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Annexes à «Histoire de la Gauche Communiste»

 

(«programme communiste»; N° 97; Septembre 2000)

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1.     Les abstentionnistes et la fraction communiste: la valeur de la discipline («Il Comunista» n°3 - 28/1I /1920)

2.     L’opportunisme international («Il Comunista» n° 9 - 9/1/1921)

3.     Les Unitaires ne sont pas communistes ( «Il Comunista», n° 7 - 26/12/1920 )

 

 

 

Les abstentionnistes et la fraction communiste: la valeur de la  discipline

(«Il Comunista» n°3 - 28/1I /1920)

 

 

Cet article traite de la question de la discipline du point de vue marxiste, c’est-à-dire en fondant celle-ci sur la seule base qui lui permet d’être autre chose qu’un artifice mécanique, un moyen de contrainte, qui donne les seules garanties de son efficacité: l’homogénéité politique du parti. Les centristes «maximalistes», «unitaires» accordent - de façon rhétorique - d’autant plus de valeur à la discipline formelle, qu’ils se refusent à oeuvrer pour l’unité programmatique du parti. Toutes choses égales par ailleurs, quelques années pus tard les centristes à la tête de l’Internationale et des partis donneront une valeur absolue à la discipline - cette fois-ci, dans la pratique - pour surmonter les oppositions à leur abandon progressif des orientations programmatiques communistes.

 

*  *  *

 

Il est bien connu que la Fraction Abstentionniste du PSI adhère formellement et totalement à la Fraction Communiste constituée après le Congrès de Moscou et en fait aujourd’hui partie intégrante - à travers l’intervention du sous-signé à l’élaboration du Manifeste-programme, et par une délibération du Comité central de Naples, unanimement respectée par tous les groupes adhérents.

La fraction abstentionniste s’est constituée officiellement après le congrès de Bologne d’octobre 1919, au cours duquel sa motion a recueilli les voix de 67 sections représentant environ 3500 membres. Le Comité central a son siège à Naples, et son organe de presse est Il Soviet, qui se trouve aujourd’hui naturellement parmi les journaux du Parti qui défendent le point de vue de la Gauche.

Au Congrès International de Moscou nous avons soutenu notre thèse de l’incompatibilité pour les communistes de la participation aux élections des organes représentatifs de la démocratie bourgeoise, dans la période révolutionnaire actuelle et pour les pays de vieux régime démocratique. Comme il était prévu, ces thèses ne furent pas acceptées par le Congrès, qui a approuvé les thèses de Boukharine en faveur de la participation électorale et parlementaire dans un sens et avec une perspective révolutionnaires, contre une faible minorité, qui se divisa encore puisque les syndicalistes-anarchistes, anti-parlementaires, n’ont pas voté et ne pouvaient pas voter pour nos conclusions en raison de leur caractère nettement marxiste. Celui qui écrit déclara à Moscou que les anti-électoralistes d’Italie et d’autres pays acceptaient sans discuter et de façon disciplinée ce résultat.

Toutefois, lorsqu’elle a adhéré en Italie à l’initiative de la gauche, notre fraction n’a pas décidé de se dissoudre ni de modifier sa ligne de conduite négative par rapport aux élections municipales, ainsi qu’il en a été délibéré lors de la Conférence Nationale de Florence des 8 et 9 Mai 1920.

Certains - pas les camarades de la gauche communiste, avec lesquels notre accord sur la ligne politique ne pourrait être plus complet, plus loyal, plus chaleureux - ont voulu spéculer sur cette attitude en soutenant qu’elle contredisait notre déclaration et notre affirmation de principe que le Parti Communiste et la 3e Internationale doivent être fondés sur une discipline de fer. Cette objection a été faite au soussigné dans des réunions du Parti où il soutenait au nom du Comité de Bologne la position de la gauche communiste. Certains ont voulu ainsi trouver un argument de circonstance contre les thèses sécessionnistes que j’ai ardemment défendues, en voyant dans l’orateur l’abstentionniste indiscipliné au Parti et à la Troisième Internationale et en prétendant le prendre en faute dans ses affirmations en faveur de l’homogénéité du Parti et de la rupture définitive avec l’équivoque unité actuelle.

