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Les élections en République Démocratique du Congo n‘élimineront pas la domination bourgeoise et impérialiste

 

 

Le crime du Congo 2.0

 

A la fin du XIXe siècle, Arthur Conan Doyle, le créateur de Sherlock Holmes, dénonçait dans un ouvrage intitulé «Le crime du Congo» l'exploitation sauvage du Congo-Kinshasa par le roi des Belges Léopold II (le pays était la propriété personnelle du roi) et toute la barbarie coloniale qui l'accompagnait: en quelques décennies, la colonisation du pays a fait près de dix millions de morts soit la moitié de la population.

Aujourd'hui, l'impérialisme soumet ce même pays à une barbarie toute aussi sanglante. Les impérialistes ont abandonné le pillage du caoutchouc et de l'ivoire au profit du pillage des métaux rares pour alimenter l'industrie des nouvelles technologies.

La République Démocratique du Congo appellation officielle de l'ancien Zaïre (à l'époque de la dictature de Mobutu) ou du Congo-Kinshasa (du nom de sa capitale) est le pays le plus vaste du continent africain; sa population vit dans la misère (les deux tiers de ses 85 millions d'habitants sont officiellement sous le seuil de pauvreté) et souffre périodiquement de famine. Mais elle  dispose pourtant de très nombreuses ressources naturelles: bois précieux, café, les gigantesques capacités énergétiques du fleuve Congo, ivoire, caoutchouc, diamant, or, uranium, gaz et pétrole, bauxite, plomb, fer, manganèse, tungstène, zinc, nickel, argent, cuivre, cobalt…

Certains de ces minerais sont indispensables aux industries de haute technologie. Le coltan par exemple, très résistant à la corrosion, permet la fabrication de condensateurs qui stockent l’énergie et résistent à la chaleur. On en retrouve dans les smartphones, les GPS, les satellites, les télévisions plasma, les consoles de jeux vidéo, les ordinateurs portables... mais aussi dans l'aérospatiale et l'armement (par exemple les missiles). Le cobalt entre (avec le lithium) dans la fabrication des batteries des téléphones de dernière génération, des voitures électriques…

Les multinationales des pays impérialistes sont à l'origine de l'exploitation de ces richesses. Le cobalt est par exemple aux mains du géant suisse Glencore et d'entreprises chinoises. 80 % du minerais brut est ensuite exporté vers la Chine où il est raffiné. Les multinationales utilisent massivement ces matières premières: Alcatel, Ericsson, Bayer, Bolloré, Intel, Hewlett Packard, Philips, Acer, Dell, Apple, Microsoft, Motorola, Nokia, Panasonic, IBM, Sony, Samsung, Toshiba, Lenovo, Canon, Nikon, Nintendo mais aussi les entreprises d'armement.

Le Code minier adopté il y a plus de quinze ans sous la dictée du FMI par le président Kabila, favorisait largement les vautours impérialistes: le taux de redevance n'est que de 2 % contre 6 % en Zambie ou 14 % au Chili. L'entreprise d’État congolaise qui exploite le cuivre (dont la production a doublé en dix ans) et le cobalt n'a, par exemple, bénéficié que de 3,4 % des richesses créées par cette exploitation.

Le pillage des minerais du Congo s'accompagne d'une sauvage exploitation des prolétaires dans ce que certains journalistes ont qualifié de «mines de la mort». Les mines illégales sont aux mains de seigneurs de la guerre. Ils pratiquent le travail forcé des adultes et des enfants, ils massacrent et violent (depuis 20 ans, plus de 500 000 femmes et filles violées) pour chasser et terroriser les populations. 20 % de la production est réalisée à la main par 110 000 à 150 000 mineurs «creuseurs» qui travaillent avec des outils rudimentaires et sans protection. Plus de 40 000 enfants de trois à dix-sept ans sont exploités dans les mines du Sud du pays. Ils travaillent jour et nuit, sont tués par des éboulements, par des maladies liées à de l'eau non potable, par des épidémies (choléra, diarrhée)…

Dans les mines gérées par les multinationales, l'exploitation est aussi féroce: des prolétaires des mines de cobalt de Glencore à Kolwezi interviewés par la fédération syndicale internationale IndustriALL estiment que leurs conditions de travail ne sont «rien de moins que de l'esclavage».

La santé des familles prolétaires est également mise en danger. Les mineurs doivent rapporter leurs vêtements de travail à la maison et exposent ainsi leur famille aux poussières toxiques de minerais. Les populations subissent aussi la pollution de l'eau qu'ils consomment à cause du déversement de substances toxiques.

De plus, le minerai nourrit la situation de guerre qui perdure depuis plus de vingt ans et qui voit s'affronter des groupes armés et les pays voisins. Ce très long conflit (1) aurait fait plusieurs millions de morts; dans la dernière période les troubles au Kivu (province de l'Est, riche en minerais et frontalière du Rwanda) auraient entraîné l'exode de plusieurs millions d'habitants.    

