», mais la constitution d’organisations ayant une orientation radicalement différente, une orientation de classe. Et  ces organisations devront inévitablement avoir des états-majors même si cela contredit la «démocratie directe». La participation la plus large des travailleurs à la lutte, à son organisation et à sa direction, est indispensable; car c’est seulement en la prenant en charge, en y consacrant toute leur énergie, et non en la déléguant aux prétendus «spécialistes» de la bonzerie syndicale, leur laissant ainsi toute latitude de manoeuvrer pour tramer des compromis favorables aux patrons, que les prolétaires ont le plus de chance de voir triompher leur lutte. Ceci dit, même au niveau «immédiat» la lutte prolétarienne est une guerre et la guerre a besoin d’états-majors!

Après ce préambule, le manifeste «déclare» 4 points :

1. «La crise-escroquerie économique, politique et sociale actuelle du système capitaliste pousse les travailleurs (…) à la misère (…) et (...) devient une véritable catastrophe sociale (…) ».  Que signifie la curieuse expression «crise-escroquerie» que l’on retrouve à plusieurs reprises dans le texte? Est-ce que c’est une mise en doute de la réalité de la crise économique, qui ne serait qu’une mensonge des capitalistes pour pouvoir mieux attaquer les travailleurs? Un telle interprétation que l’on trouve chez certains courants, relève du réformisme: si la crise n’existe pas, si elle n’est, au moins en partie, qu’une manoeuvre des capitalistes, il suffirait de refuser de marcher dans cette escroquerie, et tous les problèmes disparaîtraient!

En réalité la crise économique est tout ce qu’il y a de réelle; elle est causée par les lois du capitalisme, et elle ne peut être résolue définitivement (des solutions temporaires et partielles sont toujours possibles) que par le renversement du capitalisme.

2. « Les gouvernements et les institutions internationales appliquent des plans de guerre sociale et la catastrophe qui les accompagne contraste avec les aides multimillionnaires (…) aux banques, avec des cas de corruption éhontée (…)».

Oubli du fait que les gouvernements n’aident pas que les banques, mais aussi les autres entreprises capitalistes, non financières? Ou reprise des discours démagogiques qui ne dénoncent que les banques, les financiers et les corrompus, mauvais capitalistes par différence avec les bons? Alternaïfs ou simples réformistes?

3. « On ne peut pas continuer ainsi. Les gouvernements, loin de tenir compte du rejet social, annoncent de nouvelles coupes (…)».

Les gouvernements pourraient donc «tenir compte» du «rejet social»? Et qu’est-ce que le «rejet social»? Le problème n’est pas que les gouvernements suivent une mauvaise politique qui ne «tient pas compte» du mécontentement social, comme gémissent les réformistes; ils appliquent une politique dictée par les besoins du capitalisme, une politique de classe, d’abord contre la classe ouvrière, mais aussi contre une partie des couches moyennes, des petits-bourgeois. Comme ces classes sont elles aussi en partie touchées et se mobilisent, il est d’autant plus important d’être le plus clair possible sur les questions de classe; sinon on tombe fatalement dans l’interclassisme réformiste qui noie les intérêts de classe prolétariens dans les intérêts du «peuple», c’est-à-dire les sacrifie aux intérêts petits-bourgeois.

«La défense des travailleurs et des peuples exige une lutte résolue contre ce système (…). Elle exige d’abandonner toute illusion politique de concertation sociale avec les gouvernements qui mettent en œuvre ces plans de guerre sociale!».

