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Prises de position - Prese di posizione - Toma de posición - Statements                        


 

Petroplus (Petit-Couronne) :

Le « Produisons français » contre la lutte de classe 

 

 

La Basse-Seine fait partie des principales régions industrielles françaises, avec une forte présence de la pétrochimie, de l'activité portuaire et de l'automobile. Ces secteurs sont fortement touchés par les restructurations capitalistes et les plans de licenciements se multiplient.

Le 27 décembre, le groupe Petroplus a annoncé aux travailleurs qu'il ne pouvait plus acheter de pétrole brut sur les marchés pour ses raffineries, car les banques refusaient de lui accorder le moindre crédit.

Le groupe a alors annoncé que trois de ses raffineries (Petit-Couronne près de Rouen, Anvers en Belgique et Cressier en Suisse) seraient arrêtées à partir du lundi 2 janvier jusqu'à une date indéterminée.

Le site de raffinage de Petit-Couronne (près de Rouen) était déjà sous le coup d'un projet de plan social menaçant 120 emplois. L'usine de Petit-Couronne a été rachetée à Shell par la firme suisse Petroplus en 2008. Ce groupe, créé en 1993, a racheté peu à peu la plupart des sites dont les groupes du pétrole ne voulaient plus.

Pour les travailleurs de Petit-Couronne, il est évident que leur site est menacé de fermeture. Ce sont les 550 travailleurs de Petroplus qui risquent de perdre leur emploi, sans compter le millier de salariés des entreprises sous-traitantes qui interviennent régulièrement dans la raffinerie. Les travailleurs du site de Petit-Couronne ont donc décidé de se mettre en grève et de bloquer les expéditions des produits fabriqués : essence, gazole, fuel et huiles.

 

Petroplus : symbole de la bataille de l'automne 2010... et de ses limites

 

Les travailleurs de Petroplus avaient, comme les autres raffineurs, fait preuve d'une forte combativité lors des grèves de l'automne 2010 contre la «réforme» des retraites. Ils étaient restés pendant des semaines en grève illimitée. Dans toute l'agglomération rouennaise, les raffineurs étaient vus comme le fer de lance des grèves contre l'attaque gouvernementale.

Malheureusement, cette grève était restée isolée, malgré les efforts de certaines équipes syndicales combatives. L'Union départementale s'était contentée d'un appel timide à «l’ensemble des salariés à débattre avec leurs collègues de travail et leurs syndicats, des conditions de la reconduction du mouvement.» (1)

Les tentatives d'extension de la grève ont été, au départ, le fait d'une «Assemblée Générale intersyndicale» qui réunissait plusieurs dizaines de syndicats des agglomérations de Rouen et d'Elbeuf, et était soutenus par les appareils locaux de la CGT et de SUD. Les militants syndicaux d' «extrême» gauche étaient à l'initiative de cette structure. Elle mélangeait des syndicats combatifs et les pires bureaucrates syndicaux.

Au début des grève, elle appelait à «convaincre les collègues de voter la grève ou sa reconduction et de rentrer dans une action de longue durée» (2). Très rapidement, cette «AG intersyndicale» passa d'une volonté affichée d'étendre la grève à des méthodes de «blocage de l'économie» qui isolent les travailleurs combatifs de leur lieu de travail et donc de ceux qu'ils devraient convaincre de se mettre en grève. Le blocage du dépôt d'hydrocarbures Rubis était devenu un symbole de ce «blocage»: les grilles étaient  tenues» par les grévistes avant d'être «libérées» par les CRS, et ainsi de suite … Pendant ce temps, les grévistes de Petroplus restaient enfermés dans leur usine sans que les syndicats ne cherchent à étendre la grève aux autres usines de la chimie.

Partageant au fond la même orientation que les bonzes syndicaux, cette AG diffusait des illusions sur ceux-ci en la présentant l’intersyndicale comme favorable à l'extension des grèves, et en proclamant par exemple: «renforcez le mouvement, mutualisons nos forces ! L’intersyndicale vous y invite». (3) De plus, «l'AG intersyndicale» diffusait la même idéologie réformiste que les directions syndicales en mettant en avant «la question essentielle de la répartition des richesses produites dans le pays» et «Le fait qu’une infime minorité s’accapare le profit tiré du travail de l’immense majorité n’est pas un phénomène inéluctable, c’est un choix politique, une question de société» (4). Discours typiquement réformiste pour lequel le problème n'est pas l'exploitation capitaliste mais les «choix» faits par le gouvernement de la répartition des fruits de cette exploitation, choix qui peuvent être changés par les luttes … ou les élections.