Avant de justifier l’attitude des abstentionnistes, disons quelques mots sur le zèle improvisé des unitaires pour la discipline de fer, militaire, féroce, et sur leur thèse selon laquelle ils sont ainsi aussi extrémistes et orthodoxes que nous, et même davantage que nous.

La résolution de leur sophisme contient, je crois, des éléments utiles de discussion pour les camarades de notre tendance, elle peut être utile et pas seulement pour la défense de la légitimité du comportement passé et présent des abstentionnistes.

Les unitaires exagèrent formellement le concept de discipline afin de le déformer en substance. Ils en font un argument spécieux pour conserver dans le parti les anti-communistes en soutenant que grâce à la discipline envers la majorité et les organes centraux, il sera possible de les faire travailler dans un sens communiste et d’utiliser leur action pour les objectifs révolutionnaires auxquels ils ne croient pas subjectivement.

A l’inverse, du point de vue théorique du marxisme comme du point de vue des critères pratiques d’organisation suivis par l’Internationale Communiste, avant de poser la question de la discipline dans l’action, il faut résoudre au préalable la question du programme.

La discipline ne peut avoir de sens que dans un parti programmatiquement homogène, un parti dans lequel tous les adhérents sont en accord sur les positions de principe générales et sur les buts programmatiques - non seulement dans le sens de partager un lointain but final, ce qui pourrait suffire pour un regroupement de partisans d’une doctrine non fondée comme la nôtre sur l’histoire et la dialectique - mais dans le sens précis d’accepter une vision commune du processus historique révolutionnaire. C’est pourquoi il ne suffit pas pour être communiste d’admettre tendanciellement le communisme des biens et des moyens de production; il est nécessaire d’accepter les différentes phases du développement historique: lutte de classe, utilisation de la violence armée contre le pouvoir bourgeois, dictature du prolétariat, système des conseils.

La Troisième Internationale est constituée sur ces bases, dans le sens que chacun de ses membres doit accepter en principe ces fondements programmatiques. C’est une position très équivoque que de dire: un parti a adopté à la majorité le programme communiste, il est donc en règle avec la Troisième Internationale. Non: le programme n’est pas la pensée d’une majorité mais la base constitutive de l’organisation du Parti, la pensée commune à chacun de ses composants. La minorité qui suit d’autres programmes opposés - même si elle prend l’engagement absurde de la discipline - doit être éloignée du Parti. La discipline n’a rien à voir avec la question du programme: c’est là l’ambiguïté qu’il faut dissiper (1). Voilà la signification précise de la vingt-et-unième condition d’admission à l’Internationale, si valent quelque chose le témoignage de celui qui l’a proposée, ainsi que les déclarations éminemment autorisées faites à Halle par le camarade Zinoviev, qui a tiré de ce Congrès un argument pour démontrer la justesse de cette proposition, en évoquant la «séparation des esprits», à savoir la scission des partis encore divisés sur le contenu du programme (2).

Le problème de la discipline se pose après la résolution de ce point fondamental: étant entendu que tous les membres du Parti sont communistes de par leur libre acceptation du programme (c’est-à-dire volontairement, subjectivement, non pas dans le sens, chers amis unitaires, qu’ils soient libres de... ne pas l’accepter et de rester «disciplinés» envers le Parti ), une fois ceci établi - et la scission du congrès n’est qu’un premier pas vers cette rénovation intime du parti - il reste inévitablement, utilement, des divergences sur les questions de tactique. Si nous sommes d’accord sur la conception générale du processus historique révolutionnaire, déterminé d’une façon générale par l’action des grandes forces historiques supérieures aux volontés et aux consciences des individus, ces forces elles-mêmes déterminant les consciences et les volontés collectives, comment s’insère dans ce processus l’action, la préparation du parti révolutionnaire de classe? Quels sont les points d’application de ses efforts? Quelle est l’intensité de ceux-ci sur les différents points? Quels sont donc les mouvements et les initiatives des forces encadrées par et dans le Parti?

 A ces questions il y a des réponses générales -scission ou non des syndicats jaunes, abstentionnisme ou électoralisme, et ainsi de suite - fournies par la majorité lors des congrès, l’autorité suprême étant les congrès internationaux; ou des réponses contingentes - est-ce le moment de lancer une attaque ou d’attendre, etc... - fournies par les décisions des organes centraux. Cela vaut aussi pour les interprétations controversées des résolutions des congrès, les décisions du Comité Exécutif International devant l’emporter. Celui-ci cependant - comme Zinoviev l’a déclaré - ne prétend pas donner le signal d’actions nationales, l’obstacle en étant avant tout d’ordre technique.

