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Prises de position - Prese di posizione - Toma de posición - Statements                


 

Aluminerie de Bécancour (ABI, Québec)

Après 18 mois de lock-out, tirer les leçons d'une défaite

 

 

Le 11 janvier 2018, à trois heures du matin, 300 nervis embauchés par le patron mettaient à la porte les travailleurs du quart de nuit dans l’aluminerie ABI, près de Trois-Rivières, entreprise qui appartient à Rio Tinto Alcan et à Alcoa, deux multinationales de l’aluminium. Les travailleurs n’eurent même pas le temps de prendre leur douche alors qu’ils avaient été au contact de produits toxiques pendant leur travail.

Cette mesure inaugurait un lock-out de plus d’un millier de travailleurs d’ABI pendant 18 mois ! Pendant cette période la production sera maintenue en partie par les cadres et des briseurs de grève spécialement recrutés.

Un an et demi plus tard, le 2 juillet 2019, lors d'une assemblée générale, les 800 travailleurs présents ont voté à une majorité de 79,8 % pour ratifier la dernière offre contractuelle du cartel Alcoa/Rio Tinto. Cela a mis fin officiellement au lock-out et au chantage à la fermeture si l’accord était refusé.

L’accord conclu est moins négatif que les propositions précédentes mais il remet en cause nombre d’acquis. En passant, le lock-out a permis de diminuer les effectifs de façon sensible : 130 des 1030 travailleurs sont partis à la retraite et n’ont pas été remplacés.

 

LE FRONT UNI PATRONAT-GOUVERNEMENT CONTRE LES PROLETAIRES

 

Le crime des lock-outés ? Etre membres du syndicat des métallos (affilié à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, FTQ) et de refuser une nouvelle convention collective qui réduit les retraites, prévoit de diminuer les effectifs et liquide une série d’avantages.

Le cartel Alcoa/Rio Tinto a reçu le soutien ouvert du gouvernement québécois dirigé par le CAQ (1) et de l’entreprise Hydro-Québec, son fournisseur d’électricité. Ce dernier a accepté qu’ABI ne paie pas l’électricité produite pour lui pendant la grève car son lock-out serait un « cas de force majeure ».

La « justice » bourgeoise a aussi traîné devant les tribunaux les syndicalistes au nom de la « liberté du travail ».

Très clairement, et sans surprise, les capitalistes et leur État ont lancé une offensive coordonnée pour liquider les acquis des prolétaires de l’aluminerie.

 

Quand le slogan des travailleurs doit être

«Union pour la lutte», le tee-shirt syndical arbore

«Unis nous négocions». Tout est dit!

LA POLITIQUE BANQUEROUTIERE DU COLLABORATIONNISME SYNDICAL

 

Au niveau national, les directions syndicales se sont contentées d’appels à la solidarité sans chercher à étendre la grève aux autres usines des multinationales au Canada ou en dehors. Le contexte était pourtant favorable car les travailleurs d’ABI avaient reçu des soutiens importants venant de nombreux autres secteurs du pays.

Le syndicat de l’entreprise a aussi gaspillé les énergies prolétariennes dans des appels à toutes les forces politiques bourgeoises – du Parti Québécois à Québec Solidaire en passant par la CAQ) mais aussi à l’entreprise capitaliste Hydro-Québec. Il est même allé jusqu’à déposer une plainte devant l’Organisation Internationale du Travail (OIT) car le gouvernement n’aurait pas été impartial dans le conflit !

