Petit dictionnaire marxiste

(«programme communiste»; N° 106; juillet 2021)

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1. CLASSES SOCIALES, MODES DE PRODUCTION, ETAT

 

1.1 Existence des classes sociales. Marx écrit  dans l’introduction à la « Critique de l’économie politique » : « Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles ». Ces rapports de production constituent la base d’un mode de production donné, dans lequel les individus sont rangés dans des « classes sociales » particulières. Contrairement aux affirmations de la sociologie bourgeoise vulgaire qui les classe selon leur richesse, ce n’est pas le revenu ou le niveau de vie qui détermine leur place dans une classe ou dans une autre, mais leur position sociale : par exemple, un petit paysan ou un artisan peut bien avoir un niveau de vie inférieur à celui d’un prolétaire, il devra pourtant être rangé parmi les petits bourgeois car il possède ses outils de travail (ou sa terre) ; le prolétaire, lui, ne possède rien, il est donc obligé de se vendre à un patron et de se faire exploiter pour vivre. Cette position sociale différente détermine les potentialités et l’action historiques différentes des classes : seule la classe prolétarienne est historiquement non seulement en opposition totale avec le mode de production capitaliste, mais seule elle a la possibilité d’y mettre fin ; toutes les autres classes plus ou moins possédantes ne peuvent au mieux qu’envisager des aménagements de ce mode de production qu’elles ne peuvent pas ne pas défendre contre le prolétariat.

 

1.2 Les différents modes de production. Les grandes formes historiques de la production sociales peuvent se diviser en 5 formes successives: communisme primitif, qui est la première forme d’organisation sociale des êtres humains ; forme secondaire, avec ses variantes asiatique (ou mode de production asiatique), antique classique et germanique ; féodalisme  (troisième forme) : capitalisme (quatrième forme) ; socialisme, qui est la cinquième et dernière forme.

Le communisme primitif est de très loin la forme qui a duré le plus longtemps puisqu’elle va depuis les débuts de l’humanité jusqu’à l’époque actuelle où existent encore dans les zones reculées des peuplades qui en sont à ce stade ; connaissant un très faible niveau des forces productives (il n’y a pas d’agriculture), il est caractérisé par le caractère collectif de la production et de la consommation : absence de la propriété privée des moyens de production et des produits. Les « chasseurs-cueilleurs » chassent et cueillent collectivement et se partagent les produits de ces activités ; la division du travail est de nature biologique, c’est-à-dire selon le sexe et l’âge (les femmes et les enfants ne pratiquent pas les activités les plus dangereuses ou celles nécessitant un effort physique important, etc.). Il n’existe pas de classes sociales, ni d’Etat, l’organisation de la vie est communautaire (sur le base de la « bande », « horde », « tribu », etc.) et les tensions, affrontements et guerres n’existent que vis-à-vis des autres communautés (pour des territoires de chasse, etc.).

Les différentes variantes des formes secondaires sont basées sur l’agriculture et l’apparition de la propriété privée des moyens de production (terre, outils, esclaves) et des produits. Corollairement apparaît l’Etat et sa bureaucratie, plus ou moins puissant et despotique selon le degré de développement de la production et les nécessités de celle-ci (exemple : les Etats « asiatiques » indispensables à un certain niveau pour organiser et réguler l’irrigation pour l’agriculture, etc.). Apparition de la monnaie et développement des rapports marchands, apparition de classes sociales et d’affrontements entre elles.

Sous le féodalisme (troisième grande forme), l’agriculture est toujours la base économique, mais apparaît la séparation de l’artisanat et de la manufacture de cette dernière ; développement des villes qui ne sont plus seulement des centres politiques et administratifs, mais deviennent aussi des centres productifs ; la propriété privée de la terre qui est souvent non individuelle (propriété des seigneurs, des ordres religieux, etc.) sur laquelle travaillent des paysans en plus de leurs lopins, paysans qui ne peuvent rompre les liens qui les asservissent aux propriétaires, est la principale source de la richesse. Les grands propriétaires fonciers sont la classe dominante (divisée en « ordres » qui ont un statut privilégié par rapport au reste de la population), mais apparaissent les « bourgeois », les habitants des bourgs, qui vivent et s’enrichissent de l’activité économique urbaine. La production marchande se développe en même temps que l’utilisation de l’argent (circulation monétaire), les prêts, etc. Ce développement économique pousse aussi à la centralisation de l’Etat (monarchies absolues) pour surmonter la fragmentation économique et politique typique du féodalisme. Le féodalisme résiste à l’action dissolvante de l’argent sur les rapports sociaux en réservant son maniement à une catégorie restreinte de la population, qui est en plus rejetée en dehors de la collectivité : les Juifs. Le lent développement économique nécessite aussi peu à peu le renforcement de l’Etat central (royauté).

Sous le capitalisme (quatrième forme) les rapports marchands sont la règle, y compris pour ce qui est des rapports entre les hommes : il n’y a plus de liens, qu’ils soient de corporation ou de dépendance personnelle (communauté, servage, etc.) qui attachent le travail ; le travailleur est « libéré » de tout, y compris de toute propriété : ne possédant rien il ne peut que vendre contre un salaire sa force de travail à un patron pour vivre : la généralisation du salariat est un trait caractéristique du capitalisme, qu’il soit « privé » ou d’Etat. Les classes sociales présentes sont la bourgeoisie (les capitalistes) et les prolétaires (travailleurs salariés, y compris les chômeurs !) qui sont les deux classes fondamentales et antagoniques ; mais il y a aussi les petit-bourgeois (classes moyennes) et les propriétaires fonciers. L’économie voit la domination de l’industrie sur l’agriculture dont l’importance ne cesse de se réduire. La production est « sociale » (travailleurs associés dans les entreprises), mais l’appropriation est privée (les produits n’appartiennent pas aux travailleurs mais au capitaliste ou à l’entreprise) ; la recherche du profit est le but et la condition de la production. L’activité économique est le fruit de myriades d’entreprises autonomes dont les marchandises se déversent à l’aveugle sur le marché qui fait office de « régulateur ». La division du travail est extrême. L’Etat atteint son développement maximum, en conséquence de l’aggravation des contradictions sociales, mais aussi des contradictions économiques : anarchie de la production et production toujours croissante, ce qui se traduit périodiquement par des crises.