Voilà les rouages, le mécanisme de la discipline, de la centralisation dans l’action, qui doit être de fer, qui doit avoir un caractère militaire comme les structures de commandement d’une armée, la lutte de classe étant aujourd’hui de fait une guerre ouverte.

Mais aucune discipline n’est concevable ou applicable là où fait défaut l’homogénéité programmatique du Parti.

Ce n’est pas tout: il faut dire que notre manière de poser le problème est en fait la seule qui respecte la liberté d’opinion. L’autre, celle absurde des unitaires, si elle pouvait dans la pratique ne pas se dissoudre dans le je m’en foutisme de la minorité, serait l’étouffement de cette liberté.

Le principe de la liberté d’opinion n’a aucune valeur du point de vue marxiste. Le prolétariat au pouvoir le niera à ses adversaires de classe, tandis que sa lutte et son travail prépareront le seul principe qui a un sens communiste : le droit à l’existence, à travers la disparition des classes, qui permettra l’épanouissement de rapports spirituels supérieurs. Mais ces rapports supérieurs, en dehors de toute formulette petite-bourgeoise, peuvent et doivent vivre dans le Parti, tel que nous le concevons. Une fois les adversaires du programme communiste mis à la porte - afin qu’ils puissent jouir momentanément de la liberté de parole et de propagande... anti-révolutionnaire -, le parti connaîtra le respect des opinions et des tendances et de leurs féconds débats internes, parallèlement à l’obéissance absolue dans l’action: obéissance aux décisions de la majorité, aux organes centraux. C’est pourquoi Moscou dit: centralisme démocratique. La «démocratie», dans l’absolu, ne peut exister dans la société hétérogène divisée en classes; elle peut et doit vivre à l’intérieur du véritable parti de classe - ceci en dehors du fait que, dans le sens historique, «démocratie» signifie le mensonge de l’égalité des droits dans une société divisée en classes; et qu’elle doit être dépassée dans le système de représentation de classe, la dictature du prolétariat, avant même l’apparition des nouveaux rapports de vie de la société future.

Les unitaires veulent garder dans le parti ceux qui ne doivent ni ne peuvent y être parce qu’ils ne veulent ni ne peuvent agir dans le sens communiste; et pour y arriver ils comptent sur la discipline. Ainsi s’explique leur zèle à vanter celle-ci, en paroles, mais en déformant en réalité toute la question.

Après avoir montré du point de vue théorique l’inconsistance de leur point de vue, ajoutons que les démonstrations de son caractère fallacieux existent aussi dans la pratique. Nous ne les trouvons pas seulement dans l’histoire instructive de toutes les scissions des partis étrangers, mais aussi dans les péripéties de notre mouvement.

L’équivoque unitaire, avec son argument boiteux de la discipline, l’a emporté à Bologne. Les résultats fournissent la preuve expérimentale de ce que nous avons exposé sur le plan théorique. La minorité de droite, après avoir rejeté le programme et accepté librement (!) la discipline, resta dans le parti: elle y a fait de la manière la plus éhontée un travail opposé au programme même du parti, sans que ne servent à rien les freins de la Direction maximaliste. Au contraire elle a fait capituler le maximalisme en dépit de toute sa puissance numérique, dans tous les épisodes de l’action parlementaire et syndicale et des luttes politique en général.

C’est pourquoi nombreux sont ceux qui, après avoir été pour l’unité à Bologne, sont aujourd’hui d’accord avec nous, les abstentionnistes, sur la nécessité de la scission.

 

*  *  *

 

Venons en maintenant à la question des abstentionnistes. Après ce qui précède nous pourrions dire: nous admettons la discipline inconditionnelle dans l’Internationale; nous l’admettrons dans le Parti Communiste; nous ne l’admettons pas dans le parti-minestrone actuel, où ses conditions logiques sont absentes.

