Les variations d'Il Programma Comunista

sur la «question nationale»

(«programme communiste»; N° 99; Février 2006)

Retour sommaires

 

La «question palestinienne», et plus largement l’attitude par rapport aux luttes contre l’oppression nationale, la question de l’autodétermination, etc., ont été l’un des thèmes qui ont joué un rôle de premier plan dans la crise du parti en 1982.

Après cette crise, Bruno Maffi et ses partisans qui par principe avaient refusé d’affronter les questions politiques qui en étaient à l’origine, ne pouvaient pas ne pas retomber dans les mêmes errements et les mêmes oscillations, et de façon aggravée, dès qu’ils sortaient de la simple défense des positions générales et voulaient donner des orientations politiques. Nous avons déjà critiqué les positions pratiquement indifférentistes d’un article de février 2002 du nouveau «Il Programma Comunista» sur la question palestinienne: voir sur le n°80-81 d’ «Il Comunista» l’article intitulé «Critique des positions faussement marxistes». Mais il est instructif de reprendre reprenons les positions prises par ce groupe dans les années précédentes pour mettre en évidence ses variations continuelles.

Au début de 1994, Il Programma Comunista publie un article intitulé «Quelles perspectives d’émancipation pour le peuple kurde torturé?», article qu’il trouve suffisamment important pour le traduire en français et en anglais. Chose bien rare pour ce journal, l’article prend une position politique précise sur la lutte nationale kurde, sur les perspectives que devraient se donner le prolétariat et le parti pour que la révolution prolétarienne puisse devenir une alternative à la lutte nationale.

C’est ainsi qu’on y lit: «les communistes doivent travailler, quant à eux, afin que se détache une pointe avancée de la seule force politique kurde qui se bat de façon conséquente contre l’oppresseur – le PKK – , et que, dépassant les limites de la lutte de résistance nationale, elle se place à l’avant-garde de la lutte prolétarienne et communiste pour le renversement de tout l’appareil de domination bourgeois dans tout le Moyen-Orient». L’article continue en soulignant l’urgence historique de la réalisation de cette directive: «l’occasion historique qui s’ouvre à l’avant-garde prolétarienne tant du peuple kurde que – dans une autre situation mais avec les mêmes bases matérielles – du peuple palestinien, et de la possibilité de leur union au delà de toutes les barrières ethniques, ne doit pas être perdue. Il est urgent de passer de la révolte contre l’oppression nationale (et contre la Sainte-Alliance des oppresseurs nationaux) à la lutte contre la racine de toutes les oppressions, au Moyen-Orient comme partout: le capitalisme» (Il PC n°1/1994).

Nous avons dénoncé cette position, nationaliste de fait derrière la phraséologie marxiste, tant pour ce qui est de son analyse historique générale, pour la perspective d’une révolution prolétarienne et anticapitaliste au Moyen-Orient basée sur l’action de vagues «pointes avancées» de forces politiquement bourgeoises qui mèneraient une «lutte conséquente contre l’oppresseur» (ce qui est complètement faux pour le PKK du côté des kurdes comme, à l’évidence, pour l’OLP du côté des palestiniens), que pour son manoeuvrisme tactique qui indiquait aux communistes de travailler (noyautage?) pour le détachement des fractions et pour que celles-ci dépassent la «lutte de résistance nationale» et se mettent - ces fractions de partis bourgeois! – à la tête de la lutte pour le communisme dans toute la région! Les lecteurs peuvent se reporter à l’article du n° 95 de cette revue, intitulé «Question kurde: émancipation populaire ou prolétarienne?». Bien évidemment, Il PC ne daigna pas répondre.

Mais cinq ans plus tard les «programmistes» revenaient sur la question, en prenant une position opposée à celle de 1994. Dans le n° 2 de 1999 d’ Il PC se trouve un article intitulé «La question kurde» qui affirme:

1) qu’il n’y a pas de «“révolution bourgeoise inachevée” au Kurdistan » (ce qui signifie exclure toute perspective de la «révolution double», mais sans que soit précisé si ce diagnostic concerne les tâches économiques, les tâches politiques ou les deux ensemble); 2) Le PKK – le parti des travailleurs kurdes – est «un parti nationaliste démocrate-bourgeois qui a inscrit sur son drapeau le mot d’ordre anti-historique de l’indépendance nationale» (que signifie anti-historique? Sur quelle analyse de la situation se base cette conclusion?); 3) Que dire aux prolétaires d’Occident? - «Les ouvriers de tous les pays, et en premier lieu des centres impérialistes historiquement responsables (et bénéficiaires) du démembrement du Kurdistan et de l’interminable martyre du peuple kurde, doivent reconnaître inconditionnellement, contre leur propre bourgeoisie, le droit d’autodétermination de celui-ci, en appelant en même temps à la nécessité de l’union des prolétaires de toutes nationalités et en luttant pour celle dernière»; avec cette précision: «Reconnaissance inconditionnelle, indépendamment de la possibilité concrète de la réalisation de l’indépendance nationale du Kurdistan dans les conditions actuelles»; 4) Quelle perspective pour les prolétaires du Moyen-Orient? - «Les prolétaires iraniens, syriens, irakiens, arméniens, azéris et surtout turcs ont le devoir élémentaire de se battre contre leurs gouvernements pour qu’ils cessent leur oppression sanglante des kurdes et reconnaissent leur droit à l’autodétermination»; 5) Que dire au prolétariat kurde? Que «son avenir en tant que classe ne commencera que lorsqu’il arrivera à sortir du cercle vicieux du nationalisme», que «son parti, celui qui est capable de défendre réellement ses intérêts historiques, n’est pas et ne peut pas être le PKK», «ni ne pourra être issu d’une aile gauche du PKK. Nous ne sommes plus à l’époque de la lutte anti-féodale, lorsque les partis bourgeois-nationalistes étaient progressistes et portaient en leur sein l’embryon du futur parti prolétarien» (le futur parti prolétarien naissant des partis bourgeois nationalistes anti-féodaux? Voila vraiment une grande découverte!); que «le parti communiste du Kurdistan ne pourra naître que comme section du Parti communiste mondial et de la lutte implacable contre l’idéologie nationaliste et contre le PKK, lutte s’unissant à la lutte contre la bourgeoisie kurde sur le terrain des intérêts ouvriers immédiats et avec la dénonciation de l’inconsistance et de l’impuissance d’un nationalisme historiquement débile, dont la seule “perspective” est de s’agenouiller devant l’un ou l’autre des impérialismes». Par rapport à 1994, un changement de cap à 180°!

Notre critique qui s’appuyait sur la polémique de Lénine sur la question de l’autodétermination contre tous les super-révolutionnaires de l’époque, a donc fini par avoir un résultat au bout de cinq longues années. Il faut cependant relever la méthode qui consiste à rectifier les positions fausses sans le dire, en «oubliant» qu’elles ont existé! C’est ainsi qu’en 1999, Il PC cite approbativement plusieurs passages de son article de 1994 pour démontrer aux lecteurs une parfaite continuité de position - mais ce sont les passages à caractère général sur lesquels il n’y a pas de critique particulière à faire; il se garde bien de citer et de critiquer ouvertement les passages qu’il rectifie en douce! Il s’agit toujours de cacher ses erreurs, de faire croire qu’on a toujours eu raison, de se bâtir ou de préserver une réputation d’infaillibilité. Mais un parti qui se veut révolutionnaire ne se renforce pas en ayant recours à des faux-semblants de ce genre, en camouflant la vérité sur ses faiblesses et ses erreurs. C’est au contraire la meilleure manière de se préparer à les commettre à nouveau.

Quoi qu’il en soit, la question continuait à poser problème aux programmistes à en juger par le fait qu’ils décidèrent de l’étudier plus à fond. Il PC publia en 1998-1999 une longue étude intitulée «Comment nous posons aujourd’hui la question nationale et coloniale et la question de l’autodétermination» où il prétend aller plus loin que Lénine, affirmant avoir découvert une lacune que ce dernier aurait laissé le soin de combler… à ses successeurs. Cette lacune concerne justement la question de l’autodétermination. Voyons de quoi il s’agit.

Le passage, du n° 7 de 1998 de Il PC, s’intitule: «Grandiose mais non-exportable équation dialectique de Lénine». Revenant sur certaines formulations de l’article «Observations critiques sur la question nationale» de 1913 où Lénine attaque résolument le fétiche de la nation qui a toujours été repoussé par les marxistes, Il PC écrit: «Lénine, dans cet article, ne fait que répéter des questions de principe: le fétiche de la nation, dont tout nationalisme bourgeois se repaît, est pour nous marxistes toujours à repousser car il infecte le prolétariat de sophismes bourgeois, et cela vaut aussi pour la Russie semi-féodale de 1913 à laquelle Lénine fait référence. Cette position de principe, que Lénine répète, suffit pour délimiter la frontière inviolable séparant en Russie la tactique communiste de celle des bourgeois démocrates et des bourgeois féodaux sur le terrain de la lutte commune pour l’autodétermination nationale: eux se prosternent devant la Nation, pas nous. Mais elle n’est en fait pas suffisante pour définir la tactique du parti sur la question nationale dans les aires de capitalisme avancé. C’est-à-dire, si nous nous reportons à l’époque de Lénine, dans l’aire européenne occidentale postérieure à 1871, où germaient au sein de la social-démocratie en train de dégénérer les revendications d’“autonomie nationale et culturelle”».