A la prédation des ressources naturelles par les pays impérialistes et les Etats voisins, s'ajoute le «colonialisme vert».

Des ONG écologistes – qui ressemblent davantage à des multinationales qu'à des associations – ont œuvré pour la création de nombreux parcs nationaux, en particulier la suisse WWF (World Wildlife Fund, Fonds mondial pour la nature) et l’américaine WCS (Wildlife Conservation Society, société pour la conservation de la vie sauvage). Elles ont obtenu la gestion directe des espaces protégés qu'elles sous-traitent à des milices «anti-braconnage» qui sont en lien avec les entreprises forestières et autorisent des touristes occidentaux à pratiquer la chasse au gros gibier. Les tribus autochtones sont chassées des aires protégées et sont victimes de nombreuses exactions: violences physiques, torture, enlèvements, menaces, humiliations, destruction des campements…

 

Hier ravagé par le colonialisme, lA R. D. Congo est aujourd'hui ravagéE par l'impérialisme et les bourgeois locaux et régionaux

 

Lors de sa naissance, le capitalisme occidental avait fait fortune avec la déportation et l'esclavage de millions de paysans noirs. Aujourd'hui, l'impérialisme exploite les prolétaires d'Afrique pour contrecarrer sa maladie chronique de la chute tendancielle du taux de profit. Mais les bourgeois de la région ne sont pas en reste.

Il est connu depuis longtemps que le Rwanda est engagé dans la contrebande du coltan congolais par l'intermédiaire de diverses milices. De plus, en juin 2018 le groupe d'experts de l'ONU a présenté au Conseil de Sécurité un rapport selon lequel «une grande partie de l'or vendu par l'Ouganda et le Rwanda est extrait de façon illicite dans des pays limitrophes» (le Congo, non nommé pour des raisons diplomatiques). La Tanzanie, le Burundi et l'Angola sont eux aussi impliqués à des titres divers dans le pillage des ressources du Congo, tandis que l'Afrique du Sud, l'Etat le plus puissant de la région, qui a aussi des intérêts miniers importants dans le pays, serait cependant davantage intéressée par l'électricité qui pourrait être produite dans le pays grâce à un gigantesque barrage sur le fleuve Congo.

Mais cela ne doit pas faire oublier que les grandes sociétés impérialistes sont toujours là, tenant les secteurs miniers les plus importants entre leurs mains. Depuis plusieurs années le gouvernement congolais a commencé à mettre en chantier un nouveau code minier, après que le précédent se soit traduit par un boom notamment de la production de cobalt qui a plus que doublé pendant ces années (passant de 450 000 à un million de tonnes). Ce Code a été finalement promulgué en juin 2018; Il s'agit officiellement de faire revenir dans les caisses de l'Etat une fraction plus importante des revenus de cette production. Albert Yuma, président de la Gécamines (l'entreprise historique de la production minière au Katanga, privatisée en 2010) et aussi de la Fédération des Entreprises Congolaises (FEC) et qui fait partie du clan présidentiel (2), a dénoncé les activités de «délinquants» des sociétés minières internationales, pour justifier le nouveau code qui doit faire passer les taxes sur leurs revenus de 2 à 3,5% mais à 10% pour le cobalt, en temps que minerai «stratégique».

Ces grandes sociétés minières qui à elles seules produisent 85% du cuivre, du cobalt et de l'or congolais (3) ont multiplié les pressions sur le gouvernement pour qu'il retire ou amende son projet. Mais il semble qu'elles se soient finalement résignées à un changement qui ne fera qu'entamer légèrement leurs profits (4), la pratique traditionnelle du gouvernement Kabila de passer des accords secrets avec les compagnies contre de fructueux dessous de table, continuera  de plus belle selon toutes les probabilités.

 

 La mascarade électorale  et ses enjeux

 

Après le renversement du régime de Mobutu par les troupes de Laurent-Désiré Kabila en 1997 appuyées militairement par le Rwanda et, après son assassinat en 2001, pendant les deux mandats présidentiels de son fils Joseph, le Congo Kinshasa a connu une forte croissance économique grâce aux investissements miniers et à la hausse des prix des matières premières.

Si cette croissance a profité aux multinationales, elle a aussi fortement enrichi le clan Kabila: depuis 2003 (celui-ci et ses proches auraient empoché des centaines de millions de dollars), alors qu'elle n'a pas profité aux prolétaires et aux larges masses du pays. On comprend donc le refus de Joseph Kabila d'abandonner la présidence à l'issue de son second mandat, comme le stipule la constitution: abandonner les manettes de l'Etat risquerait de mettre en péril la fortune du clan qui dépend en grande partie de cette position.