Les difficultés de la lutte actuelle ont leurs racines dans cette orientation réformiste qui empêche les travailleurs de placer leur lutte sur le seul terrain efficace : celui de la lutte de classe.


La bonzerie syndicale sous les plis du drapeau tricolore

 

La grève est dirigée par une intersyndicale CGT-CFDT-CGC, largement dominée par la CGT.

La ligne défendue par la CGT de l'entreprise mais aussi (et surtout) par l'Union départementale et les Unions locales est franchement cocardière et interclassiste. La principale revendication mise en avant est un appel à une intervention de l'Etat capitaliste qui devrait «mettre sous contrôle public toute les industries servant l'intérêt général» (5).

Une invitation a été faite aux candidats à la présidentielle sauf Marine Le Pen. Le bulletin de l'UD a publié fièrement ces «soutiens politiques» : Poutou, Dupont-Aignan, Morin, Mélenchon, Hollande(6). C'est semer des illusions sur la nature des politiciens bourgeois et petit-bourgeois venus pêcher des voix, mais c'est également conforme à la volonté de mener une politique d' «union sacrée» chauvine et anti-ouvrière.

Cette ligne est clairement défendue au niveau local. Le tract de l'intersyndicale pour le 18 janvier proclame fièrement «Nous avons des pistes et des leviers pour redynamiser l'économie du pays et en Normandie» avant de chiffrer les importations de pétrole et de proposer «une production de biocarburant à partir du bois» (7). Pour leur part, les UL de Dieppe et Elbeuf publient sur leur site Internet un communiqué qui se termine par un «Tous ensemble nous sauverons Petroplus et gagnerons la bataille du Produire français! » (8).Cela se traduit également dans les faits par le blocage du terminal Rubi pour «dénoncer l'arrivée de carburants prêts à l'emploi directement importés sans passer par la case raffinage en France» (9). Cette politique est un frein à l'extension nécessaire de la lutte aux autres raffineries en France et ailleurs. Un communiqué national de la CGT véhicule également ce chauvinisme en écrivant que «La fermeture de la raffinerie serait une catastrophe que ce soit sur le plan de notre indépendance énergétique, économique et sociale. Il est à penser que si nos besoins en terme de produits finis ne viennent que de l’importation une forte hausse à la pompe se fera sentir» (10). Dans ce cas, le chauvinisme le dispute à la bêtise et au mépris pour les prolétaires en grève: le communiqué confédéral ne sait pas écrire le nom de l'entreprise (PETRO+ au lieu de Petroplus) et se trompe même sur le nom de la commune sur laquelle elle se trouve (Grand-Quevilly au lieu de Petit-Couronne). La bureaucratie CGT se moque totalement de la lutte des prolétaires de Petroplus et de leur sort! En bon syndicat tricolore, elle est préoccupée surtout pas la «réindustrialisation» du pays et la défense de son « indépendance énergétique» (11) garantie par des importations de pétrole ou d'uranium pour l'industrie nucléaire.

 

Les lèche-bottes de l'extrême-gauche

 

Les différents groupes trotskistes se sont intéressés à cette lutte, mais ils se sont tous inscrits dans le cadre nationaliste et interclassiste fixé par la CGT.

 

Le NPA est depuis longtemps implanté dans la région rouennaise, implantation renforcée à la fin des années 1990 par l'intégration dans la LCR de la section locale de Lutte Ouvrière. Ce NPA – situé à gauche de cette auberge espagnole – met en accusation «des spéculateurs financiers, des banquiers ou des actionnaires ont le pouvoir de vie et de mort sur des entreprises et sur des milliers de salariés en décidant ou non de financer» (12), c'est-à-dire non pas les capitalistes mais la maléfique finance qui s'oppose aux «entreprises».