Sous le socialisme (cinquième et dernière forme) il n’y a plus de rapports marchands ni d’argent, donc plus de loi de la valeur : les produits sont à la libre disposition de ceux qui en ont besoin. Il n’y a plus d’entreprises autonomes ni de marché, donc plus d’anarchie de la production : la production économique est réglée selon un plan unique mondial. Il n’y a plus de classes sociales, donc plus d’Etat de classe et plus de bureaucratie d’Etat : il n’y a plus de système d’administration des hommes, mais un simple système d’administration des choses. Il n’y a plus de division de l’humanité en nations distinctes (donc plus d’affrontements nationaux ni d’oppressions nationales), mais unification de l’humanité : le socialisme (ou communisme) est la société du genre humain, la société de l’espèce humaine. Les contradictions qui existent encore ne sont plus des oppositions entre des classes d’hommes, mais des contradictions entre l’humanité et le milieu naturel.

 

2. L’échange marchand, la loi de la valeur, la valeur

 

2.1 La loi de la valeur (en tant qu’expression économique) signifie que toute marchandise a une valeur : elle implique la production marchande ; là où il n’y a pas de production marchande, les produits ne sont pas des marchandises, ils n’ont pas de valeur marchande, ou, dit de façon abrégée, ils n’ont pas de valeur (mais ils ont bien entendu un autre type de valeur : la valeur d’usage).

Dans la communauté communiste primitive il n’y a pas de production marchande, pas de marchandises et donc pas de « valeur ». Il peut y avoir échange de « cadeaux », mais il n’y a pas de marché. La communauté produit et distribue de façon communautaire ce qui est produit (qui peut être produit individuellement : à la chasse, etc.). Mais dans les rapports entre ces communautés, il peut apparaître à un certain moment un échange de produits : la communauté X a un surplus de production qui peut intéresser la communauté Y qui elle a quelque chose pouvant intéresser X ; cette production en surplus acquiert alors une valeur dans l’échange marchand entre les 2 communautés, elle devient une marchandise. La production des marchandises apparaît à la périphérie des communautés autosuffisantes, mais à la longue elle entraîne (ou peut entraîner) la dissolution de celles-ci.

2.2 La valeur d’usage d’un objet est l’expression de ce quoi il sert : la valeur d’usage d’une chaussure est l’expression de son utilité pour marcher ; si une chaussure est trouée sa valeur d’usage sera moindre que si elle est en bon état.

Quand on parle non plus d’un objet, mais d’une marchandise, on voit que, comme l’avait déjà écrit Aristote qui vivait dans une société marchande, elle présente un double aspect : celui d’une valeur d’usage et celui d’une valeur d’échange. J’achète une chaussure pour sa valeur d’usage (possibilité de marcher avec une chaussure neuve au lieu de ma chaussure trouée), et je la paye à sa valeur d’échange (cette valeur d’échange me permet d’échanger cette chaussure contre une marchandise de valeur équivalente, en particulier contre la marchandise équivalent général qu’est la monnaie). (La « valeur marchande » est une expression de commerçant qui signifie la possibilité plus ou moins grande qu’a à un moment donné une marchandise de pouvoir se vendre ; cette expression ne fait pas partie du vocabulaire scientifique marxiste). Le marché ne connaît que la valeur d’échange des marchandises (dite tout simplement valeur), alors que le consommateur les achète pour leur valeur d’usage.

2.3 Lorsque l’échange de marchandises devient un phénomène régulier et non plus accidentel, autrement dit lorsque le marché est suffisamment développé, il s’établit une valeur d’échange moyenne des marchandises qui se vendent et qui s’achètent : cette valeur est l’expression des efforts (du travail) fournis pour produire les marchandises.

C’est le temps de travail nécessaire à la production d’une marchandise qui lui confère sa valeur (d’échange) : les marchandises s’échangent à égalité de valeur, selon le temps de travail mis pour les fabriquer : une hache vaudra 2 arcs s’il faut 2 fois plus d’effort (de temps de travail) pour la fabriquer qu’un arc. Cette valeur est une valeur moyenne qui s’établit à travers les échanges : un fabricant maladroit d’arcs, qui met 2 fois plus de temps que la moyenne, sera tout de même obligé de vendre ses arcs au prix de marché : la valeur de ses arcs ne sera pas le double de celle de ses concurrents. On voit donc que la valeur d’une marchandise n’est pas une qualité intrinsèque de celle-ci (comme l’est sa valeur d’usage), mais une qualité sociale.

A un stade primitif, l’échange se fait selon le mode du troc, marchandise contre marchandise : M –M. Mais ce système ne facilite pas les échanges : le vendeur de haches qui veut se procurer du pain pour manger doit trouver un vendeur de pain qui ait besoin d’une hache, sinon il mourra de faim.

Il devient donc indispensable, lorsque une certaine division du travail s’est établie (un individu « spécialisé » dans le production des haches, un autre dans celle du pain, etc.), c’est-à-dire qu’un certain niveau d’accroissement des forces productives ait eu lieu, qu’apparaisse une marchandise qui serve d’ « équivalent général », de mesure de la valeur : après avoir vendu sa hache à qui en a besoin en échange de cette marchandise équivalent général, le fabricant de haches pourra acheter plus tard ou ailleurs du pain avec cette même marchandise. Dans l’échange, cette dernière n’a pas (ou plus) de valeur d’usage, elle représente purement l’expression de la valeur contenue dans les marchandises : elle joue le rôle d’une monnaie. Au départ elle peut jouer ce rôle parce qu’elle a, elle aussi, une valeur propre : par exemple c’est un matériau précieux dont la production (l’extraction, etc.) nécessite un temps de travail important, etc. L’argent ( A ) est donc apparu, la formule de l’échange s’écrit maintenant : M – A –M

Avec le développement des échanges marchands apparaît une monnaie qui n’a plus de valeur en soi (c’est un bout de papier, etc.) : elle est devenue une monnaie de crédit ; mais, dans un premier stade, elle peut, théoriquement, être échangée contre une certaine quantité de la marchandise équivalent général, dans la pratique, l’or ; la monnaie circulant dans un pays est gagée sur le stock d’or se trouvant entre les mains de l’Etat ( le système dit de l’étalon or) : ce stock est la garantie du crédit (de la confiance) accordée à la monnaie par les acheteurs/vendeurs.

A un stade ultérieur, l’étalon or est abandonné (en 1971 par les USA), et la monnaie, qui a cours forcé, devient purement une monnaie fiduciaire (dans laquelle on a confiance), un signe abstrait de la valeur des marchandises. Les banques centrales sont chargées de contrôler la création monétaire pour que la quantité de la monnaie circulante corresponde à la valeur de la masse des marchandises qui s’échangent ; évidemment cela permet de s’affranchir des limites physiques du stock d’or et de manipuler à sa guise la création de monnaie pour faciliter le crédit et l’expansion de la production, même si cela implique de l’inflation (baisse de valeur de la monnaie). La Banque Centrale Européenne a par exemple un objectif annuel de 2% d’inflation, soit une baisse de 2% de la valeur de la monnaie ; mais les difficultés économiques l’ont conduit ces derniers mois à une importante création monétaire pour baisser la valeur de la monnaie (de l’argent) disponible aux banques afin de faciliter le crédit aux entreprises.