Mais il y a plus. Les thèses qui ont prévalu à Moscou sur l’action électorale, si elles ont condamné l’abstentionnisme et la tactique du boycottage des élections - tactique que d’ailleurs nous n’avons pas mise en application, ni avant ni après, précisément par discipline - sont telles qu’elles condamnent aussi implicitement l’électoralisme pratiqué par le Parti Socialiste Italien dans son ensemble, dans les élections générales comme dans les élections municipales actuelles. Cette condamnation a été en outre explicitée dans de nombreux documents du Congrès International connus par les lecteurs, et dans la 17e thèse sur les tâches de l’Internationale (parue récemment en intégralité dans l’«Avanti !»). De très nombreux commentaires de non abstentionnistes l’admettent aussi.

Même en admettant la discipline envers un parti non communiste, il n’est pas possible d’en arriver à accepter par discipline une action politique non communiste. Cela conduirait à inverser la fonction et les buts de la discipline: la mise en oeuvre de la tactique décidée au Congrès International.

Quand en Italie le Parti Communiste mettra en oeuvre cette tactique sur le terrain électoral, les abstentionnistes les plus convaincus donneront l’exemple d’une discipline absolue.

Jusqu’à aujourd’hui, sans saboter en aucune façon les élections, ils ont travaillé aux buts vers lesquels les élections auraient dû, mais n’ont pas été orientées: l’affirmation des principes communistes, l’application des résolutions de la Troisième Internationale. Ils ont du toupet, ces messieurs qui invoquent la discipline pour éluder habilement les décisions internationales qu’ils doivent respecter en matière d’unité du Parti - et qui ensuite prennent au sérieux les décisions de Moscou contre lesquelles ils ont fait tant de bruit, mais uniquement pour défendre un électoralisme, que ce fait seul suffit à démontrer qu’il n’est pas inspiré par les buts du communisme!

Notre petite fraction a un autre mérite: avoir maintenu dans le Parti de nombreux éléments qui sans elle seraient partis vers l’anarchie ou le syndicalisme: en ne laissant pas à ces courants le monopole de la lutte contre le réformisme de la droite du Parti et l’opportunisme du centre, et aussi en démasquant leurs erreurs programmatiques avec les arguments marxistes qu’aujourd’hui les unitaires répètent hors de propos comme des perroquets, avec un esprit d’avocassiers.

C’est pourquoi, nous les abstentionnistes, nous nous sentons à notre place non seulement dans la IIIe Internationale où nous pouvons et pourrons librement soumettre nos thèses (quand nous l’avons fait, ou étaient les représentants de la droite qui prétendent y adhérer avec des divergences programmatiques autrement plus importantes ?), mais aussi dans la fraction communiste du Parti, dans le Parti Communiste naissant, à travers la collaboration effective, sereine, cordiale à la définition toujours meilleure des orientations qui assureront la victoire éclatante du prolétariat d’Italie.

 

 


 

(1) La question des rapports entre programme et discipline avait déjà été traitée par la Gauche à travers la voix d’Amadeo Bordiga au IIe Congrès de l’Internationale: «En matière de programme il n’existe pas de discipline; ou on l’accepte, ou on ne l’accepte pas, et dans ce dernier cas on quitte le Parti. Le programme est une chose commune à tous, non une chose établie par une majorité de militants». Voir «Les conditions d’adhésion à l’Internationale Communiste» sur Programme Communiste n° 43-44.

(2) Le Congrès de Halle des socialistes indépendants (USPD) en octobre 1920 où Zinoviev était présent, avait vu la majorité accepter les conditions d’admission à L’Internationale. Voir Programme Communiste n° 86 pour le chapitre de l’Histoire de la Gauche communiste sur ce sujet.

 

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L’opportunisme international

(«Il Comunista» n° 9 - 9/1/1921)

  

 

 A Moscou Serrati ne faisait que répéter à Lénine: nos réformistes, les Turati, Treves, D’Aragona, Dugoni, ne sont en aucune façon comparable à vos menchéviks. Vous ne devez pas croire qu’ils soient ou qu’ils puissent devenir les saboteurs de la révolution. Les camarades russes pensaient au contraire, comme nous, qu’il n’y a aucune différence entre les uns et les autres.

