Pandémie, capitalisme et révolution communiste

(«programme communiste»; N° 106; juillet 2021)

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Au moment où nous écrivons, à la mi-juin, le bilan officiel de la pandémie est de 3 800 000 morts dans le monde; mais le chiffre réel est sans aucun doute nettement plus élevé, l’OMS l’estimant fin mai de 6 à 8 millions (https://news.un.org/fr/story/2021/05/1096492), certaines estimations étant encore supérieures.

En font foi, pour nous limiter à quelques exemples, le fait que le chiffre des décès en Inde (377 000 morts) devrait être, selon les spécialistes, multiplié par 6 pour s’approcher de la réalité (1) ou que la Tanzanie, pays africain de 56 millions d’habitants, avait assuré qu’elle ne comptait plus aucun cas après 3 journées nationales de prière en mai 2020 – mais les choses changent dans ce pays après la mort du président en mars, selon la rumeur, de la Covid-19: les nouvelles autorités ont décidé de «ne plus ignorer» la maladie (sic!); en réalité ce n’était pas de l’ignorance: il était interdit de donner des informations à son sujet.

Mais même dans les pays riches, au système de santé développé, les chiffres officiels sont sujets à caution. Pour avoir une idée plus précise les statisticiens étudient les chiffres de la mortalité – quand ils existent et sont fiables. Une étude du British Medical Journal (2) a constaté une surmortalité en 2020 dans pratiquement tous les 29 pays développés étudiés, cette surmortalité dépassant dans «beaucoup» de cas le nombre de décès attribués à la Covid. Par exemple la Russie déclare 127 000 morts de la Covid depuis le début de la pandémie alors qu’on constate une surmortalité de près de 425 000 personnes; selon l’OMS en Europe pour l’année 2020 il y avait une surmortalité de plus d’un million de morts, deux fois plus que les 590 000 officiellement attribués à la Covid. Dans beaucoup de pays il existe une volonté de minimiser la réalité pour ne pas mettre en question l’efficacité des politiques gouvernementales

Bien entendu toute la surmortalité ne peut être attribuée directement à l’épidémie; il y a eu aussi les conséquences de l’embouteillage des services de santé qui a provoqué des retards à la prise en charge – ou la non prise en charge – de malades souffrant d’autres graves pathologies; mais d’autre part les épisodes de confinement et le ralentissement de l’activité économique ont entraîné une baisse de la mortalité due aux accidents dans les déplacements et au travail, etc.

Quoi qu’il en soit, la pandémie actuelle, qui semble en ralentissement dans l’hémisphère nord entrant dans l’été, alors qu’elle s’accentue dans l’autre hémisphère entrant dans l’hiver, est la plus meurtrière depuis la terrible pandémie dite de la «grippe espagnole». Celle-ci il y a un siècle fit près de 50 millions de morts dans le monde (certaines estimations récentes vont jusqu’à cent millions) dont 200 à 400 000 en France (pour une population de 39 millions d’habitants).

 

La catastrophe sanitaire montre au grand jour les tares du capitalisme

 

Depuis l’antiquité le développement des civilisations humaines a été rythmée par les épidémies. L’accroissement des concentrations humaines avec les premières villes rendues possibles par l’agriculture, et le développement des échanges dans les premières sociétés mercantiles, ont eu comme conséquence l’apparition d’épidémies qui auparavant restaient circonscrites à de petits groupes humains isolés. La domestication et l’élevage de nombreuses espèces animales ont entraîné le passage à l’homme de nombreuses maladies: les vaches auraient ainsi transmis la variole, la lèpre, la rougeole, la typhoïde et la tuberculose, les moutons le charbon (anthrax), les poules et les cochons, la grippe et le cheval le tétanos. Les déplacements de population ont propagé les épidémies à d’autres régions, d’autres pays, d’autres continents. La peste dite «de Justinien» au Ve siècle, partie d’Egypte (après être venue d’Asie le long des routes de la soie), suivit les routes commerciales pour atteindre Constantinople (où elle aurait fait 10 000 morts par jour) puis quasiment tout le bassin méditerranéen. La «peste noire» ramenée du Moyen-Orient par les Croisés, ravagea l’Europe au Moyen-Age, tuant près du quart de la population. Les Amérindiens furent décimés au XVIe siècle par les virus dont étaient porteurs les Conquistadors contre lesquels ils n’avaient aucune immunité. Face à ces épidémies qu’on ne savait soigner, la mise en quarantaine et le confinement des populations étaient les seuls moyens efficaces (4).