Dans le même temps, le syndicat des Métallos a rejoint les campagnes protectionnistes, ce qui a pu faire écrire aux journalistes bourgeois que « la direction et le syndicat partagent au moins le même point de vue au sujet des fameuses taxes sur l’aluminium envisagées par Donald Tromp ». Et le représentant du syndicat cité dans l’article appelait « le gouvernement canadien [a] absolument prendre les mesures qui s’imposent pour protéger l’économie et les emplois au Canada » (2). Cette union du syndicat avec les patrons et l’Etat n’apportait rien aux travailleurs, mais elle prenait en outre complètement à contre-pied la solidarité internationale qui s’est exprimée pour les lock-outés de la part des syndicats des Etats-Unis, du Mexique…

Le déroulement de ce conflit montre une fois de plus, non pas la simple « passivité » du collaborationnisme mais le rôle d'amortisseur et de tampon que jouent les directions syndicales, en tentant d'éteindre tout foyer de luttes, en multipliant les appels au soutien symbolique pour faire diversion et en empêchant l’extension réelle. De pareils spécialistes de la lutte contre l'incendie social, comment peut-on espérer les « pousser à lutter » comme le radotent les groupes d’ « extrême » gauche ? 

 

ALTERNATIVE SOCIALISTE ET LA RIPOSTE SOCIALISTE, CHANTRES DE L’ETATISATION

 

Ces groupes trotskystes n’ont d’autres perspectives à offrir que la prise de contrôle par l’État bourgeois canadien de l’entreprise. RS défend l’idée que « la nationalisation sous contrôle démocratique [qu’est-ce que cela veut dire ?] est la seule façon de protéger nos emplois et d’assurer de bonnes conditions de travail » (3) et AS que « seule la nationalisation des entreprises clés de l’économie, comme l’usine d’ABI, sous contrôle des travailleurs et travailleuse permettra aux communautés d’en finir avec les mauvaises conditions de travail et la pollution » (4).

L’État bourgeois est, pour ces « socialistes », un acteur neutre qui pourrait défendre les prolétaires si ceux qui le dirigent faisaient preuve de bonne volonté ou s’ils étaient soumis à une pression des travailleurs. Dangereuse illusion qui ne sert qu’à désarmer les prolétaires face à un Etat qui est et sera toujours leur ennemi !

Pour AS, cela s’accompagne par un soutien ouvert à toutes les forces collaborationnistes qui doivent, au niveau syndical, organiser « une journée nationale d’actions de tous les syndicats FTQ » et, au niveau politique, une proposition de loi pour la nationalisation (par les élus de Québec Solidaire)

 

LTC ET PCC (ML), AVOCATS DE LA BONZERIE

 

Dans un style très différent, les spartacistes de la Ligue Trotskyste du Canada (LTC) et les anciens pro-albanais du Parti Communiste du Canada (marxiste-léniniste) se sont faits les défenseurs de la bonzerie syndicale.

Pour le PCC (ml) il s’agit d’un soutien total et ouvert au collaborationnisme ; Il affirme en effet que « les méthodes de la section locale des travailleurs d'ABI dans sa lutte contre la compagnie ont permis d'atteindre des résultats que les travailleurs recherchaient» (5). Les travailleurs ont donc subi 18 mois de lock-out parce qu’ils voulaient voir leurs conditions de travail détériorées et leur retraite réduite !

Ce soutien s’accompagne naturellement de la croyance en la possibilité d’une aide de l’État bourgeois: « Le gouvernement aurait pu intervenir à tout moment pour établir un équilibre dans les relations entre les travailleurs syndiqués et le cartel mondial, un équilibre qui respecte les droits des travailleurs et le bien-être et les droits de tous au Québec » (Ibid.) Rien de réellement étonnant quand on lit que le parti « marxistes-léninistes » décide de « mettre de l'avant son programme pour le renouveau démocratique. Il appelle à la modernisation de la Constitution suivant le principe que les droits nous appartiennent du fait que nous sommes des êtres humains » (6). Difficile d’imaginer un plus grand crétinisme réformiste ! Mais derrière ce crétinisme il y a un alignement complet su les valeurs bourgeoises

De son côté, la LTC monte aussi au créneau pour défendre le collaborationnisme. Elle rappelle justement que des « méthodes de lutte — grèves solides et massives, occupations, etc. » et « la compréhension élémentaire que les travailleurs ont des intérêts diamétralement opposés à ceux des patrons capitalistes et de leurs gouvernements » sont indispensables. Elle dénonce la stratégie de faillite du syndicat des Métallos et de la FTQ qui «enchaînent les travailleurs à la bourgeoisie et ses partis» et les illusions dans l’Etat bourgeois (7).