Il y a un marché mondial des monnaies (des devises) qui se traduit par le cours des différentes monnaies nationales ; une monnaie nationale représentant en théorie la valeur des marchandises produites et s’échangeant dans cette nation, la valeur des monnaies nationales, toutes choses égales, est le reflet de la puissance économique des différents pays  (et non plus l’expression du stock d’or de chacun d’entre eux) ; mais la monnaie étant maintenant fiduciaire, sa valeur a un moment donné est aussi la conséquence de nombreux facteurs (politique monétaire des gouvernements, etc.), certains purement spéculatifs. En cas de crise, la monnaie du pays capitaliste le plus puissant, les Etats-Unis, devient une valeur-refuge, tandis que si un pays particulier est confronté à de graves problèmes, le cours de sa monnaie baisse car sur le marché mondial les acheteurs n’ont plus confiance dans sa valeur.

 

2.4 Revenons à la loi de la valeur. Elle n’est pas éternelle car elle est la conséquence de l’existence d’une production mercantile ; elle n’existait pas quand l’humanité ne produisait pas de marchandises, elle n’existera plus quand l’humanité aura dépassé le stade de l’économie mercantile, quand elle ne produira plus de marchandises. Elle n’existera donc plus sous le communisme où la société n’attribuera pas de valeur à ce qu’elle produit car il n’y aura plus d’échange de produits. Les produits nécessaires à la production seront répartis selon les nécessités du cycle productif, les produits nécessaires à la consommation seront à la libre disposition des consommateurs. C’est ainsi que l’humanité a vécu pendant des centaines de milliers d’années, c’est ainsi qu’elle vivra demain, avec un niveau incomparablement plus grand des forces productives et de  la productivité du travail humain.

 

3. Exploitation, salariat, profit

 

3.1 Le salaire est le prix de la marchandise force de travail, marchandise qui, comme toutes les autres, est achetée, en moyenne, à sa valeur. La valeur de la force de travail est égale à la valeur des biens et services nécessaires à sa reproduction : le salaire doit payer les frais de nourriture, habillement, logement, transport, etc., de la force de travail. Cette valeur est variable suivant les époques et les pays : dans un pays ou à une époque où les frais de nourriture et logement sont plus bas que dans un autre, les salaires seront eux aussi plus bas. Le salaire « réel » comprend aussi ce qu’on appelle le « salaire différé », c’est-à-dire la partie qui n’est pas versée directement au travailleur par le capitaliste, mais qui est versée à diverses institutions sociales pour payer les retraites, les indemnités de chômage, maladie, etc.

Pour baisser la valeur de la force de travail et donc son prix (salaire), les capitalistes s’efforceront de baisser le prix de la nourriture, de l’habillement, du logement, etc. : de là les programmes sociaux des constructions de logements à bas prix, ou de subventions aux prix des transports, etc. Mais la force de travail n’est pas une marchandise comme une autre : alors que les capitalistes cherchent à diminuer sa valeur, cette force de travail a la capacité de lutter pour résister et augmenter son prix (son salaire), ce qui est une atteinte aux profits.

La lutte pour le salaire ne sort pas des limites du capitalisme, et les réformistes ont pour fonction de faire en sorte qu’elle y reste confinée en lui donnant comme objectif : un « juste salaire », un « salaire équitable », c’est-à-dire un salaire égal à la valeur de la force de travail et compatible avec la réalisation de profits suffisants pour l’entreprise : pour les réformistes il peut et il doit y avoir équilibre entre les salaires et les profits, entre les intérêts des travailleurs et ceux des capitalistes.

Cette lutte pour le salaire qui est une lutte « immédiate », d’abord défensive, est indispensable pour les prolétaires s’ils ne veulent pas être écrasés par les capitalistes : s’ils ne rencontrent pas de résistance, il peut arriver que ceux-ci réussissent à acheter la force de travail en-dessous de sa valeur, c’est-à-dire donnent des salaires de famine qui ne permettent pas la reconstitution normale de la force de travail, qui ne permettent pas de manger à sa faim ou de se loger, etc. A certains moments et dans certaines circonstances favorables, les travailleurs peuvent également réussir à ce que leur force de travail soit payée au-dessus de sa valeur ; ils ont alors la possibilité d’avoir accès à des biens «de luxe» ou de se constituer un petit pécule. Mais ce ne sont que des exceptions, la tendance normale du capitalisme étant de faire baisser la valeur de la force de travail et donc du salaire.

Ceci n’est pas contradictoire avec la tendance historique à l’augmentation du niveau de vie des travailleurs, à mesure que s’accroissent, à une échelle encore plus grande, la richesse et la puissance du capital : le niveau de vie moyen d’un travailleur actuel est bien supérieur à celui d’un travailleur d’il y a un siècle, son salaire lui permettant d’acheter davantage de marchandises ; cela signifie que la valeur de sa force de travail est bien supérieure à celle du travailleur d’il y a un siècle : il lui serait impossible de vivre avec le salaire d’un travailleur de cette époque car il lui faut dépenser bien plus pour manger, se vêtir, se nourrir, se loger, se déplacer, se soigner, etc., etc.

L’objectif final des prolétaires ne doit pas être un « juste salaire », autrement dit une « juste exploitation », mais l’abolition du salariat, autrement dit la fin de leur exploitation.

 

3.2. L’exploitation. La marchandise force de travail est achetée à sa valeur, mais elle a la caractéristique de produire plus que sa valeur. Par exemple, mettons que 6 heures de travail suffisent au travailleur pour produire l’équivalent de sa valeur (de son prix qui est exprimé dans le salaire), il devra cependant faire ses 8 heures de travail comme stipulé dans son contrat : les 2 heures supplémentaires seront du travail gratuit pour le capitaliste, produisant une valeur supplémentaire, une plus-value ; ce travail gratuit fourni par le travailleur (on emploie aussi le terme de « surtravail »), est ce qu’on appelle du point de vue marxiste son exploitation ; le taux d’exploitation est le rapport entre le « travail nécessaire » (celui produisant la valeur payée par le salaire) et le travail gratuit qui produit une valeur revenant exclusivement au capitaliste, la « plus-value ». La plus-value est le moteur du capitalisme : c’est elle qui, lorsque les produits ont trouvé acquéreurs sur le marché, donne le profit qui permet de recommencer et d’accroître le cycle productif. Sans profit le cycle productif s’arrête, l’entreprise fait faillite. La formule capitaliste est : A – M ’! M + « M – A + « A.