En parlant de «lutte résolue  contre le système», le texte semble faire un pas en avant; mais aussitôt cette lutte se transforme en abandon de «l’illusion» de la concertation avec les gouvernements, etc. Ceux qui prônent la concertation sociale avec les gouvernements – les syndicats critiqués – le font-ils parce qu’ils ont des «illusions» et faut-il leur faire abandonner ces illusions? Non, ils le font parce qu’ils sont des partisans du système capitaliste, ils n’ont pas d’illusions sur les gouvernements, ils sont fondamentalement d’accord avec eux pour défendre le capitalisme contre les travailleurs! En outre une nouvelle fois le texte laisse ouverte l’orientation la plus platement réformiste: si c’est avec les gouvernements qui mènent une politique de «guerre sociale» qu’il est illusoire de se concerter, cela signifie qu’il est légitime de se concerter avec des gouvernements menant une «autre politique» – comme disent vouloir le faire tous les réformistes et les partisans de la collaboration entre les classes. Le texte ne distingue pas entre gouvernements menant un politique pro-capitaliste et gouvernements menant une politique anticapitaliste (de tels gouvernements ne peuvent être issus que de la révolution!), mais entre gouvernements de paix ou de guerre sociale, qui sont tous des gouvernements bourgeois: les auteurs du manifeste se placent ici entièrement dans le cadre, non seulement de la réforme du capitalisme, mais de la collaboration sociale!

4. «La classe ouvrière (…) en particulier d’Europe qui mène aujourd’hui des combats décisifs contre les gouvernements de la troïka doit opposer (…) ses propres mesures et solutions pour offrir une issue sociale et populaire à cette crise-escroquerie».

Le réformisme qui affleurait un peu partout dans les points précédents, éclate ici en plein. Les «combats décisifs» qui se mèneraient actuellement, ne sont pas des combats contre le capitalisme, mais des combats contre les «gouvernements de la troïka» (la troïka, c’est le FMI, la Commission Européenne et la Banque Centrale Européenne, bref l’étranger qui vient imposer son mauvais gouvernement); et la classe ouvrière a des mesures et des solutions en vue d’une solution interclassiste («sociale et populaire») à la crise (qui n’existe peut-être pas).

« C’est pourquoi ( ?) nous disons: A bas les plans d’austérité! Abrogation immédiate des coupes sociales et des réformes du travail! La défense d’un salaire digne ( ?), de l’emploi, de la santé et de l’éducation publique exige que les multiples luttes partielles (…) s’unissent autour d’une demande urgente: dehors les gouvernements et les politiques d’austérité!  Qu’ils s’en aillent!».

Les auteurs se gardent bien de dire comment ces gouvernements pourraient s’en aller et par quels gouvernements ils seraient remplacés; mais comme il est certain qu’ils n’ont pas le moins du monde en tête une perspective révolutionnaire – complètement absente de tout le texte –, ce ne peut donc être qu’une issue électorale qu’ils envisagent. L’illusion de la concertation avec les mauvais gouvernements est remplacée par l’«illusion» dans un changement électoral de gouvernement; il est difficile de dire quelle est la pire des deux...

Continuons :

« Nous disons qu’il y a vraiment des ressources, qu’on peut vraiment donner une solution à la crise en défendant les intérêts ouvriers et populaires»

Voilà enfin l’explication du leitmotiv sur la «crise-escroquerie»: les escrocs cachent leurs ressources en prétendant qu’il y a une crise! La défense des intérêts ouvriers et populaires (ne fâchons pas les petits-bourgeois!) est donc possible puisque les ressources sont là; s’il y avait vraiment une crise capitaliste, ce serait autre chose, on serait bien obligé de se résigner... Voulant peut-être présenter un argument réaliste, les auteurs dévoilent la réalité de leur soumission intellectuelle complète au capitalisme: selon eux il serait possible sous le capitalisme à la fois de résoudre la crise et de défendre les ouvriers!

Mais attendez, pourraient-ils nous rétorquer, lisez la suite de la phrase et vous verrez que nous sommes anticapitalistes: «Mais cela exige de mettre en oeuvre des mesures résolument anticapitalistes. C’est pourquoi nous défendons l’arrêt immédiat du paiement de la dette, une dette illégitime que nous, les travailleurs et le peuple, n’avons pas contracté [sic]».

Notons d’abord qu’une fois encore les rédacteurs du texte disent parler, non pas au nom des seuls prolétaires, ni même de l’ensemble plus vague des «travailleurs», mais d’un regroupement de plusieurs classes sociales: «les travailleurs et le peuple». Il n’est donc pas étonnant qu’ils placent de fait comme objectif central l’arrêt du paiement de la dette (il s’agit sans aucun doute de la dette dite «souveraine», celle due par les Etats centraux et leurs administrations).