Lénine se serait donc limité à défendre un principe (celui de l’internationalisme prolétarien contre le nationalisme bourgeois) que les programmistes jugent suffisant pour définir la tactique du parti marxiste dans les aires précapitalistes, mais insuffisant pour «définir la tactique du parti sur la question nationale dans les aires de capitalisme avancé»! Une lacune certainement pas secondaire.

Il y a à l’évidence certaines choses qui ont échappé aux professeurs en dépassement du marxisme qui écrivent dans Il PC. Par exemple le principe selon lequel les communistes révolutionnaires combattent toutes les oppressions, de quelque nature qu’elle soient, de la classe dominante bourgeoise: sur le terrain économique, le politique ou social, comme par exemple les oppression sexuelles, raciales, nationales. Les communistes révolutionnaires combattent toutes ces oppressions du point de vue de la lutte de classe mais pas du point de vue de la démocratie en général: si la Nation est un fétiche, la Démocratie en est un autre. Cela ne signifie pas que dans certaines aires et dans certaines périodes historiques, le parti prolétarien communiste ne doive pas prendre en charge la réalisation des revendications démocratiques, comme par exemple la reconnaissance du droit à la séparation des nationalités opprimées.

Le problème véritable est de déduire des principes une tactique révolutionnaire correcte, dont l’application ne soit ni en contradiction avec le programme, ni avec les objectifs historiques du mouvement prolétarien révolutionnaire. Pendant les années vingt du siècle dernier, la polémique sur l’application du parlementarisme révolutionnaire dans les pays capitalistes développés où la démocratie parlementaire, enracinée depuis des décennies, avait complètement intoxiqué le prolétariat, était menée sur la base des mêmes principes par ceux qui soutenaient cette tactique comme par ceux qui la critiquaient: la démocratie est un fétiche, le parlement est à détruire tout comme l’Etat central. L’histoire a par la suite donné raison aux critiques du parlementarisme révolutionnaire, c’est-à-dire à Bordiga et non à Gorter et aux anarchistes: le parlementarisme révolutionnaire se transforma en pur parlementarisme, à la seule exception de la Gauche communiste à la tête du PC d’Italie qui, par discipline, l’appliqua en dépit de son désaccord. C’est la démonstration que cette tactique pouvait être appliquée de manière correcte même dans les pays capitalistes avancés, ce qui ne signifie pas qu’elle pouvait avoir automatiquement le succès désiré. Donc: principes identiques, tactique réalisable dans les pays de capitalisme avancé, résultat historique final négatif.

Une des difficultés réelles dans la définition d’une tactique correcte réside en ceci: les mêmes principes peuvent déboucher sur des tactiques différentes suivant que l’on s’adresse aux prolétaires des nations opprimées ou aux prolétaires des nations oppresseuses. L’analyse de la situation concrète, des rapports de force réels entre les classes et des possibilités d’influence du parti communiste, est par conséquent fondamentale. Une fois encore c’est la théorie, qui sert à analyser et à apprécier la situation, qui est le guide de toute solution tactique. Mais sans bilan de l’action menée, et surtout des erreurs et des défaites, la théorie n’est qu’un simple objet de propagande littéraire.

La reconnaissance inconditionnelle du droit à l’autodétermination des peuples opprimés découle de l’opposition totale à toutes les oppressions bourgeoises, opposition qui ne disparaît pas à l’époque de l’impérialisme! En ce qui concerne la tactique de la «révolution double», applicable dans les aires et les pays où existent les conditions historiques pour que la révolution bourgeoise s’effectue et que la révolution prolétarienne puisse s’imposer sur la vague de celle-ci, il n’est pas écrit que son application correcte mène de manière certaine au succès. Le seul exemple historique où la «révolution double», c’est-à-dire la révolution en permanence de Marx, a obtenu le succès - révolution anti-tsariste bourgeoise et révolution anticapitaliste prolétarienne -, est celui de la révolution russe de 1917. La victoire a été permise par la présence d’une série de facteurs favorables concomitants difficiles à retrouver ailleurs: maturité objective des conditions économiques et sociales qui a rendu possible l’écroulement de l’appareil politique et militaire tsariste sous les chocs de la guerre impérialiste et des révoltes des paysans et des prolétaires; conditions politiques internationales favorables à la révolution politique bourgeoise; conditions sociales internes voyant le mouvement d’un prolétariat peu nombreux mais fortement concentré dans les plus grandes villes – dominer les autres mouvements sociaux; conditions subjectives du mouvement prolétarien particulièrement favorables grâce à la présence et à l’action déterminante du parti bolchevik de Lénine. Ce sont ces conditions qui faisaient dire à Lénine que par rapport aux pays capitalistes développés, il avait été «plus facile» de prendre le pouvoir politique en Russie mais qu’il était beaucoup plus difficile d’aller plus loin dans la transformation sociale sans la victoire de la révolution dans ces pays.

