Notes de lecture

«Marxist» n°5 (2004)

Revue politico-scientifique

Nijny-Novgorod, Russie

(«programme communiste»; N° 98; Mars 2003)

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«Marxist» (pas besoin de traduire ce titre en français!), revue théorique du Parti Ouvrier Marxiste (Russie) est réapparu après plusieurs années (le n° 3-4 était sorti en 1996). Ce n° très copieux est divisé en plusieurs rubriques: - «L’impérialisme actuel», qui contient un article sur la Russie et le FMI, et «pour une discussion sur la question nationale», 2 articles de Lénine. - «Théorie», qui contient un article sur la propriété sociale, et le programme du parti bolchevik de 1919 - «Sur le chemin de l’Internationale communiste», qui contient une présentation de divers groupes dits de «communistes de gauche»: les «marxistes-humanistes» américains de «News and letters», le CCI, la Communist Workers Organization britannique (liée à «Battaglia Comunista»), nous-même, et les «Groupes léninistes de la gauche communiste italienne» (plus connus sous le titre de leur journal: «Lotta Comunista») - «Notre héritage», qui contient un article de Plekhanov, «Le blanquisme russe» (tiré de son ouvrage: «Nos divergences»), et un article d’Einstein, «Pourquoi le socialisme?» - un courrier des lecteurs, une partie consacrée à des polémiques sur la question du capitalisme d’Etat, une partie nécrologique, une partie littéraire, etc.

Enfin, un chapitre intitulé «Notre histoire», contient notre texte «Révolution et contre-révolution en Russie», ainsi qu’un autre texte théorique d’analyse de la révolution russe: «L’anatomie marxiste d’Octobre et le temps présent», rédigé par le «Bureau méridional» du P.O.M. Avant de revenir sur cet article, disons quelques mots de ce parti.

Il a été fondé à Moscou en mars 1990, de façon semi-clandestine, sous le nom de «Parti de la Dictature du prolétariat», en opposition au parti «communiste» officiel (un petit groupe scissionna aussitôt en défendant la position que l’URSS était encore un Etat féodal qui devait passer par une révolution bourgeoise). A propos de la nature de l’URSS, la plupart des membres étaient partisans de la thèse du capitalisme d’Etat, tandis qu’une minorité parlait de «féodalisme industriel», tout en écartant l’éventualité d’une révolution bourgeoise avant la révolution socialiste. Il s’y trouvait également des staliniens, qui soutenaient que Kroutchev avait interrompu la «construction du socialisme» et changé la nature du pays. Au deuxième congrès, en septembre 90, la nature capitaliste de l’URSS fut réaffirmée, ce qui provoqua le départ des staliniens et des partisans du «Féodalisme industriel» qui, depuis, animent un «Parti de la Dictature du prolétariat» à Samara. C’est à ce moment que fut adopté le nom actuel. En 1996 une fraction qui défendait l’existence d’un «mode de production néo-asiatique» en URSS fit scission et fusionna, pour un temps, avec un groupe trotskyste.

Il semble qu’au début de l’année 2002 le POM, dont l’homogénéité politique parait avoir toujours été précaire, a connu une scission entre le «Bureau méridional» qui publie le journal «Lévy Povorot» («Tournant à gauche») à Krasnodar et a gardé le site internet (1), et le reste de l’organisation. Il s’agit cependant encore probablement de la force politique organisée, numériquement la plus importante parmi ceux qu’on appelle en Russie les «Goscap» (acronyme russe pour capitalisme d’Etat), c’est-à-dire ceux qui soutiennent que l’URSS n’était pas socialiste mais capitaliste. L’examen de ses positions revêt donc une importance indéniable.

Le programme du P.O.M. (encore revendiqué, d’après ce que nous en savons, par les deux ailes de la scission) affirme, entre autres, le caractère non mercantile du socialisme, la nécessité du parti et de la dictature du prolétariat; mais il précise qu’il doit s’agir de la dictature précisément des ouvriers urbains de la production et non de la dictature de «tous les travailleurs», ni de la dictature du parti de classe: Dictature de la classe et dictature du parti ne sont pas du tout la même chose pour le POM. On peut lire dans la section 1.3 du programme («Le pouvoir soviétique et le capitalisme d’Etat»):

«En procédant à la construction économique après la guerre civile, les bolcheviks réalisèrent qu’en Russie, où prédominait l’élément petit-bourgeois, on ne pouvait aller de l’avant qu’en passant par ce qu’il y a de commun entre le capitalisme d’Etat et le socialisme (...). Il se créa une situation où les capitalistes avaient été chassés du pouvoir, mais où n’existaient pas encore les bases du pouvoir des Conseils de députés ouvriers, bases qui auraient correspondu au capitalisme d’Etat (...). Dans ces circonstances, pour sauvegarder les résultats de la révolution d’Octobre, il était nécessaire de ne pas permettre le retour de la bourgeoisie au pouvoir et ce fait conduisit le parti bolchevik - la seule force centralisée capable de réaliser ces tâches - à prendre en charge la fonction de gouverner directement la société et de définir le cours vers le capitalisme d’Etat. Inévitablement il se développa une confusion croissante du parti et des structures économiques et étatiques, la consolidation de la direction personnelle des entreprises, le bureaucratisme et le renforcement de la division du travail.

