Trente ans après

Le coup d’Etat au Chili: une terrible expérience à ne pas oublier

(«le prolétaire»; N° 468;  Août-Septembre 2003)

Retour sommaires

 

 

Il y a trente ans, en septembre 1973, le sanglant coup d’Etat du général Pinochet renversait le gouvernement d’Unité Populaire d’Allende et déchaînait une féroce répression contre les prolétaires et les militants ouvriers: la prétendue «voie chilienne au socialisme», vantée alors par les réformistes de tous les pays, se révélait être, comme nous l’avions écrit alors, la voie unique de la contre-révolution, la voie qui mène au massacre de la classe ouvrière. Aujourd’hui où la crise économique persistante en Amérique Latine (la CEPAL, commission économique de l’ONU pour l’Amérique Latine, parle de «6 années perdues» pour la croissance économique dans la région) est grosse de difficultés politiques pour la bourgeoisie, on voit réapparaître sur le devant de la scène la carotte et le bâton de l’ordre bourgeois, c’est-à-dire les deux méthodes utilisées alternativement par la bourgeoisie contre les prolétaires: les illusions démocratiques, réformistes et populistes et les menaces répressives et putschistes. Comme il y a trente ans l’histoire commence à placer à nouveau concrètement le prolétariat devant l’alternative d’être le jouet du réformisme jusqu’au coup de massue final ou de se placer sur le terrain de la lutte de classe: c’est-à-dire de rompre avec l’interclassisme, avec l’union populaire ou nationale avec les classes bourgeoises et petites-bourgeoises, de constituer son parti révolutionnaire de classe, internationaliste et international, afin d’engager la lutte ouverte contre le système capitaliste non pour le réformer, le nationaliser ou le démocratiser, mais pour le détruire.

Pour que les victimes de 1973 - victimes non seulement des golpistes chiliens et de leurs parrains impérialistes, mais aussi des illusionnistes réformistes - ne soient pas tombées en vain, pour que la tragédie d’hier ne se répète pas demain, il est indispensable de rappeler les enseignements cruciaux de cette terrible expérience.

 

Le 5 septembre 1970, Allende arrivait en tête de l’élection présidentielle avec 36,3% des voix contre 34,98 % au candidat de la droite réactionnaire (Parti National) et 27,84% au candidat du parti bourgeois traditionnel, la Démocratie Chrétienne. Dans son discours au soir du 5 septembre, après cette victoire électorale, Allende disait, au milieu des phrases lyriques et démagogiques sur le «gouvernement révolutionnaire»:

«Nous avons triomphé pour en finir définitivement avec l’exploitation impérialiste, pour en finir avec les monopoles, pour faire une réforme agraire sérieuse et profonde, pour contrôler le commerce d’importation et d’exportation, pour nationaliser, enfin, le crédit, choses qui rendront possible le progrès du Chili en créant le capital social qui poussera en avant notre développement». Et, plus loin:

«Quand un peuple a été capable de cela [surmonter la puissance de l’argent et les campagnes calomnieuses], il sera capable aussi de comprendre que ce n’est qu’en travaillant plus et en produisant plus que nous pourrons faire que le Chili progresse (...).

Jamais comme aujourd’hui l’hymne national n’a eu pour vous et pour moi une si grande signification. Nous le disons dans notre discours: nous sommes les héritiers légitimes des pères de la patrie, et ensemble nous ferons la deuxième indépendance: l’indépendance économique du Chili».