Voilà qu’il en tombe sous les yeux une nouvelle preuve:

La Justice de Reggio du 24 décembre a publié un rapport du Comité central du parti menchévik, adoptée le 12 mai 1920 au sujet de la reconstruction de l’Internationale. La Justice déclare souscrire à «la plupart des affirmations théoriques faites par les menchéviks» avec une seule réserve sur la proposition de constituer la IVe Internationale. «Il faut au contraire entrer dans la IIIe Internationale pour travailler en commun accord à ce que les décisions prises au second Congrès soient modifiées, permettant à l’Internationale de regrouper toutes les forces socialistes en un seul faisceau».

Ce programme de l’opportunisme mondial, c’est-à-dire pénétrer dans la IIIe Internationale pour lui ôter son vrai caractère et son contenu historique, qui réside dans la sélection sévère des «forces socialistes», serait certainement accepté également par les menchéviks, si la porte ne leur avait pas déjà été claquée au nez. Laissez la Justice recevoir un tel traitement et vous verrez qu’elle aussi sera pour la IVe, ou la II et demi, Internationale; comme du reste cette note de la Critique Sociale que nous avons donnée dans le numéro précédent (1).

Mais une coïncidence de pensée entre opportunistes italiens et russe est particulièrement intéressante.

La Justice s’enthousiasme pour la déclaration menchévique selon laquelle «le processus du développement révolutionnaire suit et suivra dans chaque pays son chemin propre suivant le degré de développement, etc...». Elle ne voit pas, la Justice myope, la saveur que prend cette affirmation quand elle est dans la bouche des droites russes. Ceux-ci, d’accord avec les opportunistes du monde entier, affirment que l’Internationale Communiste veut imposer à tous les pays la copie de la tactique révolutionnaire russe. Mais ces Messieurs découvrent ingénument leur propre jeu, dans la mesure où ce sont eux qui en Russie, précisément en Russie, se sont opposés à la tactique révolutionnaire en prétendant qu’elle est inapplicable dans un pays si arriéré. Et à leur tour les réformistes occidentaux découvrent leur jeu, en reprenant aux menchéviks ce prétexte des conditions nationales, mais en l’appliquant à l’inverse, contre la méthode révolutionnaire soutenue par les communistes de leurs propres pays.

Les fameuses particularités n’empêchent pas que dans tous les pays naissent et se développent chaque jours davantage les partis communistes, mais elles n’empêchent pas non plus que dans chaque pays fleurit le même opportunisme, fort des mêmes arguments équivoques - et qu’une caractéristique infaillible des opportunistes soit précisément la fameuse thèse des différences d’environnement et en conséquence des nécessaires autonomies dont tous les partis devraient se servir pour approuver toutes les révolutions, sauf celle dans son pays; pour conserver le droit d’accepter les principes communistes et la dictature prolétarienne et se dresser contre elle au moment suprême, simplement parce que ce n’est pas le lieu ni le moment!

Confrontez le raisonnement des réformistes de Reggio avec ceux des menchéviks, et il apparaît très clairement cette conclusion: ils agissent tous les deux de façon à pouvoir être contre la tactique révolutionnaire communiste, pour des raisons contingentes ou locales, mais en évitant toute déclaration précise et de principe anti-révolutionnaire. C’est en cela que consiste l’opportunisme - en attendant que l’on trouve pour cet intéressant phénomène historique un mot plus exactement approprié.

 

*  *  *

 

Autre remarque importante. Les opportunistes du centre italien (socialistes communistes unitaires) reprennent aussi la thèse des différences de situations et de conditions nationales. Mais dans leur cas aussi on constate que leurs arguments spécifiques contre une application rigide des décisions de l’Internationale, sont identiques aux arguments des opportunistes des autres pays. Cela a été noté plusieurs fois. Mais en voici un autre exemple.

Il est connu qu’un cheval de bataille des communistes unitaires est l’argument Zimmerwald - Kienthal transformé dans une légende que dans ce même numéro un article de C.N. réduit à ses véritables proportions (2). Un autre est le mérite d’avoir «défendu la Révolution russe». En bien, écoutez comme le Populaire de Paris, organe anti-communiste de Longuet et des autres expulsés aujourd’hui de l’Internationale, spécule lui aussi sur le même motif polémique, pour vanter la conférence tenue à Berne par les «reconstructeurs» (3):

«L’assemblée était hautement représentative des meilleurs éléments socialistes du monde entier, d’hommes dont certains dans la grande épreuve de 1914 à 1918 n’ont pas plié un seul instant, de militants qui au milieu d’universelles défaillances, ont tenu haut et fort dans la tourmente le drapeau rouge du Socialisme Révolutionnaire international, qui furent les organisateurs des conférences de Zimmerwald et de Kienthal et les premiers défenseurs de la Révolution russe».