Les bolcheviks devaient ainsi faire face à une tâche compliquée: d’un côté ils devaient renforcer le rôle de l’appareil bureaucratique de gestion de l’économie afin de surmonter les forces économiques petites-bourgeoises, et de l’autre côté, soumettre cet appareil aux structures du pouvoir soviétique à mesure que se renforçait le capitalisme d’Etat, et ensuite transmettre le pouvoir aux Conseils des députés ouvriers. Mais le renforcement objectif du rôle de l’appareil bureaucratique de gestion dans la période de la politique transitoire du capitalisme d’Etat, mena à la victoire à l’intérieur du parti de l’illusion selon laquelle cet appareil, pourvu qu’il reste sous la direction du parti ouvrier mais sans qu’il y ait un véritable pouvoir des Soviets, pourrait créer le Socialisme dans la société.

Le parti devint l’otage d’un Etat non-ouvrier. Les bolcheviks ne détruisirent pas l’Etat, c’est l’Etat qui détruisit les bolcheviks en tant que le parti politique qui était né en 1903. De tournant tactique du Parti Communiste de Russie (bolchevik), le capitalisme d’Etat, arbitrairement baptisé «socialisme», devint une fin en soi du Parti Communiste de Toute l’Union. Le pays entra dans la phase non-socialiste de son développement. (...) Après que l’élément petit-bourgeois dans l’économie ait été vaincu, nous sommes arrivés à cette structure de la société qui s’est maintenue en gros jusqu’en 1985. Le mode de production de cette époque était capitaliste. Les capitalistes en tant que classe avaient disparu, mais les rapports capitalistes ne furent pas abolis; au contraire ils furent poussés à l’extrême, jusqu’au maximum. C’était une situation de capitalisme d’Etat.

(...) Le POM doit se souvenir de l’erreur principale des bolcheviks - l’erreur qui conduisit à l’anéantissement des acquis d’Octobre 1917, à la transformation du PCR (b) en PCUS non bolchevik, anti-ouvrier. Le parti prolétarien ne doit pas lutter pour le pouvoir dans le seul but de devenir le parti dirigeant. Il lutte pour le pouvoir de façon à organiser la classe ouvrière elle-même en classe dirigeante de la société à travers le système des Conseils ouvriers. C’est pourquoi le principal slogan du parti est: «Vive la dictature du prolétariat!».

A la lecture de cet extrait significatif, il est possible de se rendre compte que, si le POM semble avoir saisi avec justesse le sens général de l’évolution économique et politique et compris les déterminations matérielles qui contraignaient le parti bolchevik à agir de la manière qu’il a fait, il en tire une leçon parfaitement contradictoire - à savoir que la défaite n’est plus due à ces déterminations matérielles extraordinairement pesantes et à la longue écrasantes, en l’absence de victoire socialiste dans les pays capitalistes développés -, mais à une «erreur» des bolcheviks, c’est-à-dire à une mauvaise conception chez eux du rôle du parti. Celui-ci devrait prendre le pouvoir de façon à organiser la classe à travers les Conseils pour qu’elle prenne le pouvoir; il devrait être en quelque sorte un intermédiaire au service de la classe ouvrière, agissant dans une phase transitoire entre le renversement de la bourgeoisie et l’instauration de la dictature du prolétariat.

C’est au fond une variété de la conception banale, professée par d’innombrables courants politiques, qui met le parti au-dessous de la classe. Il s’agit d’une incompréhension de la conception marxiste de la question du rapport entre parti et classe: le parti, organisation de l’avant-garde sur la base des enseignements historiques de la lutte des classes - le marxisme -, est l’organe indispensable du prolétariat, sans lequel celui-ci ne peut agir en tant que classe, ne peut ni mener victorieusement la lutte révolutionnaire et prendre le pouvoir, ni exercer sa dictature. Tout affaiblissement du rôle du parti est un affaiblissement de la classe et de sa lutte.

Si en Russie le Parti bolchevik avait refusé d’assumer le rôle dirigeant que lui imposait la situation dans la révolution, dans la direction de la dictature, dans la guerre civile, dans les efforts de réorganisation économique, etc., cela n’aurait pas le moins du monde évité la contre-révolution, mais entraîné au contraire sa victoire encore plus rapide, par l’avortement ou la défaite immédiate de la révolution! La victoire de la contre-révolution n’a pas été causée par l’accaparement du pouvoir par les bolcheviks, comme le proclament depuis 80 ans tous les libertaires et tous les démocrates, mais par l’affaiblissement politique et programmatique du parti bolchevik contraint d’oeuvrer à la renaissance d’une économie capitaliste alors que s’épuisait la vitalité prolétarienne, par sa dégénérescence interne en tant que parti de classe au fur et à mesure qu’il identifiait ses tâches à la simple promotion du nouveau capitalisme et qu’il était absorbé par un appareil d’Etat répondant aux besoins objectifs de ce dernier - phénomène dont la traduction était la mise à l’écart progressive et la paralysie des éléments qui s’obstinaient à rester sur les positions communistes, puis leur expulsion et leur répression impitoyable. Ce n’est pas par hasard si, par la voix de Staline, les forces politiques représentant le capitalisme d’Etat naissant se manifestèrent pour la première fois de façon autonome en affirmant contre Zinoviev que la dictature du prolétariat n’est pas la dictature du parti: elles signifiaient ainsi que leur adversaire n’était pas la dictature en soi, mais la dictature du parti de classe, du parti marxiste. Si l’aile restée fidèle aux positions marxistes de classe avait pu se maintenir à la tête du parti bolchevik, la contre-révolution capitaliste aurait emprunté, comme elle y était prête, la voie social-démocrate classique de l’opposition démagogique de la classe au parti.