C’est une revendication typique de petits-bourgeois qui voudraient assainir les finances de l’Etat et qui gémissent que celui-ci est pressuré par les financiers, nationaux ou pire, étrangers. Les Etats bourgeois ayant presque tous un budget en déficit (les seules exceptions se trouvent parmi les Etats pétroliers grâce à leurs énormes revenus), ils sont obligés d’emprunter. Comme les auteurs du texte ne veulent pas de révolution, ils seraient obligés de reconnaître, s’ils étaient conséquents, que pour n’avoir plus à emprunter, les Etats devraient imposer des mesures d’austérité bien plus fortes que celles actuelles!

 Par rapport au budget de l’Etat bourgeois et à son endettement, les prolétaires n’ont pas de mesures ou de solutions particulières à proposer, de la même façon qu’ils n’ont pas de mesures et de solutions à proposer pour améliorer le fonctionnement en général du capitalisme. Ils combattent le capitalisme et l’Etat bourgeois, essayant de leur arracher le maximum de concessions en attendant d’avoir la force de les supprimer, quelles qu’en soient les conséquences économiques négatives sur l’économie. Entre autres, ils ne font pas de distinction entre dette «légitime» et «illégitime». Pour eux est «illégitime» (si l’on veut utiliser ce langage moraliste) tout ce qui renforce l’Etat et le système bourgeois, et «légitime» tout ce qui les affaiblit. Mais cette position classiste s’oppose aux intérêts des classes non-prolétariennes du «peuple» si chers aux signataires du manifeste…

«La lutte pour l’emploi, pour le partage du travail et de la richesse exige d’arracher les ressources financières des mains des spéculateurs et des banquiers: nationalisation sans indemnisation du secteur bancaire et des entreprises-clés, réformes fiscales faisant payer davantage ceux qui ont le plus, afin de mettre toutes ces ressources au service de l’unique plan de sauvetage qui manque, un Plan de sauvetage des travailleurs et de la majorité sociale (99%)».

Ainsi donc il serait possible de «sauver» les travailleurs et la majorité sociale (99% de la population, donc y compris des fractions de la classe bourgeoise) en prenant les ressources nécessaires dans les poches des banquiers. Pas besoin de lutte de classe, pas besoin de révolution, pas besoin de suppression du capitalisme, des «réformes fiscales» et la nationalisation du secteur bancaire suffisent!!! Qui donc nos «syndicalistes alternatifs» croient-ils duper avec cet absurde conte de fée réformiste? Peut-être quelqu’un ignorant tout, ne disons pas du marxisme ou de l’histoire des luttes entre les classes, mais simplement de l’histoire des dernières décennies, du rôle des gouvernements réformistes et du comportement des banques nationalisées…

5. «La classe ouvrière et d’autres mouvements sociaux ( ?) mènent les luttes avec les opprimé-es du monde (…) la lutte contre le machisme (…) contre la xénophobie, le racisme et toute forme d’oppression des travailleurs immigrés, la lutte au droit [sic;  sans doute: pour le droit] à l’autodétermination des peuples, à la défense du droit de toutes les nationalités à exercer leur souveraineté. Sans une lutte conséquente contre toutes ces formes d’oppression, l’unité de la classe ouvrière pour la transformation et la justice sociale ne sera pas possible».

Il est très juste de dire que l’unité de la classe ouvrière exige la lutte contre toutes les oppressions dont sont victimes certains de ses membres; mais ce paragraphe se ressent de l’orientation interclassiste et réformiste qui caractérise tout le manifeste: par exemple, la «justice sociale» est-elle possible par une «transformation» du capitalisme, mode de production basé sur une inégalité fondamentale entre ceux qui possèdent tout et ceux qui ne possèdent rien? D’autre part le texte parle de la défense du droit des nationalités opprimées à «exercer leur souveraineté» (qu’est ce que ça signifie?) et du droit à l’autodétermination des peuples, ce qui est une revendication démocratique conséquente; mais il y manque entièrement la revendication spécifiquement prolétarienne qui est l’appel à l’organisation de classe des prolétaires de la nationalité opprimée ou du peuple, indépendamment de leur bourgeoisie, sans la quelle l’unité de la classe ouvrière n’est qu’une phrase creuse!