 Elle signifie qu’au cours du cycle productif ’! une valeur « M s’est ajoutée à M (la valeur de toutes les marchandises consommées dans le cycle, y compris la force de travail) ; et en résultat, après la vente, une quantité plus grande, « A, ajoutée au capital argent ( A ), revient au capitaliste : son profit. Sous le capitalisme le but n’est pas de produire des produits ou des marchandises, mais du profit : la production des marchandises est le moyen de produire des profits, rien de plus : la production est avant tout production de capital. Est productif dans cette société tout ce qui produit un profit, et improductif, ce qui n’en produit pas. Mais la société capitaliste a besoin de produire des biens ou des produits qui ne sont pas source de profits (ou de profits suffisants) : de l’éducation de la force de travail à la fourniture en eau et électricité, etc. Cette production indispensable est alors confiée à des structures particulières, étatiques ou para-étatiques, qui sont dites de « service public », et qui sont financées par les impôts et taxes.

Le capitaliste est donc à la recherche du profit, mais plus précisément du meilleur taux de profit. Le taux de profit est le rapport entre le profit obtenu et toutes les dépenses faites au cours du processus de production : plus ces dernières sont importantes, et plus le taux de profit est faible. Pour « rentabiliser » ses investissements, le capitaliste cherche à réduire au maximum les dépenses (qui sont des avances qu’il fait en prévision d’un profit futur), par la baisse des salaires versés, par la baisse des investissements, etc. Une solution pour avoir un taux de profit plus grand est la délocalisation dans un pays où les salaires sont plus bas et où on peut investir moins dans des machines et appareillages divers.

 

3.3. Plus-value, productivité. Au début du capitalisme, où la productivité était faible, la plus-value était obtenue en accroissant démesurément la durée de la journée de travail : 10, 11, 12 heures de travail par jour, parce que le travail nécessaire prenait 9, 10, 11 heures. Marx parle à ce propos de plus-value (ou surtravail) absolue. Mais apparaît assez vite une autre façon d’obtenir ou d’augmenter la plus-value : diminuer le temps de travail nécessaire, par l’augmentation de la productivité du travail : si, en raison de l’augmentation de la productivité du travail, le temps de travail nécessaire n’est plus que de 6 ou 7 heures, le capitaliste peut admettre une diminution de la durée de journée de travail parce qu’il obtiendra une plus-value identique voire supérieure. Marx parle alors de plus-value relative.

L’augmentation de la productivité du travail est obtenue par l’amélioration du processus productif, tant par l’innovation technique, l’utilisation d’outillages, de machines, etc., que par la modification de la façon de travailler : spécialisation des travailleurs, travail à la chaîne, augmentation des cadences, etc. (intensification du travail).

Un puissant facteur qui pousse les capitalistes à la recherche de la plus-value relative et de l’augmentation de la productivité du travail, est la lutte historique des travailleurs pour la diminution de la durée de la journée de travail.

 

3.4 Travail productif et improductif. Sous le capitalisme est travail productif tout travail qui produit un profit ; Marx donne l’exemple d’un enseignant : tant qu’il fait partie de l’Education nationale sont travail n’est pas productif ; mais s’il travaille dans une école privée il devient un travailleur productif, il entre dans le mécanisme de l’exploitation capitaliste et son travail produit un profit pour le propriétaire de l’école. Mais qui dit travail improductif ne dit pas travail inutile : le travail de l’enseignant de l’Education Nationale est utile car il forme la main d’œuvre indispensable au capitalisme. Il existe du travail non productif mais indispensable (par exemple celui de l’artisan boulanger), mais il existe également du travail improductif parasitaire, car il ne sert qu’à consommer une partie de la plus-value extorquée par les capitalistes (par exemple le travail des domestiques et autres serviteurs des bourgeois, etc.) sans participer à la production capitaliste.

 

4. L’accumulation du capital

 

4.1. La valeur des marchandises vendues à l’issue du cycle productif sert à payer les différents groupes de la classe dominante : les banquiers ou investisseurs qui ont avancé le capital; le propriétaire foncier du terrain où se trouve l’entreprise, les autres capitalistes à qui l’entrepreneur a acheté les matières premières et autres ; l’usure des machines et l’entretien des installations ; les divers frais étatiques (par l’impôt) ; elle sert aussi à payer le salaire de la force de travail : tout cela représente le prix complet d’un cycle productif, l’argent que le capitaliste a investi dans ce cycle et qu’il retrouve à la fin de ce cycle (après avoir vendu la marchandise) où, comme on l’a vu, il a obtenu une quantité supplémentaire, la plus-value.

Ayant donc en poche un capital argent plus grand à la fin du cycle productif qu’au début, le capitaliste peut, où dépenser ce surplus de façon improductive en faisant la noce ou en payant un dividende aux actionnaires, ou alors l’investir pour recommencer le cycle productif à une échelle élargie: il y a alors dans ce cas reproduction élargie du capital (et non pas reproduction simple s’il se contentait de réinvestir la même quantité de capital A qu’auparavant) qui permet d’augmenter le profit final.

Cependant pour pouvoir commencer une reproduction élargie, il faut que la quantité supplémentaire de A, « A, obtenue à l’issue du cycle productif, soit suffisante (pour acheter des matières premières, des machines et de la force de travail supplémentaires) ; cela signifie qu’il faut d’abord accumuler une quantité suffisante de capital. Cette accumulation est soit faite petit à petit par le capitaliste lui-même, soit par des banques qui centralisent de nombreux capitaux et peuvent ainsi prêter au capitaliste.

Le capitalisme d’Etat qui supprime la fraction consacrée à la consommation du capitaliste individuel ainsi qu’à la location ou l’achat des terrains, supprime du même coup ces dépenses improductives et augmente d’autant la part réinvestie dans la production, autrement dit accroît l’accumulation du capital ; il n’est donc pas une forme plus « socialiste », mais plus capitaliste que la forme capitaliste privée.

 

4.2 composition organique du capital, baisse tendancielle du taux de profit. Selon le schéma marxiste la valeur « incorporée » dans une marchandise se décompose en « capital constant » (valeur de la fraction des installations, des outillages, des matières premières, etc., consommées lors du processus de sa fabrication), « capital variable » (valeur de la part du salaire correspondant) et plus-value : C + V +Pl. C’est cela qu’on appelle la composition organique du capital.