On sait que la vieille garde bolchevique n’eut pas, dans son ensemble, la force politique et programmatique de résister aux suggestions des tendances pro-capitalistes et que les éléments marxistes furent noyés dans le flot massif des nouveaux adhérents lorsque, contrairement aux indications de Lénine qui voulait une purge sévère de la masse des éléments incertains, les portes du parti leur furent ouvertes en grand. Victorieuse, la contre-révolution put exalter la dictature du parti parce que, vidé de sa nature de classe, chassant impitoyablement de son sein et réprimant férocement tous ceux qui n’avaient pas complètement abjuré toute sympathie, même vague et lointaine, avec le véritable communisme, il était devenu le parti de la contre-révolution.

Mais ce n’est pas parce que la contre-révolution a pu s’emparer du parti, qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain, c’est-à-dire en tirer la conclusion qu’il faut désormais se passer de parti ou réduire son rôle au maximum; ce n’est pas parce que l’ennemi peut s’emparer de nos armes, que nous devons aller au combat désarmés ou avec des armes inoffensives! Nous devons y aller avec des armes plus affûtées, plus solidement tenues, et en étant mieux préparés à leur emploi. Tel est fondamentalement la leçon que notre courant a tiré de la défaite, à l’inverse de tous les courants antistaliniens, du trotskysme sous ses mille facettes aux différentes variétés d’ «ultra-gauches», semi-libertaires en réalité: non pas la révision plus ou moins grande du programme, des principes, des méthodes ou de la théorie marxistes, mais la confirmation de la validité pleine et entière du marxisme, la défense acharnée contre toutes les illusions novatrices de son intégrité, de son invariance. Mettre la classe au-dessus du parti, disait justement Trotsky, ce n’est pas seulement faux, c’est réactionnaire, car c’est mettre la classe en soi, les larges masses encore non dégagées de l’influence de l’idéologie et des organisations bourgeoises, au-dessus de la classe en train de se regrouper pour ses propres buts historiques et révolutionnaires, au-dessus de l’avant-garde apparue au feu des affrontements sociaux et organisée autour du programme qui est la synthèse des enseignements des luttes prolétariennes passées et qui en déduit l’orientation à suivre dans les luttes actuelles et futures.

 

* *  *

 

Venons en maintenant au texte théorique sur l’anatomie d’Octobre du «Bureau méridional du POM» publié aux côtés de notre «Révolution et contre-révolution en Russie» (2). Une traduction en anglais et des extraits en français en ont été publiés par le CCI (3), nous pouvons donc nous contenter ici d’en citer ou d’en résumer les points essentiels.

Il s’agit sans aucun doute d’un effort sérieux pour élaborer une explication de la nature capitaliste de l’ancienne URSS sur la base de l’étude des textes classiques de Marx, Engels et Lénine, et sur bien des points les auteurs sont arrivés à des conclusions correctes. Ils affirment que, contrairement à ce que prétendaient les staliniens, il n’y avait pas (et il n’y a jamais eu) de socialisme en URSS, et que contrairement à ce qu’affirment les trotskystes, l’URSS n’était pas non plus un «Etat ouvrier dégénéré»; ils rappellent que la structure de classe de la société russe n’a pas disparu, que la propriété d’Etat des entreprises n’a jamais signifié le socialisme et que l’existence du salariat est au contraire la preuve de l’existence du capitalisme. Malheureusement, malgré ses mérites, le texte n’évite pas une série de contradictions et tombe dans de graves erreurs qui débouchent sur des positions politiques erronées.

Pour le Bureau Méridional, la révolution d’Octobre a été en définitive une révolution bourgeoise: «Ces faits [la fusion des comités d’usine - organismes de lutte nés dans les semaines et mois précédant octobre en opposition aux organisations syndicales dirigées par les mencheviks et qui auraient dû, selon lui, être la base du pouvoir soviétique - avec les syndicats, la fusion des soviets d’ouvriers et de soldats avec les soviets paysans, l’absence de soviets d’ouvriers agricoles] et beaucoup d’autres, nous montrent que le Grand Octobre n’a pas été en réalité une révolution socialiste comme le croyaient les bolcheviks, mais simplement la deuxième étape, ultime, de la révolution démocratico-bourgeoise en Russie dont l’une des tâches fondamentales était la résolution de la question agraire en faveur de la paysannerie. En dépit de toute l’activité de la classe ouvrière et de la révolution prolétarienne politique dans les capitales, il n’y a jamais eu de révolution socialiste en Octobre 17 dans la Russie arriérée du point de vue capitaliste».

Le BM reconnaît bien qu’il y a eu une «révolution politique ouvrière dans les capitales» (seulement dans les capitales, c’est-à-dire Moscou et St Petersburg?) et l’instauration de la «dictature du prolétariat»; mais, selon lui, il ne s’agissait pas d’une véritable «dictature socialiste du prolétariat», mais d’une «dictature démocratique du prolétariat» car elle n’était pas basée sur la seule classe des ouvriers de l’industrie, mais sur une alliance de ceux-ci avec les paysans pauvres. En outre cette dictature démocratique du prolétariat n’aurait existé que d’octobre 17 à janvier-février 18, puis de nouveau de l’été 18 au début de 1919 (période de l’existence de comités de paysans pauvres regroupant les ouvriers agricoles et les semi-prolétaires paysans). Mais le BM considère surtout que cela n’a été au fond qu’un épisode secondaire dans le cours de la révolution russe et il s’appuie sur Marx:

«Karl Marx avait prévu en 1847 la possibilité d’une telle situation. Il écrivait: “Si le prolétariat renverse le pouvoir politique de la bourgeoisie, sa victoire n’est que passagère, qu’un élément au service de la révolution bourgeoise elle-même comme ce fut le cas en l’an 1794. Il en est ainsi tant qu’au cours de l’histoire les conditions matérielles ne sont pas créées pour rendre nécessaire l’élimination du mode de production bourgeois...” ». La révolution politique ouvrière en Russie n’aurait donc été qu’un élément passager au service de la révolution bourgeoise, dans le style de la dictature plébéienne des jacobins en 1794: pour le BM, les marxistes russes ont joué en fait le rôle de «sociaux jacobins», tout en s’illusionnant sur les possibilités de faire une révolution socialiste:

«La force motrice de la révolution d’Octobre était les ouvriers et les paysans sous l’uniforme et le prolétariat détenait l’hégémonie sous la direction du parti bolchevik. Les “néo-bolcheviks” [par rapport au courant dit des «vieux bolcheviks» qui, restant fidèle à la lettre du programme bolchevik, ne voyaient pas la nécessité d’une nouvelle révolution après février] crurent qu’avec cet acte la révolution socialiste elle-même commençait en Russie. Cependant les événements ultérieurs ont démontré que le développement de la révolution politique du prolétariat au-delà des limites du processus révolutionnaire démocratique bourgeois (c’est-à-dire “la révolution au sens étroit du terme”) n’a jamais eu lieu. L’élimination de l’argent, l’introduction de la production sur une base communiste, la distribution directe des produits, la gestion directe, ces tentatives et d’autres mesures de “communisme de guerre” furent considérées comme sans intérêt. Les bolcheviks ne réussirent pas à échanger des produits entre la ville et la campagne. L’élément petit-bourgeois demandait des marchés, la loi de la valeur demandait des rapports marchands».

Pour le BM donc, la révolution en Russie ne serait jamais politiquement allée au-delà des limites démocratiques bourgeoises - alors même qu’ils admettent, en passant, l’existence d’une révolution politique ouvrière et de la dictature du prolétariat! Il est vrai que, selon le BM, cette dictature du prolétariat, d’une part est à éclipses puisqu’elle disparaît et réapparaît de façon mystérieuse, et d’autre part est «démocratique», c’est-à-dire pluriclassiste... Le BM serait bien en peine d’expliquer quelle classe prend le pouvoir, à la suite de quelles luttes politiques et sociales quand disparaît la dictature du prolétariat, et comment cette classe est ensuite chassée du pouvoir pendant quelques mois quand réapparaît la dictature prolétarienne; dans son analyse il suffit de quelques décrets pris par le gouvernement pour que change la nature de classe de ce même gouvernement: cela veut-il dire que si les bolcheviks l’avaient voulu (ou s’ils avaient compris leur erreur), il aurait été réellement possible d’instaurer le socialisme dans la Russie paysanne arriérée?

Le texte ne va jamais jusque à répondre positivement à cette question (ce qui reviendrait à abandonner le matérialisme historique pour un crasse subjectivisme) et il dit même l’inverse, mais c’est pourtant la conclusion logique de ce qui est affirmé dans ce passage et dans d’autres.

Mais en général le texte débouche sur une conclusion différente, quoique tout aussi fausse, qui est la suivante:

Puisque, selon tous les marxistes, les conditions économiques et sociales objectives de la Russie n’étaient mûres que pour le passage au plein capitalisme, la révolution ne pouvait y être que bourgeoise. Tout ce qui semblait sortir de ce cadre n’était qu’une illusion, et, par conséquent, tous ceux qui préconisaient d’aller au-delà et même tous ceux qui luttaient pour le rôle dirigeant du prolétariat ne pouvaient être que de dangereux démagogues: dans le cadre de la révolution bourgeoise «au sens large» (c’est-à-dire la période historique au cours de laquelle le mode de production capitaliste remplace le mode de production antérieur), les révolutions «au sens étroit» (les journées révolutionnaires au cours desquelles un régime est renversé et un autre institué) sont au fond de nature bourgeoise, indépendamment de ce que s’imaginent leurs participants et quelles que soient la classe ou les classes qui en sont le moteur.

Il y a là un problème que notre texte «Le marxisme et la Russie» (4) pose ainsi:

«Peut-on définir comme socialiste une révolution qui, comme Lénine l’avait prévu, crée un pouvoir obligé d’administrer, en attendant de nouvelles victoires internationales, des formes sociales d’économie privée, dès lors que ces victoires ne sont pas venues?» et il répond positivement avec les arguments suivants:

«La révolution d’Octobre ne doit pas être considérée en premier lieu sous l’angle de transformations immédiates ou très rapides des formes de production et de la structure économique, mais comme une phase de la lutte politique internationale du prolétariat. Elle présente en effet une série de puissants caractères qui sortent totalement des limites d’une révolution nationale et purement antiféodale, et qui ne se réduisent pas au fait qu’elle fut dirigée par le parti prolétarien.

a) Lénine avait établi que la guerre européenne et mondiale aurait un caractère impérialiste “y compris pour la Russie” et que le parti prolétarien devait en conséquence pratiquer ouvertement le défaitisme. (...) La révolution d’Octobre triompha contre [les traîtres au socialisme révolutionnaire] de la guerre et de l’impérialisme mondial; et ce fut là une conquête purement prolétarienne et communiste.