Ce refus a suscité des manifestations, durement réprimées, de l'opposition et de l'Eglise catholique; mais ce sont probablement les pressions des parrains impérialistes (avec l'imposition de sanctions américaines et européennes contre certaines personnalités du régime) et aussi des Etats voisins comme l'Afrique du Sud et l'Angola qui ont finalement poussé Kabila à accepter la tenue d'élections.

Il faut souligner à ce propos que la France de Macron a été un des rares pays à conserver intacts ses liens avec le régime – pour soutenir les intérêts français, notamment les aspirations de Total à obtenir des concessions pétrolières – et à s'opposer, avec l'Espagne de Rajoy (qui a aussi des intérêts à défendre), à une condamnation par l'Union Européenne de la répression des manifestations de l'opposition.

Le régime a donc préparé les futures élections de façon à ce que son candidat l'emporte: en faisant voter une loi électorale imposant de fait la dépense de centaines de milliers de dollars pour financer une campagne électorale, en disqualifiant les candidats les plus populaires, en installant un système sophistiqué de machines à voter électroniques favorisant la fraude, etc.

Le marxisme dénonce les élections en général comme étant un mirage pour les prolétaires parce que ceux-ci ne peuvent se libérer du capitalisme que contre les institutions et l'Etat bourgeois et non par leur intermédiaire et dans leur cadre.

 Dans le cas du Congo il s'agit bien sûr également pour la classe dominante d'utiliser les illusions démocratiques comme dérivatif au mécontentement des masses précarisées encore davantage par la hausse des prix des produits de première nécessité, les bas salaires et les retards de paiement des salaires (qui ont été à l'origine de la grève d'une semaine des enseignants début novembre) (5). Mais nous sommes aussi en présence de l'organisation d'une véritable mascarade destinée à assurer le maintien aux affaires d'un clan bourgeois aux dépens d'autres clans bourgeois!

Cependant il semble que cette organisation laissait à désirer car l'élection qui devait se tenir le 23 décembre a été reportée in extremis d'une semaine à la suite de l'incendie inexpliqué de l'entrepôt des machines à voter à Kinshasa. Une partie de l'opposition a appelé à une grève générale de protestation (qui semble ne pas avoir été très suivie).

Dans les pays pauvres la classe dominante divisée en clans rivaux qui luttent entre eux pour s'approprier une part du gâteau d'autant plus férocement que celui-ci est réduit, n'a pas les moyens d'en redistribuer des miettes suffisantes pour crédibiliser le fonctionnement de la démocratie; celle-ci apparaît crûment pour ce qu'elle est réellement: un camouflage de la dictature bourgeoise.

 

*         *         *

 

Le capitalisme est né, a grandi et survit par le fer et le feu. C'est également ainsi qu'il périra, pas grâce à des élections, fussent-elles les plus démocratiques qui soient. La destruction du système capitaliste vampirique, qui n'a déjà que trop tardé, sera l'œuvre du combat conjugué et de l'alliance insurrectionnelle des prolétaires des métropoles impérialistes et des pays dominés contre le capitalisme mondial, contre le front des impérialistes, des bourgeoisies africaines et de leurs agents social-chauvins.

En Afrique comme partout, les prolétaires, les travailleurs et les masses pauvres ne peuvent et ne pourront compter que sur leur lutte et leur organisation propres pour résister au capitalisme qui les exploite et les affame. Toutes les formules sur l'indépendance nationale, la lutte contre le néo-libéralisme ou la démocratisation sont non seulement des fumisteries mais des obstacles sur cette voie.

Là-bas comme ici, les prolétaires ont le même ennemi et la même lutte anticapitaliste à mener. Les bourgeois en sont pleinement conscients, les prolétaires le deviendront.

 


 

(1) Voir à ce sujet: «Affrontements bourgeois et appétits impérialistes au Zaïre», Le Prolétaire n°438 (oct.-nov.-déc. 1996).

(2) Yuma est aussi un des gérants de la fortune de la famille Kabila.

(3) Elles sont au nombre de 7: Glencore (Anglo-Suisse), Randgold (Grande Bretagne), Anglo-Gold Ashanti (Afrique du Sud), Ivanohe Mines (Canada), China Molybdenium et Zijin Mining Group (Chine) et MMG (Australie). En signe d'opposition au projet gouvernemental elles avaient quitté la FEC dont elles étaient les membres les plus importants et elles refusaient de négocier avec le gouvernement.

(4) Glencore a par exemple accepté de verser des millions de dollars à l'Etat Congolais et de renoncer à 5,6 milliards de dollars que, selon elle, lui devaient la Gécamines.

(5) Les revendications portaient notamment sur le paiement d'arriérés de salaire datant depuis plus d'un an à 248 000 enseignants.

 

 

Parti Communiste International

31 décembre 2018

www.pcint.org

 

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