Un tel discours de nature réformiste et nationaliste, où ne manquaient pas ni la mise en garde contre les «provocations», ni l’appel à éviter tout esprit de «vengeance» était bien de nature à rassurer la bourgeoisie, s’il en était besoin, sur les intentions réelles de l’Unité Populaire. Comme aucun candidat n’avait eu la majorité absolue, c’était en effet au parlement, majoritairement conservateur, de confirmer comme c’était l’usage, ou de refuser, l’accession d’Allende à la présidence. Alors que le Parti National et l’extrême droite lançaient une furieuse campagne contre la confirmation et pour la tenue de nouvelles élections (le général Schneider, chef d’état-major de l’armée, qui avait déclaré qu’un gouvernement Allende était le seul capable de prévenir une insurrection populaire, était assassiné par un groupe d’extrême droite), la Démocratie Chrétienne décidait de voter pour Allende, après la signature d’un accord où les partis de l’U.P. s’engageaient à respecter les institutions étatiques, la police et tout particulièrement l’autonomie des Forces Armées (l’Armée n’est-elle pas l’instrument suprême de la bourgeoisie?). Le représentant de la prétendue voie chilienne au socialisme accédait donc à la présidence grâce au principal parti bourgeois!

Le programme de l’U.P. - constituée du Parti Socialiste, du Parti Communiste et d’un petit parti du centre - n’était en réalité rien d’autre qu’une version du programme démocrate-chrétien, assaisonnée d’une couche épaisse de démagogie «socialiste»; il correspondait aux besoins de développement du capitalisme autochtone: liquidation du secteur latifundiaire retardataire et peu productif qui était un véritable boulet pour l’économie nationale (25 % de la population active était employée dans l’agriculture), en reprenant et approfondissant la réforme agraire mise en œuvre sous la présidence démocrate chrétienne précédente; allégement de la tutelle de l’impérialisme par la nationalisation des industries extractives qui étaient entre les mains des grandes multinationales ainsi que des «monopoles» étrangers qui étranglaient les entreprises chiliennes; accroissement du rôle de l’Etat dans l’économie, notamment par la nationalisation du crédit, afin de diriger une part plus importante des ressources vers le développement du capitalisme national. Rien de «socialiste» là-dedans, ni rien de «révolutionnaire»!

Le caractère radical des fameuses nationalisations réalisées par le gouvernement de l’U.P. doit en particulier être relativisé, non seulement parce qu’il ne s’est jamais agi d’exproprier les intérêts impérialistes, mais de racheter leurs entreprises - et au prix fort: la nationalisation de l’industrie minière du cuivre, la plus importante richesse chilienne, a ainsi été un désastre pour les finances du pays, les cours mondiaux de ce métal s’étant effondrés: au lieu que l’Etat tire des ressources supplémentaires de la nationalisation, il lui a fallu consacrer une part importante de ses revenus à payer les anciens propriétaires impérialistes! En outre déjà dans la période précédente 40 % de l’industrie chilienne faisait partie du secteur d’Etat: la faiblesse de la bourgeoisie locale imposait un rôle proéminent à l’Etat dans l’accumulation capitaliste et pour le développement de l’économie nationale.

Faire passer le développement du capitalisme d’Etat pour du socialisme a toujours été une des mystifications les plus dangereuses du réformisme, que dès le début les marxistes ont combattu: ils ont affirmé que plus l’Etat fait passer des forces productives dans sa propriété, plus il exploite des prolétaires et plus il devient un capitaliste collectif (cf Engels «L’Anti-Dühring»). C’est-à-dire que la voie au socialisme ne peut commencer que par la destruction de l’Etat bourgeois et l’instauration de la dictature du prolétariat. La voie réformiste qui défend l’Etat et les institutions bourgeoises et appelle les travailleurs à se mobiliser en défense de l’économie nationale, est par conséquent une voie capitaliste, antiprolétarienne.

 

*    *    *

 