b) En l’emportant sur ces renégats, Octobre revendiqua les principes oubliés de la révolution et restaura la doctrine marxiste dont ils avaient comploté la ruine. Pour toutes les nations, il définit la voie de la victoire sur la bourgeoisie: emploi de la violence et de la terreur révolutionnaire, mépris des “garanties” démocratiques, application sans limites de ce qui est la catégorie essentielle du marxisme: la dictature de la classe ouvrière exercée par le parti communiste. (...)

c) Bien que la classe ouvrière semble se présenter sur la scène politique ou pire, parlementaire, comme divisée en plusieurs partis, la leçon d’Octobre, jamais démentie, a montré que la voie révolutionnaire ne passe pas par l’exercice du pouvoir en commun avec tous ces serviteurs du capitalisme, mais par leur liquidation violente, les uns après les autres, jusqu’au pouvoir total du parti unique. (...) Ce que la voie russe confirma, à la terreur ou l’enthousiasme du monde, ce fut au contraire la voie unique et mondiale tracée par la doctrine universelle du marxisme, dont à aucun moment, ni dans la pensée ni dans l’action, Lénine et avec lui, l’admirable parti des bolcheviks, ne s’écarta».

Quelques mois après la révolution, pour faire comprendre aux «communistes de gauche» la situation présente, Lénine utilisa la formule suivante:

«L’histoire a suivi des chemins si particuliers qu’elle a donné naissance en 1918 à deux moitiés de socialisme, séparées et voisines comme deux futurs poussins sous la coquille commune de l’impérialisme international. L’Allemagne et la Russie incarnent en 1918, avec une évidence particulière, la réalisation matérielle des conditions du socialisme, des conditions économiques, productives et sociales d’une part, et des conditions politiques d’autre part. Une révolution prolétarienne victorieuse en Allemagne briserait d’emblée, avec la plus grande facilité, toutes les coquilles de l’impérialisme (...) et assurerait à coup sûr la victoire du socialisme mondial» (5).

En Allemagne et dans l’Europe capitaliste développée existaient les bases économiques et sociales pour le passage au socialisme, mais le pouvoir politique restait encore dans les mains de la bourgeoisie; dans la Russie soviétique, il existait les conditions politiques: le pouvoir politique aux mains du prolétariat, mais économiquement, tant que la révolution européenne n’avait pas triomphé et mis à la disposition du pouvoir prolétarien russe les forces productives nécessaires, il était impossible de faire plus que mener la lutte contre la petite production marchande en direction du capitalisme d’Etat. Tout simplement parce la condition élémentaire pour que soit possible une transformation socialiste de la société est que cette société soit déjà pleinement capitaliste: on ne peut socialiser les entreprises, développer tous les avantages du travail associé, supprimer l’argent, etc., que s’il existe des entreprises, que si le développement du salariat a déjà généralisé le travail associé, que si la circulation monétaire et l’échange mercantile sont la règle, etc.

Il ne pouvait donc rien y avoir de socialiste sur le plan des réalisations économiques que devait prendre le pouvoir russe; il ne pouvait y avoir de socialisme que sur le plan politique, sur le plan de la lutte antibourgeoise des prolétaires et davantage encore au niveau international (reconstitution du parti de classe international, efforts d’extension de la révolution) qu’au niveau national après l’expropriation des capitalistes, où le compromis avec la paysannerie était indispensable. Il s’agissait d’une révolution double: prolétarienne, internationaliste et socialiste d’un côté, en tant que première bataille et première victoire de la révolution prolétarienne internationale, paysanne, antiféodale, donc bourgeoise et nationale de l’autre. L’échec au moins temporaire de la révolution prolétarienne internationale laissa le pouvoir prolétarien seul face au développement spontané et irrésistible du capitalisme provoqué par la disparition des entraves féodales. La seule issue dans cette situation tragique était de tout faire pour conserver ce premier pouvoir prolétarien jusqu’au retour de la révolution internationale, en tentant d’orienter ce développement capitaliste vers un capitalisme d’Etat qu’il serait possible de «contrôler» - et qui de toute façon représentait la base d’une future transformation socialiste. C’est ce que nous avons essayé de résumer dans une formule lapidaire pour caractériser la révolution russe: socialiste en politique, capitaliste en économie.

De son côté, la tentative d’analyse marxiste de la révolution d’Octobre faite par le BM échoue en raison de la confusion entre les plans politiques, économiques et sociaux, mais aussi de l’oubli de la dimension internationale des événements. En faisant complètement abstraction de cette dimension, en se limitant au cadre de la seule Russie, il n’est pas difficile de ne voir dans les bolcheviks que des sortes de révolutionnaires bourgeois hallucinés par des rêves de socialisme. Et alors on conclut qu’il aurait mieux valu s’abstenir d’appeler le prolétariat à prendre le pouvoir, parce qu’en prenant le pouvoir celui-ci s’est condamné à la défaite, voire même qu’il a détruit les éléments évolués de capitalisme existant, amenant sans le vouloir le pays à connaître la domination des formes capitalistes arriérées, «asiatiques», qui s’incarnèrent dans le régime dictatorial de Staline. Le BM écrit ainsi:

« (...) Et c’était le même Oulianov-Lénine qui avait écrit en 1905: “La révolution complète, c’est la prise du pouvoir par le prolétariat et les paysans pauvres. Or, ces classes, une fois au pouvoir, ne peuvent pas ne pas tendre vers une révolution socialiste. Par conséquent: La prise du pouvoir, qui ne sera d’abord qu’un acte de la révolution démocratique, deviendra, par la force des choses, contre la volonté (et la conscience parfois) de ses participants, une révolution socialiste. Dès lors l’effondrement est inévitable. Et si l’effondrement des tentatives de révolution socialiste est inévitable, nous devons (comme Marx qui prévoyait en 1871 l’inévitable défaite de l’insurrection parisienne) recommander au prolétariat de ne pas s’insurger, d’attendre, de s’organiser, de reculer pour mieux sauter (6).