Et vlan pour les différences! Ceux qui en sont les partisans dans les différents pays, chantent en fait en parfait accord international la même rengaine anticommuniste. Et c’est la meilleure preuve de la valeur universelle ce qui constitue le pilier de notre méthode, la résultante de la période historique actuelle; le processus révolutionnaire marxiste avec la révolution violente et la dictature du prolétariat; le passage à la défense de la bourgeoisie et à la contre-révolution par le socialisme de droite qui conteste ce processus; la division nette entre les communistes de la nouvelle Internationale et les éléments qui, suivant les traditions de la vieille, même quand ils le nient en parole, servent de soutien au capitalisme chancelant. Tout cela est un fait de tous les pays; et c’est dans un esprit marxiste véritable, travaillant sur une masse de faits incontestables fournis par l’histoire contemporaine de toutes les nations, que le Congrès International a élaboré les normes générales qui servent partout à garantir l’organisation des communistes des pièges de l’opportunisme.

Les expériences ultérieures - et notamment les oppositions et les réserves proposées aux conditions d’admission - confirment que cette mesure était vitale et indiscutable; et ils nous fournissent les éléments pour instaurer un rigueur toujours plus grande à l’avenir - à mesure que les contradicteurs de tous les pays s’enfoncent sous nos yeux dans le tourbillon inexorable qui mène au centre de la contre-révolution.

 

 


 

(1) La Critique Sociale du 1-15/9/1920 reproduisait un discours de Turati où il disait espérer de tout coeur l’avènement de la «IVe Internationale, la dernière, la véritable, la synthétique, la définitive».

(2) Article de Carlo Niccolini, «Zimmerwald-Kienthal».

(3) Par opposition à ceux qui prônaient la constitution d’une nouvelle Internationale et de nouveaux partis, les «Reconstructeurs» dont Longuet était le chef de file, défendaient les vieux partis et la vieille Internationale dont ils ne critiquaient - très mollement - que les aspects les plus outranciers de leur politique d’union nationale durant la guerre. La constitution du PCF venait - malheureusement seulement en apparence - de les laisser sur le carreau.

 

 

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Les Unitaires ne sont pas communistes

( «Il Comunista», n° 7 - 26/12/1920 )

 

 

Ce court article a l’intérêt tout particulier d’énoncer une série de points très importants, comme le fait que l’opportunisme (indépendamment des réserves que fait l’article sur ce mot, aux connotations imprécises et de type moral) n’est pas un phénomène psychologique individuel, ou que l’une des caractéristiques fondamentales du parti de classe est sa capacité de prévision de situations, outre son thème central: sur le plan politique et vis-à-vis des réformistes, on ne peut être unitaire et communiste à la fois.

 

*  *  *

 

Au Congrès de Halle, devant les tergiversations des hommes de la droite, selon qui les 21 conditions d’admission à l’Internationale étaient inacceptables, Zinoviev leur demanda d’indiquer comment auraient dû être formulées les conditions pour qu’ils les trouvent acceptables; après leur réponse il a démontré dans un éloquent discours que la droite repoussait en réalité les principes mêmes de la IIIe Internationale et du Communisme par leurs objections aux conditions d’admission; et que nous ne trouvions donc non pas devant un problème d’application ou d’interprétation d’un froid formulaire, mais devant celui de la séparation de deux âmes politiquement et historiquement antithétiques.

Les mêmes positions s’appliquent avec une analogie évidente à l’attitude de la fraction communiste socialiste unitaire. Ses responsables déclarent qu’ils se basent sur les principes communistes et sur le programme de la IIIe Internationale, mais qu’ils ont des réserves à faire aux conditions d’admission.

Eh bien, la nature de ces réserves est telle qu’elle nous permet d’affirmer et de prouver qu’avec celles-ci les communistes unitaires se placent en dehors et contre les axes fondamentaux du communisme; que dans la mesure où ils sont unitaires, ils cessent d’être communistes.