La démagogie «socialiste» de l’U.P. était nécessaire pour les réformistes dans une situation où depuis quelques années on assistait à une aggravation de l’agitation sociale. La fin du mandat du président démocrate chrétien Frei avait été marquée par la crise économique, les grèves (qui passèrent de 1939 en 1969 à 5295 en 1970) ainsi que par un mouvement de paysans sans terres qui menaçait les grands propriétaires; pendant la campagne électorale se déroula le premier mouvement national paysan de l’histoire du pays, ainsi qu’une grève générale. Cette démagogie sur la voie au socialisme et au «pouvoir populaire» avait pour objectif de faire adhérer les prolétaires à cette voie intégralement capitaliste, de les faire travailler plus, comme l’avait annoncé clairement Allende dans son discours. Les secteurs dirigeants de la bourgeoisie ne s’y trompaient pas: lorsqu’Allende annonça la nationalisation des mines de cuivre, le grand quotidien réactionnaire «El Mercurio» soutint cette mesure en disant qu’elle était inévitable; lorsqu’un accord fut passé en décembre 70 entre le gouvernement et la centrale syndicale C.U.T. dans laquelle le syndicat s’engageait à faire augmenter la production en contrepartie de leur participation à l’élaboration de la politique économique gouvernementale (mesure dite «socialiste»), «El Mercurio» se félicita que c’était le moyen de faire diminuer les grèves. A propos de la réforme agraire enfin, le même organe des cercles bourgeois les plus influents écrivait en janvier 71 qu’il y avait une réforme officielle, correcte, et une autre, celle des «faits accomplis» sous la pression «des paysans et des communistes». Le gouvernement comprit cette protestation et réprima les occupations de terres par les indiens Mapuche: «Occuper la terre, c’est violer un droit», affirma Allende: on croirait entendre le ministre de la réforme agraire (trotskyste!) de l’actuel gouvernement Lula condamnant les occupations sauvages de terre par les paysans sans-terres...

Le problème est que la dynamique des affrontements entre les classes ne peut respecter les limites que voudraient lui donner les réformistes. La peur des grands propriétaires devant une généralisation du mouvement spontané d’occupation des terres par les paysans se traduisait au plan politique par l’agitation anti-gouvernementale de l’extrême droite, tandis que la reprise des grèves après la dissipation de l’euphorie initiale allait nourrir la méfiance de la bourgeoisie envers un gouvernement qui se montrait de plus en plus impuissant à calmer les tensions sociales. Les difficultés économiques (qui étaient en partie dues à cette méfiance croissante de la bourgeoisie) se manifestaient par une hausse de l’inflation: 140 % en 1972, plus de 300 % en 1973, et la pénurie des biens de consommation, dont souffraient surtout les masses prolétariennes. Les tentatives du gouvernement de modernisation capitaliste du pays allaient lui aliéner en outre de plus en plus de secteurs de la petite-bourgeoisie, déjà traditionnellement réactionnaires. C’est ainsi que le projet de créer une compagnie nationale des transports qui aurait signifié leur arrêt de mort, entraîna en octobre 72 la révolte des artisans camionneurs (dont un des porte-paroles était aussi le dirigeant du groupe d’extrême-droite «Patrie et liberté»), à laquelle se rallièrent une foule de couches petites-bourgeoises (avocats, médecins, commerçants, etc. se mirent eux aussi en grève), et qui mit le gouvernement à genoux. Un lock-out patronal se généralisa dans beaucoup de secteurs. A ce tableau il ne faut pas oublier d’ajouter l’action de l’impérialisme américain qui ne voyait pas d’un oeil favorable les tentatives d’indépendance économique du gouvernement chilien, ni ses propos anti-américains ou ses gestes en direction de Cuba.

Face au mécontentement de certains secteurs bourgeois, l’U.P. avait déjà décrété la «pause» de son programme; face à la révolte de la petite-bourgeoisie, à l’agitation de l’extrême droite et alors que les prolétaires avaient en de nombreux endroits répondu au lock-out patronal par des occupations d’entreprises et la constitution de diverses organisations et coordinations regroupant travailleurs et population d’un même secteur - les «cordons» -, elle fit entrer en novembre 72 les militaires dans son gouvernement, aux côtés des bonzes syndicaux de la C.U.T. Il s’agissait de donner aux prolétaires l’impression d’être représentés au gouvernement (les ouvriers de cimenteries d’Etat en grève avaient quelque temps auparavant saccagé «leur» ministère) tout en montrant à la bourgeoisie que l’U.P. était soucieuse de l’ordre établi et qu’elle n’hésiterait pas à s’opposer aux «extrémistes». C’est à cette époque que fut passée une loi sur la détention d’armes qui ne sera jamais utilisée que contre l’extrême gauche, dans les semaines précédant le coup d’Etat de septembre 73, en préparation à celui-ci.