Le pronostic marxiste de Lénine théoricien (à la différence de ses espoirs non-marxistes de praticien et politicien social-jacobin) s’est pleinement réalisé. Le Parti Communiste connut une lutte interne acharnée et l’anéantissement de la plus grande partie de la vieille garde, et l’URSS représente la faillite de la tentative de révolution socialiste dans un seul pays, pris à part et arriéré du point de vue capitaliste».

Mais ce que le BM appelle sans sourciller le pronostic marxiste de Lénine et qui s’oppose effectivement à toute son activité révolutionnaire, jugée par lui non-marxiste, est en réalité la position que Lénine dans un article polémique attribue au leader menchevik Martynov, celui-ci n’osant pas affirmer ouvertement qu’il est opposé à une révolution complète!

Il ne s’agit donc pas du tout de son pronostic marxiste (!), mais de la position qu’il combat, la position défaitiste des mencheviks qui s’opposaient à tout ce qui pourrait effrayer la bourgeoisie et la détourner de la révolution: ils voulaient que le prolétariat se contente de faire pression sur les bourgeois, ne cherche surtout pas à prendre la tête de la révolution et à s’emparer du pouvoir, même si, en conséquence la révolution devait rester incomplète, avorter ou se contenter de restreindre le pouvoir impérial. Martynov n’osait pas dire le fond de sa pensée, c’est Plekhanov qui l’exprimera quelques mois plus tard, après l’insurrection, en décrétant sentencieusement: «Il ne fallait pas prendre les armes!». Suivre le judicieux conseil des mencheviks - solution qui semble avoir les préférences rétrospectives du BM - aurait sans doute évité la défaite de la révolution prolétarienne, mais c’est tout simplement parce qu’il n’y aurait pas eu de révolution! On reconnaît là la vieille «sagesse» selon laquelle la meilleure solution pour ne pas être vaincu dans la bataille, c’est encore de ne pas se battre.

Quant à Marx, qui avait effectivement essayé de mettre en garde les prolétaires parisiens contre une insurrection prématurée - mais prématurée de quelques semaines ou de quelques mois! -, il répliqua à un correspondant qui estimait que la défaite de l’insurrection du printemps 1871 risquait de priver les ouvriers de leurs chefs et que le prolétariat avait plus besoin d’éducation que de lutte les armes à la main: « [les canailles bourgeoises] placèrent les Parisiens devant l’alternative, ou de relever le défi ou de succomber sans combat. Dans le dernier cas la démoralisation de la classe ouvrière serait un malheur bien plus grand que la perte d’un nombre quelconque de “chefs”. Grâce au combat livré par Paris, la lutte de la classe ouvrière contre la classe capitaliste et l’Etat capitaliste est entrée dans une phase nouvelle. Quelle qu’en soit l’issue, nous avons obtenu un nouveau point de départ d’une importance universelle» (7).

C’est donc bien à tort que les mencheviks essayaient de s’accrocher à Marx pour défendre leur politique!

Jamais les bolcheviks n’ont cru qu’il était possible d’instaurer le socialisme dans la Russie arriérée et prise à part, avant que ne surgisse cette théorie en 1925. Dire que «l’URSS représente la faillite de la tentative de révolution socialiste dans un pays pris à part» revient à prendre pour argent comptant cette position boukharino-stalinienne qui servit en fait de camouflage idéologique de la construction du capitalisme. Expression des forces pro-capitalistes en Russie, elle constituait un renversement complet de la position bolchevique classique selon laquelle le sort du pouvoir prolétarien et la possibilité du passage au socialisme dépendaient étroitement de la révolution prolétarienne internationale. Ne pas saisir le sens crucial de ce renversement de perspective, c’est ne pas comprendre ni les causes ni même l’existence de la contre-révolution connue sous le nom de stalinisme: puisque, selon le BM, la révolution d’Octobre n’a jamais été autre chose qu’une révolution bourgeoise, la seule contre-révolution qui aurait pu avoir lieu, c’est celle qui aurait restauré le tsarisme et les grands propriétaires terriens. Toutes les luttes politiques dans la Russie révolutionnaire sont assimilées par le BM aux luttes politiques dans la France d’après 1789; le stalinisme n’est qu’une sorte de réédition de la réaction thermidorienne française qui avait vu le passage du pouvoir des mains des éléments bourgeois (ou petits-bourgeois) révolutionnaires s’appuyant sur les masses (tout en combattant l’aile plébéienne extrême, l’ancêtre du prolétariat moderne), aux couches bourgeoises conservatrices: un changement politique qui avait eu sans aucun doute de profondes conséquences sociales et qui s’était accompagné d’une répression brutale, mais qui s’était accompli au sein d’une même classe et en tout cas dans le cadre d’une même révolution. Ce qui disparaît dans cette vision, c’est la frontière de classe qui sépare les communistes internationalistes bolcheviks des «nationaux-communistes» staliniens. En opposition à ce qu’affirme le programme du PMO cité plus haut (le parti bolchevik a été détruit en tant que parti ouvrier), le BM voit ainsi une continuité entre bolcheviks et staliniens.