Le développement du capitalisme qui débouchait sur la concentration de populations toujours plus importantes dans les villes créa des conditions favorables aux maladies. Avec le développement sans précédent des forces productives et comme condition de ce développement, le capitalisme créa la science, au sens moderne du mot, c’est-à-dire comme activité spécifique. Le développement de la médecine fut de la même façon une condition du développement des forces productives (pour exploiter au mieux les prolétaires il faut qu’ils soient en relativement bonne santé) et la recherche médicale devint une branche importante de la science. «La bourgeoisie, dit le Manifeste du Parti Communiste, au cours de sa domination de classe à peine séculaire, a créé des forces productives plus nombreuses; et plus colossales que l’avaient fait toutes les générations passées prises ensemble. La domestication des forces de la nature, les machines, l’application de la chimie à l’industrie et à l’agriculture, la navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, le défrichement de continents entiers, la régularisation des fleuves, des populations entières jaillies du sol - quel siècle antérieur aurait soupçonné que de pareilles forces productives dorment au sein du travail social ?».

Il en est allé de même des progrès de la médecine, quoique à un rythme infiniment moins rapide que celui de la production de marchandises.

Les débuts du capitalisme industriel furent en effet marqués par une forte dégradation des conditions de vie prolétariennes au dix-neuvième siècle; temps de travail très long dans des environnements toxiques et dangereux, entassement dans des quartiers et des villes polluées à l’extrême, salaires insuffisants pour se nourrir, se loger, se vêtir de façon correcte, tout ceci explique une mortalité élevée parmi les esclaves salariés et en général leur mauvaise santé. On a relevé à l’époque une baisse de leur taille, signe supplémentaire des bienfaits de l’enfer capitaliste: pour les patrons il n’était pas question de rogner la moindre part de leurs profits pour améliorer la condition de leurs salariés!

C’est une situation que l’on retrouve aujourd’hui dans certains pays et certains secteurs où la quête frénétique du profit entraîne l’exploitation la plus bestiale. Mais dans les pays capitalistes les plus développés, grâce à l’augmentation des profits due à l’accroissement de la «productivité» du travail, et sous la menace des luttes ouvrières, les capitalistes eurent la possibilité de lâcher des miettes pour améliorer la condition prolétarienne, et, dans ce cadre, de leur santé; c’était une condition non seulement d’avoir une force de travail exploitable, mais aussi et surtout de l’établissement et du maintien de la paix sociale

La longévité se mit à augmenter en raison, mais pas uniquement, des progrès de la médecine; entre autres les grandes maladies infectieuses, si meurtrières autrefois, furent traitées avec succès. Après la deuxième guerre mondiale les principaux Etats décidèrent la création d’une institution internationale, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) chargée de promouvoir des actions sanitaires au niveau mondial, alors que les institutions qui l’avaient précédée se limitaient à quelques Etats.

Il est clair que la création de l’OMS est une démonstration, dans son rayon d’activité spécifique, que les structures bourgeoises traditionnelles (division entre Etats, etc.), sont un obstacle aux progrès de l’humanité.

Mais le capitalisme est un système contradictoire qui ne peut surmonter ces contradictions. Son propre développement engendre de nouvelles maladies et de nouvelles catastrophes sanitaires: il suffit de songer à l’épidémie de Sida ou à la «maladie de la vache folle». De 1940 au début des années 2000 on a recensé pas moins de 330 nouvelles maladies infectieuses, essentiellement dans les pays où le développement capitaliste a provoqué un bouleversement des équilibres sociaux et environnementaux précédents.

Les maladies infectieuses, presque disparues dans les grands pays développés, sont responsables d’environ 14 millions de morts par an, principalement dans les pays pauvres du sud. Comme les populations y sont peu solvables, la loi du marché fait que les recherches pour les combattre sont réduites... «Les infections émergentes proviennent, pour deux tiers d’entre elles, de la faune domestique ou sauvage, tandis que d’autres sont liées à la réémergence de maladies oubliées, qui réapparaissent en raison d’un déficit de vaccination, de troubles politiques ou de guerres civiles, comme c’est le cas de la peste en Afrique» (5).