Il avance une revendication très proche de celui de la CGT : la «réquisition» (par qui ?) de «l’ensemble des multinationales du secteur énergétique pour constituer un grand service public de l’énergie sous le contrôle des salariés et de la population» (13), en fait pour créer un monopole capitaliste sur l'énergie! L'objectif étant de «réorienter l’économie vers la satisfaction des besoins prioritaires de la société» (14), c'est-à-dire d'aménager le capitalisme. Comme la CGT, le NPA n'appelle pas à une extension de la grève mais à une mobilisation interclassiste «non seulement de celles et ceux de Petroplus mais aussi des entreprises et de la population environnantes» car «l’enjeu est important non seulement pour les salariés du site concerné mais pour toutes les entreprises (sic) qui en dépendent, les commerces, la mairie de Petit-Couronne» (15). Il met donc en avant «des actions de solidarité avec les Petroplus: blocage des produits raffinés, journée ville morte, mobilisation à l’échelle de toutes les raffineries… » (16), sans concrètement parler d'extension de la grève.

Et lorsque le NPA dénonce le chauvinisme, ce n'est pas celui de la CGT mais celui de son rival Mélenchon et du PCF.

 

Le très tricolore POI lambertiste, champion de la « République une et indivisible » et de la défense des 36 000 communes, se place de façon encore plus nette sur le terrain du nationalisme et de la collaboration de classe. Il défend la «réquisition [qui] est contradictoire avec le cinéma du “renforcement des lois environnementales européennes” dont on nous abreuve tous les jours». (17). Il serait quand même scandaleux que des étrangers limitent la pollution «made in France» que les habitants des banlieues ouvrières de la rive gauche de Rouen peuvent voir et sentir!

Et dans le même temps, il propose «un blocage immédiat de toute importation de carburant raffiné, un blocage organisé dans l’unité par les syndicats sur les ports, combiné au blocage des raffineries» (18). Un «patriotisme industriel» version trotskyste…

 

Lutte Ouvrière ne se prostitue pas sur le terrain du nationalisme mais son suivisme est, comme d'habitude, honteux. Nathalie Arthaud dans sa prise de parole devant l'assemblée générale des grévistes ne se prononce pas pour la taxation des importations, mais déclare « Ce n'est pas mon cas. Je ne veux pas discuter de ces différentes options qui, à mon avis, comportent plus d'inconvénients que d'avantages pour les travailleurs. Mais je veux simplement faire remarquer qu'en discutant de tout cela, on risque de perdre de vue l'essentiel. Et l'essentiel, c'est de sauver les emplois et de sauver les salaires » (19). On a connu LO plus expressive lorsqu'il s'agit de dénoncer le nationalisme des peuples opprimés!

Nathalie Artaud n'a a proposer qu'une dénonciation des «trusts» et en particulier de Shell, l'ancien propriétaire de la raffinerie. L'hebdomadaire est plus clair sur son projet réformiste et interclassiste: «Le seul objectif qui offre une issue et autour duquel tous les salariés ont intérêt à se retrouver est l'interdiction des licenciements, quitte à répartir le travail entre tous sans diminuer les salaires. Les fonds pour financer tout cela existent, à condition de puiser dans les sommes extravagantes que les États ont livrées au monde de la finance sous prétexte de sauver les banques et qui ne servent qu'à financer la spéculation. L'écrasante majorité de la société, et pas seulement les travailleurs, aurait intérêt à ce que ces sommes soient consacrées au maintien et même au développement de l'emploi» (20).

Perspective typiquement petite-bourgeoise de front anti-monopoliste où le prolétariat est noyé dans «le peuple» (et où un appel du pied ouvert est même fait à certains secteurs bourgeois), repoussant à un avenir très lointain le socialisme puisqu’il serait possible de résoudre les problèmes sociaux simplement en s’attaquant à la «spéculation»! Logiquement, ce front commence par une union avec les réformistes défenseurs du capitalisme tricolore: «Avec tous les militants et les travailleurs de Petroplus, la discussion a été chaleureuse et animée parce que d'emblée il était clair que la discussion se faisait entre militants du même camp, de la même classe sociale, même si l'on n'est pas d'accord sur tout » (21).