Les richesses naturelles éventuellement utilisées, qui ne coûtent rien, qui n’ont pas de valeur, n’entrent par conséquent pas dans C : par exemple l’oxygène de l’air indispensable aux travailleurs. Mais certains travaux, par exemple sous scaphandre, nécessitent d’alimenter les travailleurs en oxygène ; cet oxygène-là a un prix, une valeur, parce que pour sa production il faut du travail humain, et il fait alors partie de C. Le capital constant, (c’est-à-dire les produits et équipements, etc., utilisés au cours de la production) est le fruit d’un travail humain passé : les matières premières ont été extraites, l’oxygène a été produit, les produits semi-finis et les machines ont été fabriquées, etc. On appelle cela le travail mort. Sa caractéristique est que sa fraction consommée lors de la production se retrouve intégralement dans la valeur de la marchandise, sans y avoir ajouté aucune valeur supplémentaire, puisque seul le travail gratuit, le «surtravail», du travailleur, produit une valeur supplémentaire incorporée dans la marchandise.

Historiquement la composition organique du capital se modifie par l’augmentation du capital constant par rapport au capital variable : les outils, appareillages et équipements divers sont toujours plus nombreux pour augmenter la productivité du travail, parfois les machines remplacent des travailleurs (d’une façon ou d’une autre chaque heure de travail permet ainsi de produire davantage). C augmente plus vite que V.

Le taux de profit étant le rapport entre la plus-value et le capital constant (Pl /C) (1), la conséquence est donc qu’il a tendance à baisser à mesure qu’augmente le capital constant, même si la quantité de profit (la plus-value) continue à augmenter en termes absolus. Par exemple les industries modernes de l’automobile enregistrent des profits incomparablement plus élevés que les petits fabricants d’autos d’il y a un siècle, la productivité du travail y est incomparablement plus grande, mais leur taux de profit est beaucoup plus bas que ces derniers qui n’avaient qu’un outillage des plus sommaires. Encore plus que la quantité de profit lui-même c’est le taux de profit qui intéresse le capitaliste : il préférera obtenir 5000 de profit plutôt que 10 000, si dans le premier cas il lui suffit d’investir 20 000 (taux de profit : 25%) contre cent mille dans le deuxième cas (taux de profit : 10%).

La baisse du taux de profit est dite tendancielle, car il s’agit en réalité d’une tendance que le capitaliste cherche à contrecarrer, et ce qu’il réussit souvent à faire. Il a plusieurs moyens pour cela : augmentation de la plus-value absolue ou relative, etc… L’un des moyens est la délocalisation dans les pays à bas salaire, c’est-à-dire là où la valeur de la force de travail est basse (les conditions de vie sont moins onéreuses). C’est un peu comme remonter dans le temps : le taux de profit est plus élevé car le bas coût de la force de travail permettant qu’il y ait moins de machines, la composition organique du capital est plus faible : il est par exemple bien moins coûteux d’installer une chaîne de production automobile en Roumanie ou en Russie qu’en France : la productivité du travail y est plus faible, mais le taux de profit plus élevé.

 

4.3 Crises capitalistes. La production capitaliste nécessite la vente des marchandises produites : si la vente ne peut se faire, le cycle productif ne peut pas recommencer, la production s’arrête. Le passage par le marché implique la possibilité de la crise : les capitalistes produisent à l’aveugle sans avoir d’assurance qu’ils pourront vendre (« réaliser ») leurs marchandises. Comme la concurrence est la loi du capitalisme, il y a donc constamment des entreprises qui entrent en crise et font faillite parce qu’elles n’arrivent plus à résister à la concurrence d’autres. Mais le capitalisme connaît aussi des crises générales, qui se répètent avec une certaine régularité. Toutes les entreprises étant poussées à produire toujours davantage pour augmenter leurs profits, il arrive inévitablement que la production devienne à un moment plus grande que ce que le marché peut absorber : on alors une crise générale (il peut y avoir aussi des crises limitées à un secteur de production). Sous le capitalisme la production se développant à un rythme plus rapide que la consommation, la crise est une crise de surproduction. La crise éclate parce qu’on a trop produit – non pas par rapport aux « besoins » en général de la population, mais par rapport au marché. Les marchandises, trop nombreuses, n’arrivent plus à se vendre, ou seulement à bas prix, en dessous de leur valeur, les entreprises les plus fragiles qui vendent à perte font faillite, licencient, ce qui accroît le marasme en réduisant encore le marché (chaque entreprise qui disparaît fait aussi disparaître le débouché qu’elle représentait pour ses fournisseurs, ses sous-traitants, etc. ainsi que le débouché représenté par la consommation de ses employés). Finalement lorsque les « surcapacités » et la saturation du marché ont disparu, les entreprises les plus fortes, qui ont pu résister, peuvent redémarrer et sur une base plus « saine » : c’est la reprise économique qui va peu à peu s’accélérant et qui conduira au bout de quelques années à une nouvelle crise économique.

Le capitalisme réussit à surmonter la crise, dit Le Manifeste, 1) en trouvant de nouveaux marchés (extension du capitalisme dans de nouvelles régions), 2) en exploitant davantage les marchés existants (extension du capitalisme dans le pays même en réduisant les secteurs non capitalistes de petite production, etc., augmentation des profits de diverses manières), 3) en détruisant les forces productives en surnombre (surcapacités).

Les réformistes disent que les crises sont dues à la « sous-consommation » des masses et ils proposent leur recette pour surmonter ou éviter les crises : augmenter les salaires afin que les travailleurs puissent consommer plus. L’augmentation des salaires signifie sans doute un accroissement du marché, mais elle signifie aussi une baisse des profits et elle est donc un facteur de crise. Le capitalisme a en fait besoin vital de préserver ou de restaurer ses profits et donc en période de crise il a besoin de baisser les salaires (alors qu’en période de prospérité économique, il peut se permettre de les augmenter).

 

5. Lutte des classes, Etat et révolution

 

Les deux classes fondamentales de la société capitaliste sont la bourgeoisie (la classe des capitalistes qui vit essentiellement de l’exploitation des prolétaires) et le prolétariat (la classe des sans-réserves, obligés de vendre leur force de travail aux capitalistes pour vivre). Ce sont les classes fondamentales parce qu’elles sont porteuses de deux modes de production qui, historiquement, s’affrontent : le socialisme et le capitalisme. Le prolétariat, est la classe révolutionnaire par excellence, car il ne peut s’émanciper sans renverser le capitalisme (c’est ce que contestent les réformistes, qui prétendent que les intérêts des exploiteurs et des exploités sont conciliables entre eux avec un peu de bonne volonté).

 Mais il existe aussi d’autres classes intermédiaires (appelées « classes moyennes », etc.) parfois très importantes en nombre: une société capitaliste « pure » composée exclusivement de prolétaires et de capitalistes n’existe pas et n’existera jamais: le fossé entre la poignée de capitalistes et les prolétaires composant l’écrasante majorité de la population serait tel que l’explosion sociale serait immédiate.