Le stalinisme a sans doute joué un rôle révolutionnaire ou au moins progressif du point de vue bourgeois en implantant le capitalisme dans tout le territoire de l’immense Russie; mais il a représenté un facteur éminemment contre-révolutionnaire du point de vue prolétarien en Russie et dans le monde entier en détruisant l’Internationale Communiste en tant que parti ouvrier international et en entraînant partout le prolétariat à remplacer ses buts de classe par des buts bourgeois. Cela le BM n’arrive pas à le voir parce qu’il ne comprend pas la dualité de la nature du stalinisme, de même qu’il ne comprend pas en réalité la dualité de la révolution russe.

C’est dire qu’il n’arrive pas à tirer réellement de leçon de cette formidable expérience, autre que la conclusion suivante, contradictoire avec son affirmation de la nécessité d’un parti fort, de syndicats de classe, etc.: la dictature doit être celle d’une partie du prolétariat seulement - la partie «organisée par la production à grande échelle et éduquée de façon marxiste» ou «classe ouvrière socialiste» - et «Tant que la classe ouvrière aura besoin d’un Etat de cette sorte, le pouvoir [dans cet Etat] doit lui appartenir sans intermédiaire et sans partage - telle est l’une des leçons fondamentales de la défaite du léninisme».

Pour nous au contraire la défaite de la révolution d’Octobre n’a pas été la défaite du «léninisme» - compris au sens des positions marxistes incarnées et défendues par Lénine et non du répugnant léninisme institué par la contre-révolution; nous ne tirons pas la conclusion qu’il faut restreindre le rôle du parti, et chercher dans des facteurs sociologiques ou culturels une garantie contre la contre-révolution. La seule «garantie» qui peut exister se trouve dans la réaffirmation intégrale et l’utilisation sans hésitation et sans restriction de toutes les catégories du marxisme et tous les éléments du programme communiste, à commencer par l’organe-parti. Ou pour reprendre le texte de parti déjà cité et en réponse au paragraphe final de l’article du BM qui évoque la perspective d’une guerre apocalyptique (en se demandant si les conditions objectives de la révolution socialiste auront le temps de mûrir avant que les bourgeois russes ne lancent l’humanité dans une troisième guerre mondiale):

«Pour pouvoir éviter une nouvelle défaite prolétarienne, il est indispensable que la restauration théorique n’attende pas pour se faire que le troisième conflit mondial ait déjà regroupé les travailleurs derrière tous ses drapeaux maudits (...), mais qu’elle puisse se développer bien avant, avec l’organisation d’un parti mondial n’hésitant pas à proposer sa propre dictature» (8).

C’est cette perspective qui est la seule féconde.

 

 


 

(1) www.mlp.nm.ru.

(2) La publication de ces deux textes est précédée d’une note de la rédaction qui souligne les points communs aux deux articles tout en indiquant qu’ils ont été écrits indépendamment l’un de l’autre, les auteurs de «L’anatomie marxiste...» ignorant au moment où ils l’ont écrit jusqu’à l’existence du courant bordiguiste et de notre article. La rédaction dit ne pas partager forcément les positions qui sont exprimées dans ces articles (où elle a inséré des notes critiques) et elle se propose de poursuivre la discussion sur ces textes, en invitant les lecteurs à y participer, sur le prochain n° de la revue.

En ce qui concerne notre texte, la rédaction de Marxist, outre des remarques de moindre importance, a inséré une note révélatrice à propos de la phrase: «La montée de la révolution en Europe aurait permis d’accentuer encore cette prééminence [celle du prolétariat dans l’Etat soviétique], d’accorder de moins en moins de droits politiques à la paysannerie russe, d’appuyer toujours plus directement l’Etat soviétique sur le prolétariat international, et d’arriver ainsi à une pure dictature du prolétariat».

Marxist écrit: «La rédaction ne partage pas l’idée que les bolcheviks aspiraient à une “pure” dictature du prolétariat. Sinon le prolétariat aurait du considérer toute la société comme son ennemi, puisque la paysannerie constituait la majorité de la population.

Le chef des bolcheviks, Lénine, partait d’une autre conception de la dictature du prolétariat: comme l’union du prolétariat et d’autres classes de travailleurs sous le rôle d’avant-garde du prolétariat; comme pour la première fois véritablement une démocratie complète garantissant la participation la plus totale de tous les travailleurs au gouvernement. Et il comprenait trop bien la fragilité particulière de la dictature prolétarienne dans la Russie paysanne arriérée pour se résoudre à ce suicide du pouvoir ouvrier qu’aurait constitué la privation des droits civiques à la paysannerie, même seulement en paroles. Bien plus, Lénine considérait la rupture de l’union du prolétariat avec la paysannerie comme mortelle pour l’existence de la dictature du prolétariat, et il luttait pour le maintien de cette union (NEP) jusqu’au bout (cf «Lettre au Congrès», OC, 5e édition russe T. 45 [Il s’agit du fameux «testament» de Lénine, dans lequel celui-ci dit, entre autres, que le parti s’appuie sur deux classes et que la rupture entre ces classes entraînerait sa chute].