Les tendances de droite du mouvement prolétarien ont une façon particulière d’argumenter et de propager leurs thèses: ne jamais mettre en évidence leur véritable position politique, mais se placer sur un autre terrain, pour, derrière des concessions apparentes aux principes soutenus par la gauche, amoindrir ceux-ci et les remettre en cause par mille moyens et mille critiques polémiques dans le but de semer la confusion et de troubler les masses. Les situations historiques ultérieures montrent ensuite la véritable nature anti-révolutionnaire de ces courants, camouflée sous mille équivoques, mais qui se révèle aux moments décisifs de la lutte prolétarienne. Dans ce phénomène qui n’est pas de nature personnelle et subjective et ne se réduit pas à une manoeuvre, mais qui découle des lois dialectiques supérieures qui règlent la formation, dans certaines situations historiques, de la conscience des mouvements collectifs, réside cette maladie que désignent les communistes avec ce mot qui n’est pas très exact d’opportunisme, et dont le IIe Congrès de l’Internationale a fait un brillant diagnostic pour tous les pays, en prescrivant le remède puissant, mais peut-être pas suffisamment héroïque, de l’ordonnance des 21 conditions.

Mais ce n’est pas de ces considérations - très importantes et sur lesquelles nous insisterons, y compris face aux thèses erronées qui proposent de se fier pour la sélection du parti aux seules déclarations individuelles d’acceptation ou non du bagage d’idées et de méthodes de l’Internationale -, ce n’est pas de cet argument que nous voulons nous servir pour prouver que les unitaires sont contre le communisme, mais bien des raisons qu’ils avancent eux-mêmes, et des définitions qu’ils donnent eux-mêmes de leur divergence avec nous.

Leurs réserves, qui leur semblent peu de chose, détruisent en réalité toute la valeur des conceptions marxistes et communistes du rôle du parti et de l’Internationale.

Selon eux, le PSI est un parti qui pour être communiste, pour être de plein droit dans l’Internationale communiste, ne doit que se centraliser et se discipliner un peu plus, et éventuellement exclure certains éléments chroniquement indisciplinés de l’extrême droite, quand le moment sera venu.

Le caractère communiste du parti serait démontré par le fait qu’il aurait résolu de façon radicale deux questions que tous les partis de la IIe Internationale n’ont pas surmontées: la question de la collaboration de classe (comprise dans le sens des alliances électorales et du ministérialisme) et celle de l’attitude face à la guerre.

Mais il est à l’inverse fondamental que la IIIe Internationale historiquement ne s’est pas construite sur ces deux questions; elle est la réunion des partis que l’expérience de la grande crise guerrière ont conduit sur le terrain: 1) de la négation de la défense de la patrie; 2) de la négation de la possibilité pour le prolétariat de s’émanciper par la voie démocratique, c’est-à-dire sans révolution violente et dictature du prolétariat.

Il y a au contraire dans le PSI des partisans de la défense nationale, il y a des adversaires de la violence et de la dictature du prolétariat - et il y a même encore en vérité des partisans de la collaboration ministérielle avec la bourgeoisie, puisqu’à Reggio d’Emilie en 1912 seuls ceux qui préconisaient l’application immédiate de cette collaboration ont été exclus, tandis que restaient les réformistes de gauche, les partisans de Turati, qui, niant l’opportunité contingente, admettaient le principe de la collaboration, et l’admettent encore aujourd’hui sous la nouvelle appellation de la montée au pouvoir, comme je l’ai démontré dans un article précédent.

Prétendre que le PSI est en harmonie avec le caractère historique de la IIIe Internationale, signifie donc travestir et nier le caractère de celle-ci dans ce qu’elle a de plus fondamental et général, de moins accidentel et propre seulement aux conditions de tel ou tel pays.

Mais, ajoutent les unitaires, nous voulons garder dans le parti les éléments de droite, à condition que dans l’action ils soient disciplinés envers le programme communiste.

Une telle conception du parti lui ôte ce caractère d’homogénéité programmatique sans lequel il n’est plus le parti de classe de Marx, dépositaire d’une conscience critique et théorique, d’une vision exacte des évolutions historiques qui se préparent, il n’est plus l’organisation des forces qui sont inspirées par le seul objectif des conquêtes finales et maximales révolutionnaires.