Ces classes intermédiaires se composent à la campagne des paysans propriétaires (les salariés agricoles font partie du prolétariat, et les patrons des grandes exploitations agro-industrielles, de la bourgeoisie), des « couches moyennes » multiples dans les villes (des artisans, petits commerçants, professions libérales, aux « cadres » et « intellectuels » divers). Elles jouent un rôle très important dans la lutte des classes car elles servent de « tampon » à la minorité capitaliste face au prolétariat envers qui elles font office de diffuseur des influences bourgeoises ; dans les périodes de heurt ouvert entre prolétariat et bourgeoisie elles sont utilisées par celle-ci pour réprimer les travailleurs (le fascisme recrute dans ces classes). Ces classes sont régulièrement les victimes du capitalisme, qui dans les périodes de crise les accule à la ruine et à la prolétarisation ; cela provoque chez elles des réactions, qui peuvent être violentes, mais qui sont souvent pacifistes et légalistes, de « protestation » contre les conséquences du régime capitaliste. Elles ont tendance à se mettre en mouvement en prétendant se mobiliser, non pas au nom d’une classe particulière, mais au nom du « peuple », de la « nation », des « 99% » de la population. Parfois leur « anticapitalisme » proclamé peut prendre un caractère d’extrême droite ou fasciste, mais aujourd’hui, où les tensions sociales n’ont pas atteint en général un point d’ébullition, il se pare de couleurs « morales », « humanistes » ou « apolitiques » (mouvement des indignés, etc.), mais toujours foncièrement anti-prolétariennes.

Cependant théoriquement dans les périodes de crise révolutionnaire, une partie d’entre elles peut suivre le prolétariat si celui-ci se montre suffisamment fort et déterminé dans son attaque contre la bourgeoisie. L’attitude à avoir par rapport à ces classes est donc un problème crucial pour le prolétariat ; mais celui-ci doit avant tout s’organiser de façon indépendante de classe, s’extirper de la mélasse interclassiste, « populaire », pour avoir ensuite une chance d’attirer de son côté au moins une partie de ces classes, au lieu d’être utilisé par elles.

Après avoir renversé le pouvoir bourgeois par l’insurrection armée, le prolétariat instaure son propre pouvoir : la dictature du prolétariat, l’ « Etat ouvrier ». Comme tous les Etats il est l’instrument de la classe dominante, le prolétariat : la bourgeoisie et les classes possédantes sont exclues du pouvoir : il revendique ouvertement être une dictature, et non une démocratie ; sa fonction est, sur le plan politique et militaire de réprimer les anciennes classes dominantes intérieures et de mener la lutte contre les classes dominantes étrangères ; sur le plan économique et social d’intervenir despotiquement dans les rapports économiques pour extirper le capitalisme.

Mais cet Etat est fondamentalement différent des Etats de classe antérieurs car il est basé sur la participation des masses, réduisant au maximum le recours aux « spécialistes » (fonctionnaires) et donc à la « bureaucratie », et il tend à disparaître au fur et à mesure que disparaissent les classes et les rapports capitalistes de production ; cette période de la dictature du prolétariat est la période de transition au socialisme (ou au communisme, Marx distinguant un stade inférieur du communisme à un stade supérieur ou socialisme). La dictature est internationale à mesure que la révolution s’étend ; elle cherche à centraliser les forces productives au niveau international pour arriver, après la victoire de la révolution dans tous les pays, à dresser un plan unique mondial dont le but sera d’en finir avec les diverses inégalités de production et les dévastations de l’environnement héritées du capitalisme. Plus particulièrement dans les pays capitalistes développés le pouvoir prolétarien engagera une vigoureuse politique de désinvestissement et de suppression des activités parasitaires et antisociales qui y prolifèrent, etc.

 

6. Impérialisme

 

L’impérialisme, selon Lénine, est un stade particulier du capitalisme où les lois de développement de ce mode de production ont conduit à l’apparition de grandes puissances, incarnation des plus grandes concentrations capitalistes, en lutte entre elles pour se partager la planète (soit directement sous la forme ancienne des colonies, soit « indirectement » sous la forme moderne d’une domination économique et financière, donc, en conséquence, politique). Périodiquement cette lutte débouche sur des conflits militaires généralisés remettant en cause l’ancien partage, qui culminent dans des guerres mondiales. Entre ces guerres généralisées il y a des périodes de « paix » où il existe toujours des guerres, mais « localisées » (exemple : depuis la dernière guerre mondiale, l’impérialisme français a été perpétuellement en guerre, à l’exception de courtes périodes, pour défendre  ses intérêts en Afrique et ailleurs).

Au plan économique on est arrivé à la domination du capital financier (indispensable pour les entreprises), à la constitution de très grandes entreprises, souvent monopolistiques, qui sont aussi « multinationales » en raison de leur internationalisation mais qui restent ancrées dans leur pays d’origine, et d’une interpénétration toujours plus forte de ces grandes entreprises avec l’Etat bourgeois (à la colère des capitalistes plus petits qui demandent un « Etat impartial »), formant ce qu’on appelait autrefois un « capitalisme d’Etat » (aujourd’hui capitalisme d’Etat signifie propriété de l’Etat sur les entreprises), à la différence du capitalisme libéral de la période antérieure. Les courants staliniens et post-staliniens ont particulièrement théorisé le « capitalisme monopoliste d’Etat » en le désignant comme l’ennemi véritable du prolétariat ; en réalité cette critique des « grands monopoles » s’expliquait par leur politique interclassiste d’alliance avec les petits patrons, les petites entreprises, les capitalistes « nationaux ». Pour le prolétariat l’ennemi véritable est le système capitaliste dans son ensemble et l’Etat bourgeois qui le défend.

Sur le plan politique ce stade impérialiste est en effet caractérisé par le renforcement du poids de l ‘Etat dans la vie sociale, et notamment par le renforcement des mesures de contrôle et répression, de plus en plus « totalitaires ».

On emploie parfois l’expression imagée de capitalisme « pourrissant » pour indiquer que les conditions objectives sont plus que mûres pour passer au socialisme. Mais cette expression indique aussi que les aspects antisociaux, destructifs, etc. du capitalisme, qui ont toujours existé, atteignent un degré de plus en plus élevé quand le capitalisme se développe (par exemple les atteintes à l’environnement prennent une acuité jamais vue avec les modifications climatiques au niveau global et plus seulement local comme autrefois).

Cependant certains courants théorisent une « décadence » ou une « décomposition » du capitalisme telles qu’elles pourraient arriver à compromettre les possibilités du passage au socialisme ou même la survie de la civilisation humaine ; il faudrait alors mettre de côté la lutte de classe et la remplacer par une lutte de tous les humains de bonne volonté contre la barbarie, la catastrophe, etc. C’est une nouvelle forme de l’interclassisme, politique qui vise toujours à empêcher l’émergence de la lutte révolutionnaire prolétarienne.