De manière générale, la rédaction estime peu probable dans la société actuelle l’existence d’une dictature prolétarienne “pure”, étant donné qu’il n’existe pas dans le monde un seul Etat où le prolétariat formerait la majorité de la population. Ce qui n’empêche pas la possibilité de réalisation de cette dictature en union avec d’autres classes de travailleurs et avec l’organisation de l’avant-garde du prolétariat en parti politique.

Si dans de telles conditions sociales on songeait à une “pure” dictature prolétarienne “mono-classiste”, c’est-à-dire à une dictature d’une minorité, privant toutes les autres classes des droits politiques, alors il conviendrait d’estimer que Staline et ses partisans ont réalisé la plus pure dictature du prolétariat de la façon la plus radicale en réduisant les droits des paysans jusqu’à supprimer complètement en pratique tout droit, c’est-à-dire en supprimant dans les faits l’union du prolétariat et de la paysannerie en même teps que la dictature du prolétariat».

Ainsi donc pour la rédaction, la dictature du prolétariat ne pas doit pas être la dictature d’une seule classe (la classe ouvrière) contrairement même à ce qui est affirmé dans le programme du POM, mais de plusieurs, et d’ailleurs ce ne doit pas être une dictature mais une démocratie complète! En suivant ce raisonnement il faut penser que si cette revue s’appelle «Marxist», c’est parce qu’elle défend des positions antimarxistes...

Notre article se termine par une phrase où il est dit que la seule «garantie» qui puisse exister dans la victoire comme dans la défaite, réside dans la fermeté et la solidité théoriques, politiques et organisationnelles du parti. La rédaction de Marxist ajoute une note: «Selon nous, la fermeté et la solidité théoriques, politiques et organisationnelles du parti sont indispensables, mais elles ne peuvent garantir le succès de la révolution socialiste qu’avec les libertés démocratiques pour la première fois réellement effectives, [alors qu’elles sont] proclamées mais jamais réalisées pour les classes opprimées dans la société bourgeoise (liberté de parole, de réunion, d’association, etc.), par la voie du développement toujours plus profond de la démocratie - prolétarienne qui constituera le fondement de l’Etat ouvrier: en impliquant des masses toujours plus larges de travailleurs dans la gestion des affaires de la société, ce qui signifie l’extinction graduelle de l’Etat».

Ces notes montrent la force des préjugés démocratiques (qui l’empêchent de comprendre la signification et l’ampleur de la révolution socialiste) dans la rédaction de cette revue qui se dit marxiste. Sur le plan politique, si le prolétariat fait la révolution, ce n’est pas pour obtenir la réalisation effective des libertés démocratiques, la liberté de parole, le droit de réunion, etc. (toutes choses qui n’ont de sens que dans un Etat bourgeois et par rapport à une classe exploiteuse et dominante), mais pour prendre tout le pouvoir!

C’est dans la mesure où il arrivera à organiser et à défendre solidement ce pouvoir, son Etat prolétarien dirigé par son organe-parti et reposant sur la mobilisation générale de la classe, en privant de droits politiques démocratiques les classes exploiteuses autrefois dominantes, en faisant tous ses efforts pour l’extension de la révolution, en commençant, sans attendre, les premiers pas de la transformation économique et sociale permis par la situation, que le prolétariat aura les meilleures chances de victoire dans la lutte révolutionnaire internationale qui fera rage jusqu’au renversement du dernier Etat bourgeois - ou de l’écrasement du dernier bastion prolétarien. La victoire des armes une fois acquise, ce n’est pas l’approfondissement constant de la démocratie politique qui sera la garantie de la réussite, mais l’approfondissement de la transformation économique et sociale, le déracinement du capitalisme, la suppression graduelle des rapports marchands, la liquidation progressive de l’exploitation et du salariat, qui écarteront les risques de dégénérescence du pouvoir dans la mesure où seront ainsi écartés les risques de renaissance du mode de production capitaliste et du privilège social.

(3) Voir la «Revue Internationale» n°111, 4e trimestre 2002.

(4) cf «Programme Communiste» n°68, p.20.

(5) cf «Sur l’infantilisme de gauche et les idées petites bourgeoises», Oeuvres, Tome 27, p. 355.

(6) cf «Révolution du type de 1789 ou du type de 1848?», Oeuvres, Tome 8, p. 258.

(7) Voir la lettre de Marx à Kugelmann du 17/4/71. «Lettres à Kugelmann», Ed. Anthropos, Paris 1968, p.164. Kugelmann lui avait écrit «L’insurrection parisienne me semble absolument manquée (...). Au lieu de s’organiser, de s’implanter solidement face au gouvernement, de gagner dans les grandes villes de l’influence dans l’administration (sic!), par une dictature qui porte atteinte au pays, on provoque une défaite. (...) Si Paris s’oppose au pays (c’est-à-dire aux paysans) il sera inévitablement vaincu par la population paysanne» (5/4/71). Marx lui avait répondu qu’il avait déjà écrit dans le «18 Brumaire» qu’il ne fallait pas s’emparer de l’appareil d’Etat, mais le détruire; le 15/4/71 Kugelmann répliqua: «La défaite privera de nouveau les ouvriers de leurs chefs, pour un temps assez long. Ne sous-estimez pas ce malheur! A mon avis le prolétariat a beaucoup plus besoin pour le moment d’éducation que de lutte les armes à la main» (15/4/71). Où l’on voit que la «sagesse» sentencieuse des mencheviks vis-à-vis des bolcheviks avait eu des précurseurs...

(8) cf «Le marxisme et la Russie», PC n°68, p. 25.

 

 

Parti communiste international

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