6. «A l’occasion d’une journée de lutte internationale comme le premier mai, nous réaffirmons notre solidarité la plus résolue avec les travailleurs et les peuples du monde qui font face à l’impérialisme et aux dictatures». Quid de ceux qui font face au capitalisme et à la démocratie? Le premier mai est né comme une journée de lutte ouvrière pour l’union internationale des prolétaires contre le capitalisme, démocratique ou non. «Notre solidarité va en particulier aux peuples arabes, du Moyen-orient, aux communautés indigènes et à toutes les luttes populaires». La solidarité des syndicalistes alternatifs ne va donc pas en particulier aux prolétaires des Pays Arabes et d’ailleurs, et aux luttes ouvrières

7. «Nous nous engageons à préparer un 1er mai internationaliste et de lutte en appelant l’ensemble des organisations du syndicalisme alternatif et des mouvements sociaux à faire de grands rassemblements et des manifestations alternatives à celles du syndicalisme institutionnel et bureaucratisé, qui seront une référence claire de classe et de combativité». Nous attendons toujours...

8. «La situation particulière que nous vivons (…) et l’expérience récente du 14 novembre dernier exige que nous menions une activité (…) pour arriver à une nouvelle grève générale continentale qui ait une continuité jusqu’à ce que nous fassions sauter les politiques de la troïka et que nous, travailleurs du monde entier, soyons les protagonistes d’une nouvelle société basée sur la démocratie, la liberté et la justice sociale». Amen !

Comme nous l’avions relevé dans le tract que nous avons diffusé à cette occasion, la grève du 14 novembre était appelée, au nom de la «cohésion sociale», par les grandes organisations syndicales dites par le manifeste «institutionnalisées et bureaucratisées», en fait collaborationnistes de classe.

Ce n’était pas une journée de lutte contre le capitalisme, mais une inoffensive soupape de sécurité mise en place pour protéger la paix sociale. Nos «syndicalistes alternatifs» ne soulèvent pas la moindre critique sur cette journée dont ils ont d’ailleurs partagé la responsabilité de l’organisation; leur perspective de préparation d’une «nouvelle grève générale continentale» (il est déjà mensonger de prétendre que le 14 novembre ait été une grève générale continentale!) qui «ait une continuité» (? )jusqu’à faire sauter la politique gouvernementale (même s’ils ne veulent faire sauter qu’une politique!) est donc aussi absurde que celle d’une nouvelle société basée sur la démocratie, etc; qui naîtrait de cette grève!

Si le prolétariat en Europe avait la force de se lancer dans une véritable grève générale continentale, cela signifierait que nous serions dans une situation de très grande tension sociale; alors l’insurrection révolutionnaire pour la liquidation de la démocratie bourgeoise, le renversement des Etats capitalistes et la prise du pouvoir devrait commencer à se préparer, y compris pratiquement.

De quel côté de la barricade se trouveraient alors nos syndicalistes alternatifs? Pour  répondre il suffit de considérer que non seulement ils répandent les mensonges réformistes qui dupent les prolétaire; mais qu’ils prêtent main forte dans la pratique au sabotage et au dévoiement des luttes – il suffit de se rappeler que les «syndicalistes alternatifs» de «Solidaires» faisaient partie lors du mouvement sur les retraites de l’Intersyndicale, cet état-major anti-prolétarien.

Misère du syndicalisme alternatif international! Il n’est rien d’autre qu’une nouvelle édition du syndicalisme réformiste et collaborationniste, relooké pour attirer les militants rebutés par les vieux appareils déconsidérés par leurs perpétuels renoncements, mais tout aussi étranger aux intérêts prolétariens que ces derniers...

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

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