Dans un cadre de «révolution double», c’est-à-dire dans une situation où existent encore objectivement des tâches bourgeoises aussi bien sur le plan politique que sur le plan économique (liquider le féodalisme ou le semi-féodalisme, etc.), la reconnaissance inconditionnelle du droit à l’autodétermination des peuples opprimés ne semble pas poser de problèmes aux programmistes. Mais dans les pays capitalistes développés?

L’étude d’Il PC résume la tactique de Lénine à une équation, ou plutôt à une «double équation» (cette manie de tout réduire en pilules!):

«Lénine pose le problème de l’autodétermination et du règlement de la question nationale dans l’aire grand-slave en la reliant strictement au programme révolutionnaire du prolétariat dans l’optique de la “révolution double” que la situation historique pose à l’ordre du jour. La revendication de l’autodétermination est donc posée avec une énergie et une décision qui ne viennent pas du fait que celle-ci constitue pour nous un principe (nous y voilà! Il suffit de réduire un principe à une question tactique et le tour est joué!), découlant de l’application d’impératifs éthiques abstraits, ceux d’Egalité, de Justice et d’autres sottises métaphysiques, mais de son lien dialectique avec les besoins de la lutte de classe du prolétariat. La double équation de Lénine peut être écrite en ces termes: dans l’aire grand-slave, pas de réalisation de tâches nationales ni des buts de la révolution démocratique bourgeoise sans le triomphe du mouvement prolétarien; pas de triomphe du mouvement prolétarien sans la réalisation de ces buts».

Mais dans les aires de capitalisme avancé cette tactique est rejetée parce que les buts de la révolution démocratique-bourgeoise ne sont plus à l’ordre du jour.

Cependant, rectification de tir, en apparence, dans le n° suivant d’Il PC. Dans un paragraphe intitulé «La question nationale dans le cadre de la révolution prolétarienne» - c’est-à-dire plus dans le cadre de la révolution «double» comme dans la Russie tsariste -, les programmistes saluent la lutte de Lénine contre les positions des «indifférentistes» qui soutiennent la reconnaissance du droit des nations opprimées à l’autodétermination uniquement si la révolution «double» est à l’ordre du jour, et le nient dans le cas d’une révolution prolétarienne «simple» puisque la dictature prolétarienne (et non plus la dictature «démocratique des ouvriers et des paysans»), liquidant du pouvoir les partis bourgeois radicaux, liquiderait en même temps la question de l’autodétermination. Ainsi après avoir, un mois auparavant, soutenu une position identique à celle des indifférentistes, en découvrant que la tactique de Lénine ne pouvait s’appliquer aux pays capitalistes développés, Il PC en octobre 1998 critique dons les indifférentistes en leur opposant Lénine!

Mais c’est pour s’en démarquer aussitôt:: «dans le cadre de la révolution prolétarienne “pure”, la classe ouvrière peut être appelée par son parti à se battre pour la reconnaissance du droit à l’autodétermination des peuples à des fins purement politiques et donc uniquement pour l’autodétermination des autres peuples, ce qui signifie qu’il ne devra jamais plus lutter pour l’indépendance de sa propre nationalité». En dehors du résumé extrêmement synthétique d’une question aussi complexe, qui conduit tout droit au schématisme, il n’est pas précisé ici si la directive s’applique aux prolétaires d’une nation oppresseuse ou d’une nation opprimée et si elle s’applique aussi après la victoire de la révolution. Mais ce sont les phrases suivantes qui révèlent ce que les professeurs ont à coeur:

«Enfin, il y a un cas où le prolétariat nie nettement le droit à l’autodétermination, que le contexte soit celui d’une “révolution double” ou simple: c’est le cas des nationalités qui sont réactionnaires dans la mesure où elles sont privées de toute autonomie économique (voilà réapparaître la confusion entre tâches politiques et tâches économiques!), ce qui les rend en pratique esclaves des grandes puissances impérialistes et transforme leur velléité d’indépendance en prétexte d’actions contre-révolutionnaires de la part de ces dernières».

Ce qui contredit complètement ce qui est affirmé quelques lignes plus haut: «Lénine fut contraint de combattre cette position (celle des indifférentistes) et de souligner qu’avec le triomphe de la révolution prolétarienne, en Russie comme dans tous les autres pays du monde, même au capitalisme le plus développé, la reconnaissance du droit de séparation des nations et des peuples opprimés constitue la base nécessaire afin que la classe ouvrière de la nation opprimée puisse se dissocier de sa propre bourgeoisie et s’associer fraternellement à la classe ouvrière des autres nations, y compris celle qui jusqu’alors avait été coresponsable de son oppression».