La IIIe Internationale a redonné sa valeur à cette organisation et à ce rôle du parti de classe, alors que dans la période de la IIe Internationale le parti était devenu toute autre chose: une structure bureaucratique toute consacrée à l’action syndicale corporatiste et à l’action parlementaire et réformiste. Le parti ne voyait plus ni ne représentait plus la mission historique du prolétariat, mais les petites aspirations fragmentaires et immédiates de groupes ou groupuscules de prolétaires.

Le PSI conserve encore ce caractère ouvriériste, labouriste et électoraliste dans le mécanisme de sa constitution et de sa fonction. Moins, si l’on veut, que d’autres partis de la IIe Internationale, mais il le conserve tout de même.

Les unitaires ne veulent pas le supprimer, et cela découle non seulement de leur a priori unitaire, mais aussi de leur argument fondamental selon lequel il ne faut pas perdre les municipalités, les sièges au parlement, les Ligues et toutes les autres organisations dirigées par le parti. Ces institutions et ces formes d’action, au lieu d’être utilisées pour y mener le travail politique révolutionnaire du parti comme l’indiquent le Manifeste des Communistes et les thèses de l’Internationale, deviennent des fins en soi, comme c’était le cas dans la tactique révisionniste de la vieille Internationale.

Les unitaires disent autre chose encore: nous reconnaissons qu’une partie du parti soit s’éloigner; mais nous croyons que le moment n’est pas encore venu, et nous demandons que Moscou ne nous l’impose pas maintenant.

Pour raisonner ainsi, il faut en réalité ne pas comprendre la conception communiste du parti. Du point de vue marxiste, la valeur du parti réside dans sa capacité à prévoir les situations historiques dans laquelle se présentera la lutte de classe et dans sa capacité à préparer les masses à ces situations; et surtout - et c’est là la raison d’être historique de la nouvelle Internationale - dans sa capacité à utiliser les expériences révolutionnaires riches d’enseignement de cette période de guerre, pour paralyser l’action anti-révolutionnaire que mènent les socialistes de droite dans les situations révolutionnaires décisives.

Au Congrès de Bologne le Parti Socialiste Italien a adhéré à la IIIe Internationale et il s’est donné un nouveau programme qui glissait sur la règle déjà bien connue de la Ier Congrès de l’Internationale selon laquelle il fallait se séparer de sociaux-démocrates. L’Internationale n’avait pas alors de mécanisme organisationnel pour contrôler les adhésions. Le IIe Congrès a pourvu à cela en constatant que, parmi les autres partis, le parti italien n’était pas dans les conditions historiques de faire partie de la IIIe Internationale.

L’heure de la sélection est déjà passée depuis un an et demi, l’Internationale n’a fait qu’en prendre acte, et les unitaires prétendent qu’il s’agit d’une demande improvisée, inattendue, envoyée en toute hâte de Moscou!

Tout ceci démontre que parmi la grande majorité qui se déclarait maximaliste à Bologne, une bonne partie n’avait pas compris le caractère historique de la nouvelle Internationale et la nouvelle fonction que devait assumer le Parti; ce maximalisme de l’apparence s’est peu à peu différencié de ce qui s’est regroupé de communiste dans le parti, et aujourd’hui il est possible de distinguer à l’oeil nu ces deux courants, séparés par le problème de l’unité et de l’attitude devant les décisions du Congrès International.

Derrière la formule contradictoire dans ses termes mêmes de communisme unitaire se rassemblent les éléments (l’expression n’indique pas seulement des hommes, mais des groupes, des forces, des rapports) non communistes du parti qui en sont restés à une conception et une activité historiquement dépassées, antithétique à celle de la IIIe Internationale.

 

Cela ne veut pas dire que tous les effectifs de la fraction unitaire ne sont constitués que de camarades non communistes. Cela veut dire que dans ses positions et dans son action, cette fraction reprend et met au premier plan précisément tout ce que notre Parti a d’ouvriériste, de social-démocrate, d’attaché par routine aux formes de la vieille Internationale, tout ce dont les communistes doivent à tout prix se séparer, tout ce dont les communistes doivent se libérer dans un suprême effort - ce qui n’exclut pas que beaucoup de partisans actuels de l’erreur et de l’équivoque unitaire soient attirés dans l’orbite communiste, quand l’équivoque sera brisée avec toute l’énergie et tout le courage qui sont nécessaires.

 

 

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