A ce moment-là nous écrivions: «Tant qu’Allende, les “socialistes” et le P.C. seront capables de contenir les revendications du prolétariat et de la paysannerie pauvre tout en “développant la nation” sur leur dos, la bourgeoisie, qui a le nez fin, les tolérera. Mais si l’action anticapitaliste du prolétariat venait à l’emporter sur la phraséologie de gauche du gouvernement, alors la réaction entrerait en action armée jusqu’aux dents» (cf «Il PC» n°22/1972, «Le Prolétaire» n°138, 13-26/11/72).

 

*    *    *

 

Pendant tout le début de 1973 la tension sociale ne cessa de s’accroître; des dizaines d’entreprises restaient occupées par les travailleurs, tandis que l’U.P. était surtout préoccupée par les élections municipales. Le P.C. faisait campagne sur le thème: «Non à la guerre civile». Ce message ne s’adressait pas bien sûr à la bourgeoisie qui n’allait pas demander des conseils au P.C., mais au prolétariat: pour éviter de provoquer la guerre civile, il fallait que les prolétaires modèrent leurs revendications («il fallait freiner l’occupation des entreprises, donner des garanties à l’entrepreneur privé et contenir toute mobilisation populaire strictement à l’intérieur des cadres légaux» déclara quelques années plus tard un dirigeant du PC cf «El Chile de Luis Corvalán»). La grande grève pendant 2 mois des 13.000 mineurs du cuivre d’El Teniente fut condamnée par les partis de gauche au prétexte qu’il est irresponsable de revendiquer des augmentations de salaire quand l’inflation est déjà si élevée! Le gouvernement de l’U.P. se fixait comme objectif d’arriver à un compromis au parlement avec la Démocratie Chrétienne pour nationaliser une quarantaine d’entreprises occupées et rendre les autres à leurs propriétaires. De nombreuses manifestations ouvrières se déroulèrent alors contre la menace du retour des anciens propriétaires et firent avorter ce compromis.

C’est dans cette situation qu’en juin 1973, éclata le «tancazo»: une tentative de putsch d’un régiment de chars de la capitale. Cette action prématurée dont l’inspirateur était «Patrie et Liberté», ne fut pas suivie par le reste de l’armée et elle avorta rapidement. Le secrétaire général du PS, Altamirano, affirma alors dans un discours destiné à calmer les prolétaires: «Jamais l’unité de toutes les forces révolutionnaires sans exception n’a été plus vigoureuse et plus décisive que dans cette défense de la patrie menacée. Jamais ne s’est produit comme aujourd’hui une identité plus grande entre le peuple, les Forces Armées et les carabiniers, identité qui se renforcera encore davantage au cours de chaque combat de cette guerre historique. Le peuple en civil et le peuple en uniforme ne sont qu’un».

En réalité le tancazo servit de répétition générale. Alors que l’effervescence se répandait à grande échelle parmi les masses après l’échec du coup d’Etat, le gouvernement de l’U.P. ne prit aucune mesure sérieuse contre les responsables véritables du putsch et les hauts responsables militaires qui nourrissaient de la sympathie pour les putschistes. Loin de chercher à s’appuyer sur la mobilisation des prolétaires dont il avait plus peur que des putschistes, il se tourna vers l’armée en faisant rentrer son chef d’état-major, le général Prats, dans le gouvernement; il déclara l’état d’urgence, ce qui signifiait donner à l’armée les mains libres pour quadriller la capitale et les principaux secteurs du pays. Celle-ci s’employa aussitôt à multiplier les perquisitions brutales et les recherches d’armes... dans les usines, les quartiers ouvriers et dans les locaux des groupes d’extrême gauche dont les responsables étaient recherchés par la police militaire. Elle se lança dans une grande opération d’intimidation contre les zones paysannes mapuches à partir du mois d’août. Les médias d’état multipliaient les attaques contre la «subversion» tandis que le gouvernement se déclarait prêt à adopter une série de mesures demandées par la Démocratie Chrétienne pour protéger les intérêts des grands propriétaires terriens ou des patrons. Le gouvernement avait cédé en fait à la pression des secteurs bourgeois les plus durs bien que les putschistes aient été vaincus...