La négation de la reconnaissance du droit à l’autodétermination des nationalités «esclaves des grandes puissances impérialistes» signifie que cette reconnaissance n’est pas un point de principe (les communistes révolutionnaires sont contre toute forme d’oppression, donc aussi contre toute oppression nationale), mais qu’elle relève d’un tacticisme qui considère opportun ce droit dans certaines régions et moins dans d’autres, pour certaines nationalités plutôt que pour d’autres. Sur la base de quel principe nie-t-on ce droit? Comment distinguer les nationalités «privées de toute autonomie économique» ce qui les rend «esclaves des grandes puissances impérialistes» et celles qui n’étant pas «privées de toute autonomie économique » ne seraient pas «esclaves des grandes puissances impérialistes»? Dans sa lutte contre ce qu’il appelle l’«économisme impérialiste» (allusion à la tendance dite «économisme», constituée par ceux qui s’alignaient en pratique sur la bourgeoisie, que les bolcheviks durent combattre), Lénine rappelle que l’autodétermination ne concerne que la question politique et qu’il est donc faux de soulever la question de son impossibilité économique. Il donne des exemples concrets: «Aucune forme politique de la Pologne, que celle-ci soit une parcelle de la Russie tsariste ou de l’Allemagne, une région autonome ou un Etat politiquement indépendant, ne saurait servir à interdire ou abolir sa dépendance à l’égard du capital financier des puissances impérialistes, l’accaparement des actions de ses entreprises par ce capital. L’indépendance de la Norvège, “réalisée” en 1905, est uniquement politique. Elle n’avait ni l’intention ni les moyens de s’attaquer à la dépendance économique» («Une caricature du marxisme et à propos de l’“économisme impérialiste“», Oeuvres, Tome 23, p. 51).

Ce droit n’est refusé à aucune nationalité, précisément pour les raisons données par Lénine. A l’inverse le parti de classe refuse toute solidarité, tout soutien, à des politiques ou des groupes politiques qui utilisent ce droit à l’autodétermination et la revendication de l’indépendance nationale dans des buts réactionnaires et contre-révolutionnaires (l’IRA irlandaise, le PKK, l’OLP, etc.). Comme c’était le cas pour les slaves du sud dont parlait Engels à la fin du XIX° siècle (le prolétariat européen ne se fera pas massacrer dans une guerre pour l’indépendance des Croates, peuple toujours réactionnaire qui était utilisé par les Habsbourg pour réprimer les mouvements d’indépendance nationale des nationalités opprimées par ceux-ci). Quant à la référence que font les savants programmistes aux Israéliens, baptisés «les Croates du XX° siècle», elle n’a rien à voir avec la question de l’autodétermination des peuples opprimés, puisque ce sont les israéliens qui oppriment la population palestinienne! Mais cet exemple démontre aussi l’insurmontable difficulté que rencontre Il PC pour faire siennes les positions de Lénine. Tant qu’il s’agit, démagogiquement, de les revendiquer de manière générale, aucun problème; mais dès qu’il faut les utiliser pour prendre une position claire et nette sur la question, alors apparaissent les «si» et les «mais» et commencent les oscillations les plus périlleuses jusqu’à la chute comme nous l’avons vu dans l’«économisme impérialiste».

Les tâches de la révolution démocratique bourgeoise peuvent être d’ordre économique et d’ordre politique, ils ne sont pas nécessairement l’un et l’autre. La révolution politique n’est pas forcément synchronisée avec les transformations économiques, alors que les transformations économiques exigent la réalisation de la révolution politique. Historiquement, dans toutes les sociétés de classes jusqu’à la société capitaliste, les transformations économiques, au moins dans un premier temps, ont précédé l’évolution et la révolution politique. C’est le développement économique d’un nouveau mode de production – lui aussi de classes – au sein de la vieille société qui pousse à la nécessité de révolutionner la superstructure politique existante afin de lever toutes les entraves à son expansion.

Les buts politiques révolutionnaires d’une révolution prolétarienne dite «pure», c’est-à-dire dans un pays de plein capitalisme, ne sont pas obligatoirement en synchronie avec ses tâches économiques. Au contraire, la révolution prolétarienne est avant tout une révolution politique qui permet à la dictature prolétarienne d’intervenir ensuite dans l’économie et passer, si les rapports de force internationaux y sont favorables, à sa transformation en économie socialiste. Sans la victoire de la révolution politique international, il est impossible de transformer réellement et en profondeur l’économie. La lutte contre le réformisme, contre ceux qui pensent pouvoir arriver au socialisme par la conquête électorale des municipalités, du parlement et de l’Etat, est directement liée à la préparation révolutionnaire du parti et du prolétariat en dehors et contre les institutions bourgeoises. Il s’agit de révolution politique, c’est-à-dire de bouleversement, de subversion violente de la société, de la chose la plus autoritaire qu’il soit (Engels), non du passage pacifique et graduel d’un régime à un autre.