 Les bourgeois se félicitent de la mise au point rapide de vaccins efficaces contre le virus de la Covid-19: effectivement il n’a fallu que quelques mois pour que la recherche pharmaceutique aboutisse à ces résultats: c’est que en raison des effets désastreux de la pandémie sur l’économie internationale les grands Etats ont déversé des milliards pour faire progresser au plus vite les travaux sur les vaccins: la sauvegarde des profits capitalistes l’exigeait!

D’autres graves maladies qui n’ont pas de telles conséquences sur l’économie capitaliste sont depuis des années en attente d’un vaccin; c’est le cas du paludisme qui cause de un à trois millions de morts par an dans le monde (les enfants sont les plus touchés) – démonstration supplémentaire, s’il en était besoin, que le capitalisme n’est pas mû par le souci du «bien commun» (selon le jargon à la mode parmi les petits bourgeois démocrates), mais par la recherche du profit.

 

La responsabilité du capitalisme dans la catastrophe humanitaire

 

Si l’on écarte les thèses complotistes (encouragées par Trump) qui font du virus une fabrication chinoise (6), il n’en reste pas moins que les différents Etats n’ont pas pris les mesures nécessaires pour prévenir la pandémie; pourtant dans la plupart des grands pays des plans détaillés avaient été élaborés pour faire face à un telle situation après les alertes précédentes (grippe aviaire, grippe H1N1...). Le problème est qu’ils avaient un coût significatif, à un moment où le capitalisme cherche partout à réduire les coûts et les «dépenses improductives» afin de sauver le taux de profit moyen d’une économie allant de crise en crise. Le secteur de la santé publique est une cible privilégiée pour réduire ces coûts. On a donc connu partout la même situation, avec seulement des différences de degré selon les pays: insuffisances du système hospitalier, manque de personnels, manque de moyens de protection y compris les plus élémentaires, ce qui s’est traduit par des milliers et milliers de victimes, y compris parmi le personnel soignant: les économies ça tue!

 Les autorités chinoises et leurs partisans se vantent du succès du gouvernement de Pékin dans le contrôle de la pandémie; elles voudraient faire oublier que pour des raisons économiques, elles ont fait pendant des semaines le black-out sur le développement de l’épidémie à Wuhan, contraignant un médecin qui avait lancé publiquement l’alerte (mort ensuite de la maladie et dont elles font maintenant cyniquement un héros) à une humiliante autocritique, et protestant contre les pays qui interdisaient les vols venant de cette métropole.

Quand l’information n’a pu être plus longtemps cachée, elles ont prétendu que la maladie ne se transmettait pas à l’homme, ce qui a retardé d’autant l’alerte à la pandémie lancée par l’OMS (où la Chine est influente).

Lorsque les autres Etats ont été confrontés à la réalité de la pandémie, ils ont réagi en ayant recours comme l’Etat chinois aux vieilles mesures moyenâgeuses: quarantaines, confinements, interdictions de circulation – sauf pour les prolétaires des activités dites «essentielles» qui devaient aller au travail, prendre les transports en commun, etc. sans aucune mesure de protection sanitaire. En un mot les Etats ont fait payer leurs propres carences à la population et aux prolétaires!

Mais il y a plus; la bourgeoisie, en renforçant sa domination totalitaire sur la société par ces mesures, a utilisé le prétexte de la pandémie pour casser des mouvements de révolte au Liban, en Algérie, en Amérique Latine et ailleurs, alors même que ces mesures ont considérablement aggravé la misère de larges couches prolétariennes. L’OIT (Organisation Internationale du Travail) estimait en mai 2020 que les mesures prises contre la pandémie ainsi que la crise économique allaient provoquer une baisse de 60% de leurs revenus pour 1,6 milliards de travailleurs informels dans le monde et en juin de cette année elle évaluait à 100 millions le nombre de travailleurs qui avaient sombré dans la pauvreté (7).

 

Bombe à retardement

 

Cela ne se passe pas que dans les pays pauvres.

 Aux Etats-Unis, ce sont les Noirs, en tant que prolétaires souvent en plus mauvaise santé que le reste de la population à cause des difficultés à se soigner, qui ont été les plus touchés. En France, à la fin de l’année dernière, différentes organisations charitables avaient estimé à un million le nombre de personnes devenues pauvres en 2020; dans un rapport remis en mai dernier au premier ministre, un «Conseil national de lutte contre la précarité et l’exclusion sociale», affirmait que la pauvreté s’était «démultipliée» en France et que cela constituait une «bombe à retardement».