 

7. Pays dominés et anti-impérialisme

 

La domination impérialiste a comme conséquence d’orienter le développement capitaliste dans les pays dominés dans un sens favorable aux intérêts impérialistes ; elle a aussi comme conséquence qu’une partie de la plus-value extorquée aux prolétaires par les bourgeois locaux ne reste pas entre les mains de ceux-ci, mais retourne dans les centres impérialistes. C’est la raison pour laquelle l’ « anti-impérialisme » est un mot d’ordre repris par les courants bourgeois et petit-bourgeois de ces pays qui voudraient desserrer la pression impérialiste, parce qu’ils aspirent à un développement capitaliste dont ils toucheraient davantage les profits, au nom de l’indépendance économique, etc. Cependant l’impérialisme qui domine ces pays, y défend aussi le capitalisme et par conséquent la bourgeoisie locale, contre les travailleurs et les masses pauvres ; les bourgeois et petits-bourgeois locaux n’hésitent jamais à faire appel aux parrains impérialistes quand ils font face à des révoltes de prolétaires ! On peut dire aujourd’hui à propos de ces pays, après la vague des révolutions anti-coloniales, ce que disait Marx à propos de l’Europe occidentale au moment de la Commune : les classes dominantes, même si elles se font la guerre, ne font qu’un contre le prolétariat.

Cela signifie qu’on ne peut parler, comme le faisaient les courants staliniens, maoïstes et autres, de « révolution anti-impérialiste », c’est-à-dire de révolution de plusieurs classes prolétariat, paysannerie et petite bourgeoisie en général, bourgeoisie « nationale », c’est-à-dire, selon le marxisme de révolution bourgeoise, contre la domination impérialiste – alors que contre la domination coloniale de telles révolutions bourgeoises, visant au développement capitaliste local qui était empêché par le colonialisme, ont été possibles. Dans ces pays, seule une révolution prolétarienne, socialiste, visant à renverser le capitalisme, est désormais possible. Même si le faible développement du capitalisme et donc l’existence de nombreuses classes moyennes et intermédiaires pose objectivement de nombreux problèmes à cette révolution.

Les alliés dont pourra disposer le prolétariat seront d’abord les masses pauvres qui, quittant les campagnes, s’entassent dans les métropoles où elles cherchent à survivre avec de petits boulots précaires (marchands ambulants en tout genre, précariat, etc.). Mais ces masses souvent très nombreuses peuvent aussi être mobilisées par des forces réactionnaires (Islamistes, etc.) contre le prolétariat et pour le renforcement du pouvoir bourgeois.

En ce qui concerne les masses paysannes, une attitude particulière sera nécessaire pour les arracher aux influences bourgeoises ou les « neutraliser » politiquement. Il faudra pour cela s’appuyer sur les acquis politiques et programmatiques du mouvement ouvrier révolutionnaire élaborés quand se posait en Europe un problème similaire.

L’ opportunisme prescrit au prolétariat, dans ces pays comme partout, une orientation interclassiste : au nom des intérêts suprêmes de la nation, le prolétariat devrait mettre au second plan ses intérêts de classe pour permettre une « alliance » avec les autres classes, un « front unique anti-impérialiste », etc. : les intérêts de « la nation » et du capitalisme national priment les intérêts « égoïstes » des exploités, qui devraient attendre la pleine souveraineté et le plein développement économique pour que leurs revendications soient prises en compte. Cette orientation a comme conséquence de mettre la force prolétarienne au service d’intérêts bourgeois : il ne peut pas y avoir d’alliance égalitaire entre exploités et exploiteurs.

 

8. Opportunisme et révolution dans les pays impérialistes

 

Le réformisme est historiquement le courant qui prétendait que grâce à la réalisation de réformes, il était possible de passer graduellement au socialisme ; pas besoin de révolution, d’insurrection, de dictature du prolétariat, le prolétariat pouvait arriver au pouvoir légalement et pacifiquement par les élections et effectuer par ce moyen une démocratisation de plus en plus profonde de la société et de l’Etat qui déboucherait un jour sur le socialisme. Dans les faits, les réformistes rejetaient la voie révolutionnaire parce qu’ils redoutaient le renversement du capitalisme et que seule la lutte pour l’ « améliorer » les intéressaient.

Aujourd’hui les réformistes sont toujours anti révolutionnaires mais ils ont abandonné en outre tout discours sur le socialisme et ils abandonnent même la lutte pour les réformes, se contentant de vouloir négocier les attaques capitalistes afin de les rendre moins douloureuses et plus supportables aux travailleurs : ils apparaissent ainsi plus clairement comme des partisans du capitalisme et des valets de la bourgeoisie.

L’opportunisme était un courant politique qui s’était formé au sein du mouvement et des partis ouvriers ; il mettait de côté les principes, le programme et le but socialistes (qu’il ne rejetait pas forcément en parole comme les réformistes ouverts), pour s’adapter de manière opportuniste à la société capitaliste et aux pressions bourgeoises.

L’ « immédiatisme » ou l’ « activisme » est une caractéristique de l’opportunisme : les résultats immédiats et l’activité sont la seule chose qui compte, les principes et le programme peuvent et doivent être passés sous silence s’ils gênent ces résultats et cette activité (Berstein : « le mouvement est tout, le but n’est rien »). Le socialiste opportuniste anti-marxiste Brousse (dit « possibiliste »), dirigeant de la Fédération des Travailleurs Socialistes de France, précurseur de la conquête des municipalités, avait cette formule : pour rendre le programme général enfin possible, il faut l’immédiatiser en le fractionnant en objectifs réalisables. Bien entendu cet immédiatisme n’est rien d’autre que de l’adaptation au capitalisme. L’activisme (activité déliée des principes et du programme), est une déviation typique des courants d’extrême-gauche, surtout des trotskystes qui n’hésitent jamais à abandonner leurs prétentions révolutionnaires, à se déguiser en démocrates ou réformistes, etc., pour obtenir de succès, y compris électoraux !

Autrefois les révolutionnaires luttaient dans les partis ouvriers contre le courant opportuniste, pour la fidélité aux positions marxistes et à la politique révolutionnaire. Lors de l’éclatement de la première guerre mondiale, l’opportunisme emporta tous les partis socialistes (ou presque). Lénine disait que l’opportunisme avait mûri, il n’était plus simplement un courant politique droitier à combattre dans les partis ouvriers, il était devenu une force puissante alimentée par la bourgeoisie ; il n’était donc plus possible de cohabiter dans un même parti avec ces agents de la classe dominante, il fallait rompre et créer de nouveaux partis, vraiment révolutionnaires.