Bien qu’il soit le mode de production dominant le monde, le capitalisme n’a pas résolu toutes les tâches démocratiques-bourgeoises héritées de l’histoire. Son développement inégal dans les diverses aires et les différents pays a approfondi l’écart entre les pays avancés et les pays arriérés, et a produit la domination coloniale et impérialiste des grandes nations sur les autres. L’oppression nationale, et avec elle toutes les formes d’oppression, s’est accrue sous l’impérialisme. En conséquence la «question nationale» n’a pas disparu; elle constitue encore un obstacle au développement de la lutte prolétarienne non seulement dans les pays opprimés mais également dans les pays qui oppriment les autres nations.

Lénine n’a pas limité son travail uniquement à l’aire grand-slave, comme les professeurs d’ Il PC voudraient le faire croire. Il suffit de revenir à l’article de 1916 cité plus haut «Une caricature de marxisme et à propos de l’”impérialisme économique”» où Lénine prend l’exemple d’un pays capitaliste développé, la Suède, et la lutte des Norvégiens pour se séparer d’elle. Mais ce texte de Lénine semble inconnu de nos professeurs, et pour cause! Un travail aussi vaste sur une question aussi complexe et qui a été au centre de nombreuses crises du mouvement communiste international (et pas seulement dans l’histoire de notre parti) et même pas un coup d’oeil à ce texte célèbre de Lénine? Ce n’est pas un «oubli»: pour appuyer leur théorie, les programmistes choisissent les citations qui leur servent, à la manière de tant de rénovateurs du marxisme que nous avons trouvé sur notre chemin.

Lénine explique en quelques lignes dans cet article la politique du parti de classe en partant du principe de la reconnaissance inconditionnelle du droit à l’autodétermination (ou «libre séparation» dans les traductions françaises): «La Norvège a “réalisé” le droit prétendument irréalisable à la libre séparation en 1905, à une époque où l’impérialisme était particulièrement déchaîné».

(...) «Dans ce cas concret tiré de la vie, l’action des ouvriers norvégiens et suédois a été “moniste”, unie, internationaliste, uniquement parce que et pour autant que les ouvriers suédois défendaient inconditionnellement la liberté de séparation de la Norvège et que les ouvriers norvégiens posaient conditionnellement la question de cette séparation. Si les ouvriers suédois n’avaient pas été inconditionnellement pour la liberté de séparation des Norvégiens, ils auraient été des chauvins, des complices du chauvinisme des grands propriétaires fonciers suédois qui voulaient “garder” la Norvège par la force, par la guerre. Si les ouvriers norvégiens n’avaient pas posé conditionnellement la question de la séparation, c’est-à-dire de telle sorte que les membres du parti social-démocrate pouvaient voter et faire de la propagande contre la séparation, ils auraient enfreint leur devoir internationaliste et seraient tombés dans un nationalisme norvégien étroit, bourgeois. Pourquoi? Parce que c’est la bourgeoisie, et non le prolétariat, qui accomplissait la séparation! Parce que la bourgeoisie norvégienne (comme toute autre bourgeoisie) s’efforce toujours de semer la division entre les ouvriers de son pays et ceux d’un pays “étranger”! Parce que toute revendication démocratique (y compris l’autodétermination) est subordonnée, pour les ouvriers conscients, aux intérêts supérieurs du socialisme. Si, par exemple, la séparation de la Norvège d’avec la Suède avait signifié, certainement ou probablement, la guerre entre l’Angleterre et l’Allemagne, les ouvriers norvégiens auraient dû, pour cette raison, être contre la séparation. Quant aux ouvriers suédois, ils auraient eu alors le droit et la possibilité, sans cesser d’être des socialistes, de faire de l’agitation contre la séparation, uniquement dans le cas où ils auraient systématiquement, méthodiquement, constamment, lutté contre le gouvernement suédois pour la liberté de séparation de la Norvège. Dans le cas contraire, les ouvriers norvégiens et le peuple norvégien n’auraient pas cru et n’auraient pas pu croire à la sincérité du conseil des ouvriers suédois».

Lénine fait ici une démonstration magistrale du maniement de la théorie et des principes marxistes pour définir une tactique correcte. Cet exemple est extrêmement précieux pour démontrer la position communiste par rapport au principe de l’autodétermination, même dans les aires de capitalisme développé, position qui se distingue nettement de la revendication nationale de la bourgeoisie opprimée en ce qu’elle subordonne toujours aux intérêts de la lutte de classe prolétarienne pour la démolition du pouvoir bourgeois, de tout pouvoir bourgeois.