L’ONU en citant des chiffres sur l’accroissement de la pauvreté et des inégalités dans le monde, mettait les points sur les i: elle redoutait que la pandémie crée «un nouveau sous-prolétariat mondial avec tous les bouleversements sociaux et politiques que cela pourrait entraîner. (...) nous pourrions assister à une augmentations des troubles, des conflits et de la famine» (8).

C’est bien évidemment ce que redoutent les bourgeois de tous les pays et c’est pourquoi ils ont imposé aux prolétaires leurs mesures d’ «urgence sanitaire». Si celles-ci ont eu une efficacité redoutable sur le plan social (bien plus que sur le plan sanitaire), elles n’ont pu empêcher complètement les luttes.

 D’ores et déjà on voit réapparaître des manifestations de colère sociale dans les pays où la contestation avait été étouffée et même de véritables explosions comme cela a été le cas aux Etats-Unis l’été dernier après le meurtre de Georges Floyd. Ces signes ne sont pas encore l’annonce du réveil de la lutte prolétarienne de classe au plein sens du mot. Mais en révélant les difficultés de la bourgeoisie à tenir sous contrôle le front social en dépit des mesures extraordinaires qu’elle a imposées, ils sont de bon augure pour l’avenir; c’est le capitalisme lui-même qui pousse les masses prolétariennes à la lutte et qui fera réapparaître la perspective du communisme comme seule issue au capitalisme et à tous ses méfaits. Seule la société sans classes pourra éliminer, en même temps que les injustices, la pauvreté et l’exploitation, les maladies qui prolifèrent sur ce terreau fertile.

Tôt ou tard la bombe à retardement explosera.

Mais dans ce futur annoncé de crises, de troubles et de guerres qui se profile, le prolétariat, pour vaincre, devra retrouver ses armes de classe; il devra reconstituer son parti internationaliste et international, sur la base du programme communiste, invariant parce qu’il synthétise le bilan de ses grandes luttes passées, de ses «assauts au ciel» et permettant ainsi de diriger les luttes futures vers la révolution communiste mondiale.

C’est ce à quoi nous travaillons et à quoi nous appelons les prolétaires d’avant-garde à travailler.

Comme le proclamait le vieux cri de guerre du Manifeste:

 

Le prolétariat n’a à perdre que ses chaînes, il a un monde à conquérir!

 


 

(1) The Economist, 12/6/21

(2) https://www.bmj.com/content/373/bmj.n1137

(3) Med Sci, Volume 36, N°6-7, Juin–Juillet 2020 , p.643

(4) La peste de Marseille, de 1720 à 1722, tua autour de 30 000 habitants dans une ville qui en comptait 90 000 environ. Elle fut provoquée par l’appât du gain qui causa le non-respect de la quarantaine d’un navire transportant des étoffes; désireux de vendre celles-ci à la foire, les notables qui en étaient les propriétaires, firent en sorte que le navire débarque au plus vite les tissus – avec les puces dont ils étaient couverts et qui étaient les vecteurs de l’infection. Le pouvoir royal décréta le blocus de Marseille avec attestation de déplacement («billet de santé») obligatoire pour ceux qui devaient se déplacer; un «mur de la peste» fut édifié pour isoler les régions atteintes (la peste ayant gagné les localités voisines comme Arles, Aix et Toulon.

(5) Med Sci, op. cit, p.642.

(6) L’hypothèse d’une fuite dans le laboratoire dit «P4» (haute sécurité) qui se trouve à proximité du fameux marché de Wuhan où a été détecté le premier foyer épidémique, a refait surface dans la presse internationale. La Chine qui, après l’épidémie de SRAS en 2003, voulait se doter d’un tel laboratoire pour travailler sur les virus existants dans la région, notamment les coronavirus de chauve-souris; s’était tourné vers la France pour en construire sur le modèle de celui existant à Lyon. Selon l’hebdomadaire Challenges (3/6/21) cette demande aurait suscité des oppositions parce qu’il pouvait y avoir une utilisation militaire; mais cela aurait bien été la première fois que les capitalistes français refusent un juteux contrat pour de telles raisons!

Finalement le contrat fut signé par Chirac au nom du coup d’envoi d’une collaboration franco-chinoise dans ce domaine et les futurs responsables chinois vinrent se former en France. Mais cette coopération ne vit jamais le jour; on a appris par contre qu’il existait une collaboration avec les Etats-Unis qui finançaient des travaux de ce laboratoire sur les coronavirus.

(7) Capital, 9/6/21

(8) https://feature.undp.org/covid-and-poverty/fr/

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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