 

Pour étendre la grève et gagner, il faut rompre avec le collaborationnisme !

 

L'orientation des bonzes syndicaux et le suivisme de leurs supplétifs d' «extrême» gauche ne peut que conduire les travailleurs à la défaite. Pourtant le cas de Petroplus n’est pas isolé, tous les travailleurs du secteur sont menacés; les bourgeois ne cessent d’affirmer que l’industrie du raffinage n’est plus rentable en Europe, ou qu’il existe une «surcapacité» de 10 à 20%, préparant ainsi les esprits aux attaques contre ces prolétaires. Déjà les travailleurs de la raffinerie Lyondellbasel de l’étang de  Berre ont été touchés, après ceux des raffineries de Dunkerque (Total) et Reichstett (Petroplus) qui ont été fermées. Mais en fait dans de nombreux secteurs les licenciements sont de plus en plus nombreux dans la région et dans tout le pays où des entreprises ferment ou sont mises en faillite comme ces jours-ci Lejaby ou Seafrance : c’est toute la classe ouvrière qui se trouve et se trouvera confrontée à la dégradation de ses conditions de vie et de travail, à une aggravation de son exploitation et aux licenciements, pour sauver la santé du capitalisme. Devant cette attaque globale, il n’y aura d’autre solution pour les prolétaires qu’une riposte globale impliquant le retour à la lutte de classe ouverte et générale, dépassant les limites d’entreprise et de catégorie et complètement indépendante des intérêts de l’entreprise, de l’économie régionale ou nationale.

Dans cette perspective, la lutte actuelle des travailleurs de Petroplus ne peut être victorieuse qu’en recherchant la solidarité active, non du « peuple » ou des politiciens bourgeois, mais des autres travailleurs, par son extension aux autres entreprises du secteur et d’autres secteurs frappés par le capitalisme.

Cela implique des positions et des méthodes de classe en rupture avec le collaborationnisme, sa religion du service public, son culte de «l'Etat social» et sa défense de l'économie nationale au nom d'un prétendu intérêt général qui ne sert qu’à camoufler l’intérêt du capital et qui se traduit toujours par la stérilisation et le dévoiement des luttes.

 


 

(1) Tract de l'UD CGT «Après le 2 octobre, haussons le ton»

(2) Bulletin de mobilisation de l'agglomération rouennaise, n°2, 20 octobre 2010

(3) Bulletin de mobilisation de l'agglomération rouennaise, n°7, 27 octobre 2010

(4) Bulletin de mobilisation de l'agglomération rouennaise, n°10, 4 novembre 2010

(5) Info luttes, 18 janvier

(6) Info luttes, 9 janvier

(7) Tract de l'intersyndicale CGT-CFDT-CGC de Petroplus

(8) Communiqué publié sur le site de l'UL Cgt de Dieppe et sur celui de l'UL Cgt d'Elbeuf

(9) Info luttes, 9 janvier

(10) « La CGT de Seine-Maritime lance une motion de soutien », www.cgt.fr, 13 janvier

(11) Ibidem

(12) Tract NPA 76 « Avec ou sans Petroplus, la raffinerie doit vivre avec tous ses emplois»

(13) Tract NPA 76 , Ibidem.

(14) Bulletin NPA Renault-Cléon, 5 janvier 2012

(15) Tract NPA 76 « Avec ou sans Petroplus, la raffinerie doit vivre avec tous ses emplois »

(16) « Les candidats chez Petroplus » TEAN 12 janvier 2012

(17) «Comment contraindre le pouvoir et les patrons à garantir les 550 emplois des salariés de la raffinerie Petroplus?», Informations Ouvrières, 12-18 janvier 2012

(18) Ibidem.

(19) Déclaration de Nathalie Arthaud reproduite dans Lutte Ouvrière du 20 janvier 2012

(20) Lutte Ouvrière du 13 janvier 2012 Editorial «Les licenciements en chaîne et les moyens de les empêcher».

(21) «Avec les travailleurs de Petroplus», Lutte Ouvrière du 20 janvier 2012

 

 

Parti Communiste International

21 janvier 2012

www.pcint.org

 

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