 

Il Programma Comunista décrète la fin de l’oppression nationale des Palestiniens

 

Quelle est la position d’Il PC sur la question palestinienne qui a été le détonateur de la crise explosive du parti au début des années quatre-vingt? Il a fallu attendre l’année 2000, soit 18 ans après cette crise, pour que les programmistes reviennent sur la question et … prennent enfin position, de la manière que nous allons voir.

Il s’agit de l’article «La question palestinienne et le mouvement ouvrier international», publié dans le n° 9 de l’année 2000 d’Il PC (publié ensuite dans le n° 8, mai 2001, de leur revue en français, «Cahiers internationalistes»). Ce texte ne fait aucune allusion au fait que cette question av été au centre des divergences dans le parti d’hier. Mais le plus frappant est surtout qu’il ne se relie qu’à des articles parus en 1958, 1965 et 1970 qui abordent la «question palestinienne» d’un point de vue très général; ils indiquent aux prolétaires palestiniens (ainsi qu’aux prolétaires égyptiens, irakiens, libanais, syriens, saoudiens) la perspective d’une lutte révolutionnaire pour la destruction de l’ordre constitué de tous les pays du Moyen-Orient comme la seule solution pour la fin définitive de leur oppression nationale (1). Cela revient à dire que la lutte pour la révolution prolétarienne et l’instauration de la dictature prolétarienne est la seule voie pour combattre l’oppression nationale. Il ne s’y trouve pas d’analyse un peu détaillée de la «question palestinienne», de la lutte de résistance contre l’oppression exercée particulièrement par Israël, des rapports entre prolétariat palestinien et prolétariat israélien, etc.

L’article des programmistes affirme que «toute solution de la question palestinienne dans le cadre des rapports économiques et sociaux actuels et dans l’optique de maintien du statu quo n’a pu et ne peut être qu’illusoire et factice»; et il continue: «Aujourd’hui, alors que le cycle des luttes et des mouvements purement nationaux, en Palestine et dans tout le Moyen-Orient, a définitivement perdu toute perspective historique, il n’existe plus qu’une solution pour les masses palestiniennes qui donne aussi la possibilité de trancher le nœud de l’oppression et de la discrimination nationales: la lutte pour la révolution prolétarienne internationale, à partir de la destruction de tous les Etats de la région, d’Israël aux différentes républiques et émirats arabes, et de la chasse aux divers brigands impérialistes qui contrôlent politiquement et économiquement l’exploitation des masses du Moyen-Orient, lutte dans laquelle le prolétariat des pays impérialistes sera appelé à entrer par la force des choses et à laquelle le prolétariat du Moyen-Orient devra se joindre afin que la révolution puisse triompher à l’échelle mondiale».

Dans un autre article paru dans le n° 10 de l’année 2000, intitulé «Serbie et Palestine. Les fausses questions nationales», Il PC soutient encore que «dans toutes ces aires (Serbie et Palestine, NdlR) aucune “question nationale” ne se pose plus, et on ne peut donc plus appliquer le mot d’ordre marxiste de l’autodétermination des peuples pour le prolétariat de quelque nationalité que ce soit» en précisant que ce mot d’ordre ne concerne ni «le prolétariat appartenant à la nationalité qui à ce moment pourrait apparaître comme une “nationalité opprimée” (donc pour le prolétariat palestinien ou pour le prolétariat kosovar) (…) mais aussi et surtout pour le prolétariat des nationalités dominantes, donc le prolétariat israélien et serbe».

En dehors du fait qu’il est tout à fait artificiel de comparer la situation du prolétariat palestinien avec celle du prolétariat kosovar, ce qui importe à Il PC, c’est d’affirmer que «le défaitisme auquel ils (les prolétaires des nationalités dominantes - NdlR) sont appelés, ne peut en effet aller jusqu’à la revendication d’un droit à l’autodétermination des palestiniens ou des kosovars»; et ceci pour des raisons «objectives» qui consistent en ce que dans les Balkans et en Palestine – écoutez bien! – il n’y a pas de «véritable oppression nationale», oppression qui existerait, au contraire, au Kurdistan. Dans le cas des palestiniens l’oppression nationale n’existe pas car «la bourgeoisie palestinienne a conquis un fragment d’Etat national».