L’anarcho-syndicalisme ou le syndicalisme révolutionnaire (en réalité ce n’est pas exactement la même chose) était un courant qui était apparu dans le mouvement ouvrier en réaction à l’opportunisme croissant des partis socialistes. Selon la vieille tradition anarchiste, il rejetait la lutte politique, vue comme la lutte parlementaire, pour se consacrer à la lutte syndicale, « purement ouvrière ». Le courant syndicaliste révolutionnaire dirigeant la CGT (alors seul syndicat de classe face aux divers syndicats « jaunes », « blancs » ou patronaux) avait dans sa Charte d’Amiens avant la première guerre mondiale défini un partage des rôles : le parti socialiste s’occupait de la lutte politique, il ne devait pas interférer dans la lutte syndicale, réservée aux syndicalistes révolutionnaires, même si une alliance, sur la base de ce partage des rôles, devait exister entre le syndicat et le parti (pour les vrais anarcho-syndicalistes, il ne devait pas y avoir le moindre rapport et la moindre alliance avec le parti); les syndicalistes révolutionnaires théorisaient que le syndicat, étant la véritable organisation ouvrière, devrait jouer le rôle décisif dans la révolution (réduite à une grève générale qui ferait s’écrouler d’un coup le capitalisme) et la société post-révolutionnaire.

Dans les faits, au moment décisif, les dirigeants syndicalistes-révolutionnaires trahirent la cause prolétarienne tout autant que les dirigeants socialistes, en se ralliant à l’union sacrée avec la bourgeoisie lors de la première guerre mondiale. Les anarcho-syndicalistes, dominant en Espagne (CNT), firent de même lors de la guerre civile dans ce pays en se ralliant à la défense de l’Etat bourgeois au nom de l’anti-fascisme : démonstration que ces courants sont une variété de l’opportunisme.

 

9. Croissance des inégalités

 

Il n’est pas très important de déterminer quelle fraction de la bourgeoisie se partage la plus grosse partie de la richesse mondiale ; sans doute est particulièrement frappante la richesse du 1% de la population ou celle d’une poignée de milliardaires : selon l’ONG Oxfam, 62 personnes ont un patrimoine égal à celui de la moitié la plus pauvre de la population de la planète ! Mais fondamentalement la bourgeoisie est la classe qui possède la plus grande partie des moyens de production (à côté des propriétaires fonciers qui possèdent la terre et des petits-bourgeois qui possèdent leurs outils, leur commerce, etc.), alors que les prolétaires ne possèdent rien que leur force de travail.

 Plus significatif est la croissance des inégalités de revenu (du salaire des prolétaires aux gains et rentes diverses des bourgeois) dans le monde, qui est bien documentée ; des institutions bourgeoises s’alarment régulièrement de cette tendance parce qu’elle signifie le creusement du fossé entre les classes sociales, risquant de déboucher inévitablement sur l’accroissement des tensions sociales.

Après la deuxième guerre mondiale les inégalités de revenu s’étaient fortement réduites dans les pays capitalistes développés, en même temps qu’étaient institués progressivement toute une série d’amortisseurs sociaux : c’était le prix qu’était prête à payer la bourgeoisie pour écarter le spectre de la révolution sociale et assurer la paix sociale. Les choses ont commencé à changer après la crise de 1981-82 avec les années Reagan et Thatcher, mais c’est surtout depuis une vingtaine d’années que se creusent les inégalités, au point que dans certains pays on arrive à retrouver des inégalités proches de celles existant au début du vingtième siècle (voir les travaux de Picketty, etc.). C’est la démonstration de l’assertion marxiste selon laquelle le capitalisme signifie accroissement de la richesse à un pôle de la société et accroissement de la pauvreté au pôle opposé.

Mais cela ne justifie pas l’orientation réformiste et interclassiste qui prône l’union des 99% de la population pour exproprier les 1% les plus riches. Même si ces 1% étaient expropriés, le capitalisme ne serait pas supprimé comme l’a prouvé l’expérience des pays capitalistes d’Etat où la propriété privée des grands moyens de production était supprimée. Une alliance interclassiste, des 99%, c’est-à-dire réunissant prolétaires, petits-bourgeois et une partie des bourgeois, serait incapable par nature de réaliser une révolution anti-capitaliste.

Dans les pays de l’OCDE (en gros : pays occidentaux, Amérique Latine plus Japon), les pays où les inégalités de revenu sont les plus fortes sont, dans l’ordre, le Chili, le Mexique, la Turquie, les Etats-Unis. Hors OCDE, les records d’inégalité se trouvent au Lesotho et en Afrique du Sud.

La France est l’un des pays d’Europe qui a connu la plus grande hausse des inégalités après la crise de 2008, derrière l’Irlande l’Espagne et la Grèce : de 2007 à 20011, les 10% les plus pauvres ont vu leur revenu baisser en moyenne de 1% par an entre alors que les 10% les plus riches ont connu une augmentation de leur revenu de 2% par an ; cependant son « taux de pauvreté » (fraction de la population ayant un revenu inférieur à 60% du revenu médian, considérée comme « à risque d’exclusion sociale ») n’était en 2014 selon Eurostat que de 18,6% contre 20% en Allemagne, 24,8% en Grande-Bretagne, 28% en Italie, 29% en Espagne, 36% en Grèce, le record étant de plus de 40% pour la Bulgarie et le Roumanie : les « amortisseurs sociaux » y sont encore plus nombreux ou plus efficaces en France que dans ces autres pays, mais les bourgeois et leurs hommes politiques s’efforcent de les diminuer à coup de réformes diverses, car ils constituent une « charge intolérable » pour le capitalisme français par rapport à ses concurrents.

 


 

(1) Errata de mars 2024 à propos du taux de profit indiqué faussement ici par "Pl/C" :

« Une fâcheuse erreur s’est glissée dans l’article « Petit dictionnaire marxiste » paru sur le n° 106 de la revue. Au point 4.2 il est indiqué que la formule du taux de profit, Pl / C, est le rapport entre la plus-value (la part de travail non payé qui donne le profit) et le capital constant (moyens de production).

En réalité C est le « capital total », qui se décompose entre capital constant (c) et capital variable (v, qui sert à payer les salaires : C = c + v. Le taux de profit Pl / C est donc : Pl / c + v.  Ce qui permet de  comprendre qu’une baisse des salaires, donc de v, entraîne, toutes choses égales, une hausse du taux de profit. 

Cf. Marx, Le Capital, Tome III, ch.2., Éditions Sociales 1976, p.58. »

Cet errata à été publiée dans programme communiste n° 107, p. 57.

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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