Mais, dans le même temps, elle dénonce dans un article un de ses concurrents (le Socialist Equality Party qui publie le site wsws.org) qui demande un « comité de la base indépendant de l’appareil syndical ». Pour la LTC, ce n’est « rien de moins que du poison antisyndical, appelant les travailleurs à abandonner leur syndicat » et le « WSWS fait ainsi cause commune avec les patrons dans leur croisade contre les Métallos » (8). Assimiler l’organisation indépendante des prolétaires à une alliance avec le patronat, c’est digne des vieilles calomnies staliniennes contre tous les courants qui se trouvaient à leur gauche, qu’ils soient révolutionnaires ou centristes !

La stratégie des spartacistes est la «construction» d’une «direction lutte de classe» dans les syndicats. Mais si les chefs syndicaux trahissent les intérêts des travailleurs, ce n’est pas un problème individuel de quelques chefs qu’il faudrait remplacer; les chefs trahissent parce que les appareils syndicaux sont indissolublement liés aux structures du maintien de  la paix sociale. Il est impossible que ces appareils, modelés par des décennies de collaboration avec les capitalistes, virent de bord, rompent les liens qui les attachent étroitement à la bourgeoisie pour arriver à une politique anti-bourgeoises et  admette une direction de lutte de classe.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas militer dans les syndicats ; mais qu’il n’est possible de militer qu’à la base, au contact des travailleurs du rang, et non dans l’appareil ; et en sachant que l’affrontement avec cet appareil est inéluctable pour défendre des positions de classe. Donner comme perspective celle de changer la direction, ce n’est pas seulement orienter les prolétaires dans une impasse, c’est objectivement soutenir les appareils syndicaux vendus à la bourgeoisie.

 

LE PCR, CHAMPION DU « SOCIALISME SEULEMENT DANS LES USINES »

 

Le Parti Communiste Révolutionnaire, qui se réclame du maoïsme et appelle dans ses déclarations à « l’offensive révolutionnaire » et au « pouvoir ouvrier », n’a pas défendu une perspective prolétarienne.

S’il dénonce le rôle de l’État canadien et des directions syndicales, le PCR avance une perspective profondément anti-prolétarienne en dépit des apparences : « pour espérer gagner durablement, c’est-à-dire ne pas revenir en arrière, les ouvriers et les ouvrières doivent maintenant lutter pour prendre le contrôle de la production, donc exproprier les capitalistes, et ne pas se contenter de le faire dans une usine, mais se saisir de la totalité de la production à l’échelle du pays et, en se coordonnant par la suite, produire selon les besoins réels de la société et non plus pour enrichir une minorité » (9). Comment serait-il possible de prendre le contrôle des usines sans prendre le pouvoir d’État ? Comment serait-il possible d’exproprier les patrons et de ne plus produire pour enrichir les capitalistes sans instaurer la dictature du prolétariat?

C’est la vieille rêverie autogestionnaire qui, sous des phrases révolutionnaires creuses, n’est rien d’autre qu’un gradualisme réformiste faisant croire à la possibilité d’une prise de pouvoir à la base sans renverser l’Etat bourgeois par la révolution.

Cette phraséologie pseudo-révolutionnaire va de pair avec une politique syndicale interclassiste. Le syndicat local doit, selon les maoïstes, « chercher à organiser un front ouvrier local autour de lui, composé de tout ceux et celles qui sont en mesure de soutenir la lutte et participer à des actions jusqu’à ce que les capitalistes présentent des offres acceptables » et « interpeller les centrales syndicales afin que ces dernières développent une bataille populaire pour le droit au travail, pour des conditions décentes de travail et pour le maintien des emplois » (10). On se souvient des critiques de Marx contre les chefs syndicaux qui avançaient le mot d’ordre «conservateur»: « un salaire équitable pour un travail équitable » au lieu du mot d’ordre «révolutionnaire» d’abolition du salariat… 

 

EN DEHORS DU TERRAIN DE CLASSE, AUCUNE VICTOIRE N’EST POSSIBLE

 

Face à des attaques anti-ouvrières aussi puissantes, seule la lutte déterminée avec des armes de classe (grève sans limitation de durée, arrêt de la production, occupation et piquets de grève sans souci des intérêts de l’entreprise ou de la nation, extension de la lutte aux autres entreprises …) permettra aux travailleurs de se défendre efficacement.