Et voilà! D’un coup de baguette magique l’oppression nationale subie par les palestiniens, particulièrement de la part d’Israël, a disparu. Et d’après ce qu’écrivent les programmistes, elle n’existerait plus... depuis 1970, c’est-à-dire depuis le Septembre noir jordanien! Ce tour de passe-passe leur permet d’évacuer la question de la reconnaissance inconditionnelle du droit à la séparation nationale (on s’agenouille devant les principes, et puis on les oublie…); et la question d’indiquer au prolétariat israélien de lutter pour la reconnaissance de ce droit aux palestiniens, précisément afin de libérer le terrain de la lutte de classe de l’intoxication nationaliste et de démontrer en pratique, dans les faits, qu’ils n’ont et ne veulent rien à voir avec l’oppression et la répression des palestiniens. Les prolétaires israéliens et palestiniens ne pourront jamais se reconnaître comme frères de classe, tant que les prolétaires israéliens ne mèneront pas ouvertement et clairement la lutte contre l’oppression nationale exercée par leur bourgeoisie contre les Palestiniens. Sauf à considérer, comme le fait Il PC, qu’il ne faille adresser au prolétariat israélien aucune indication de classe, aucune perspective de lutte internationaliste, aucune critique pour sa complicité de fait avec sa propre bourgeoisie dans l’oppression et la répression des palestiniens! Mais cette position d’Il PC, qu’est-ce d’autre que ce que dénonçait Lénine, à savoir devenir des chauvins ou des complices du chauvinisme des bourgeois du pays dominant?

Le nouveau Il PC, qui avait si pompeusement revendiqué le travail du parti jusqu’en juin 1983 (moment où l’ancien centre du parti dirigé par Bruno Maffi a été) renie aujourd’hui tout le travail fait par le parti sur la «question palestinienne» (et sur la question de l’autodétermination en général) pendant les années soixante-dix. Il s’agit certes d’un travail qui a parfois dévié des positions marxistes correctes, par exemple lorsqu’a été avancée la perspective d’une République ouvrière et paysanne du Moyen-Orient (2); mais il est aussi vrai que les efforts pour rectifier les erreurs n’ont pas cessé (voir par exemple les articles «Le Moyen-Orient à la limite de deux époques», «Intérêts impérialistes, luttes nationales et luttes de classes en Palestine et au Liban», etc) y compris dans la période de crise.

 Il est de fait qu’Il PC a décidé, pour ne pas se brûler les doigts, de se cantonner aux positions les plus générales possibles; mais cette attitude ne peut que déboucher sur un révolutionarisme de la phrase, ou comme le disait Lénine en 1916 sur un «économisme impérialiste». Les programmistes ne peuvent plus comprendre ce que disait celui-ci dans l’article déjà cité: «La révolution sociale ne peut s’accomplir que comme une époque associant la guerre civile du prolétariat contre la bourgeoisie dans les pays les plus avancés à toute une série de mouvements démocratiques et révolutionnaires, y compris les mouvements de libération nationale, dans les pays moins évolués, arriérés, et chez les nations opprimées. Pourquoi? Parce que le capitalisme se développe de manière inégale, et que la réalité objective nous montre, à côté des nations capitalistes les plus évoluées, toute une série de nations économiquement très faibles et non développées».

C’est pourquoi la «question nationale» ne perd pas de son importance pour les communistes révolutionnaires. L’inégalité de développement du capitalisme, dans une situation de crise économique et sociale profonde, et alors que la révolution prolétarienne ébranlera les équilibres bourgeois, se traduira par la mise en branle de mouvements sociaux de tout genre, de mouvements qui entreront en lutte contre les formes d’oppression les plus diverses qui existent sous la domination de l’impérialisme; et la révolution prolétarienne ne pourra pas ne pas prendre en compte ces mouvements auxquels l’évolution historique l’associe.

 

 


 

 

(1) Il PC ne cite pas un article sur lequel Bruno Maffi et ses partisans s’étaient retranchés à l’époque des divergences internes sur la question palestinienne: «Le Moyen Orient dans la perspective classique du marxisme révolutionnaire» (voir «Le Prolétaire» n° 152, 11-24 juin 1973). C’est un article qui reste au niveau des généralités, mais où se font jour déjà un certain nombre d’illusions tant sur les potentialités révolutionnaires des sans-réserves palestiniens que sur la capacité du prolétariat des métropoles impérialistes à «paralyser avant de les détruire ces centres nerveux de la conservation et de l’exploitation dans le monde entier». La perspective de l’éclatement d’une grande crise capitaliste prévue par le parti pour 1975 s’approchait; beaucoup de militants s’attendaient à une reprise rapide de la lutte de classe internationale dans laquelle, selon certains, «la haute charge explosive» des prolétaires et des masses opprimées palestiniennes, pouvaient jouer un rôle important. Ce genre d’espoir alimentera par la suite une tendance à tout faire pour récupérer le retard à la «reconstitution du parti communiste mondial» et l’inévitable désillusion qui s’en suivra poussera ces militants à déclarer la faillite du parti.

(2) cf «Le Prolétaire» n°309, «Il Programma Comunista» n°7/1980.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top