L'organisation autonome des travailleurs sur des bases de classe indépendamment du collaborationnisme syndical est la condition nécessaire pour opposer à l'union des forces bourgeoises et de l'opportunisme, le front ouvrier le plus compact et le plus large possible.

Malgré l’échec du combat des lock-outés, et la démoralisation qui peut s'en suivre, cet épisode peut cependant constituer un pas important vers la reprise de la lutte de classe, si des minorités de travailleurs en tirent la leçon qu'il faut travailler à la constitution d'organismes prolétariens indépendants qui réalisent ainsi, malgré et contre l'opportunisme politique et syndical, l'union grandissante des travailleurs qui est selon Marx le véritable résultat positif des luttes ouvrières, parce qu'elle jette les bases du futur assaut révolutionnaire prolétarien.

La préparation du combat sur une base de classe suppose pour les prolétaires d’avant-garde un travail tenace de propagande et de lutte politique visant à dénoncer la logique du capital comme étant incapable de rien d'autre que de frapper les conditions de vie et de travail de l’ensemble des travailleurs. Elle suppose également et conjointement un travail d'intervention pour préparer une mobilisation à la base pour rendre coup pour coup, face aux offensives de l’État et des patrons et pour favoriser, dans les syndicats comme hors des syndicats, une coordination active des mouvements de riposte en dehors du contrôle des bonzeries syndicales et contre leurs orientations de trahison.

Il y faudra le temps qu’il faudra, mais dans c’est cette voie que le prolétariat doit s’engager pour arriver à une défense de classe efficace. Ce sera le premier pas indispensable pour que les prolétaires puissent acquérir les forces suffisantes pour passer ensuite à l’attaque révolutionnaire contre le capitalisme.

 

 Pour la défense intransigeante des seuls intérêts ouvriers !

Pour le retour à la lutte ouverte, aux méthodes de classe et à la solidarité prolétarienne !

Pour l’organisation prolétarienne indépendante de classe!

Pour la reconstitution de l’organe suprême de lutte du prolétariat, le parti de classe révolutionnaire, internationaliste et international !

 


                       

(1) La Coalition Avenir Québec (CAQ) est un parti nationaliste de droite (mais qui a renoncé à la revendication indépendantiste) caractérisé entre autres par une politique anti-immigrés. Son dirigeant est François Legault.

(2) Le Nouvelliste, 6 /3/2019

(3) « Les leçons du lock-out à l’ABI », 11/7/2019

(4) « Solidarité avec les lock-outé·e·s d’ABI : Pour une journée nationale d’actions syndicales! », 4 juin 2019

(5) « Les travailleurs d'ABI rentrent au travail la tête haute », Forum Ouvrier, 18 juillet 2019.

(6) Le Marxiste-Léniniste, 29 juin 2019.

(7) « Un an de lockout à ABI », République Ouvrière, printemps-été 2019

(8) « Méfiez-vous des pseudo-socialistes antisyndicaux du World Socialist Web Site », Ibidem. Il y a 2 ans les Spartacistes ont déclaré que, depuis des décennies ( !), ils avaient eu une ligne politique social-chauvine sous l’influence de leur bourgeoisie impérialiste américaine. A la suite, disent-ils, de l’intervention de leurs camarades québécois, ils ont reconnu leur « erreur » et ils se sont maintenant… adaptés aux nationalismes québécois et autres. Aucun espoir qu’ils trouvent l’orientation marxiste…

(9) « Lock-out chez ABI : Legault avec les capitalistes », 16 juin 2019

(10) « Appuyons les travailleurs et travailleuses d’ABI », 26 mars 2019

 

(mise à jour le 01.09.2019)

 

 

Parti Communiste International

24 août 2019

www.pcint.org

 

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