Mais au lieu de satisfaire la classe dominante, ces reculades ne faisaient que renforcer ceux parmi elle qui estimaient que le temps du gouvernement Allende était maintenant fini et qu’il était urgent de passer à la répression ouverte et brutale du prolétariat, en balayant au passage les réformistes; pour la bourgeoisie, l’ennemi à abattre n’était pas Allende ou son gouvernement, mais le prolétariat, les masses exploitées et opprimées, dont le mouvement menaçait les intérêts capitalistes. A Allende les putschistes de septembre 73 offrirent un sauf-conduit (qu’il refusa), aux prolétaires ils ne réservaient que les balles, les salles de torture et les prisons. La préparation méthodique du véritable coup d’Etat (avec l’aide des services américains) commença pratiquement dès le lendemain du tancazo.

 Une semaine avant le putsch, alors que des poussées vers la coordination des secteurs ouvriers les plus combatifs se dessinaient, alors que la tentative des troupes de choc de l’aviation de perquisitionner l’usine SUMAR avait échoué face, pour la première fois, à une résistance armée des ouvriers (et à la mobilisation de la population du cordon local), les cordons industriels et autres organisations prolétariennes de Santiago du Chili organisèrent une manifestation pour le troisième anniversaire de la victoire de l’U.P. A cette occasion une «lettre», rédigée sous l’influence de l’extrême gauche, fut envoyée au «camarade président Allende»; il y était dit: «Auparavant nous redoutions que la marche vers le socialisme soit en train de se transformer pour déboucher sur un gouvernement du centre réformiste, démocratique-bourgeois qui tendrait à démobiliser les masses ou à les conduire à des actions insurrectionnelles de type anarchiste par instinct de conservation. Mais maintenant notre crainte n’est pas celle-là, nous avons maintenant la certitude que non seulement on nous mène sur le chemin qui va vers le fascisme à toute allure, mais qu’on nous a enlevé tous les moyens pour nous défendre. (...) Dans ce pays il n’y aura pas une guerre civile, étant donné qu’elle est en plein développement, mais un massacre froid, planifié». Pour contrecarrer cette perspective, la lettre demandait que Allende se mette à la tête de «l’armée sans armes» que constituaient les Cordons industriels.

Il ne pouvait y avoir d’illusion plus mortelle. Lorsque un groupe de plusieurs dizaines de marins avait fait savoir quelques semaines auparavant qu’ils avaient été torturés par leurs supérieurs et qu’ils étaient accusés de subversion parce qu’ils s’étaient opposés au tancazo, Allende, ne voulant pas se heurter aux chefs de la marine, avait refusé de les soutenir en déclarant qu’il s’agissait d’«éléments d’extrême gauche travaillant main dans la main avec l’extrême droite». De son côté le chef du Parti Communiste affirmait son soutien à l’armée: «nous continuons à soutenir le caractère absolument professionnel des Forces Armées». En août, le général Prats avait démissionné de son poste de ministre de l’Intérieur et de chef de l’état-major (suivi par les autres militaires au gouvernement) après la rupture des discussions entre l’U.P. et la Démocratie Chrétienne. Pour le remplacer, Allende nomma un autre militaire, choisi pour ses «convictions démocratiques», un certain... Pinochet. Commencée avec l’accord de la bourgeoisie et en affirmant solennellement son respect de l’Armée, la «voie chilienne au socialisme» aboutissait ainsi inévitablement à remettre le sort du prolétariat et des masses entre les mains de leurs bourreaux.

 

*    *    *

 

A la gauche de l’U.P. existaient diverses organisations qui s’affirmaient révolutionnaires. La plus importante était le MIR (Mouvement de la Gauche Révolutionnaire). Groupe d’orientation guérrilleriste, critiquant l’électoralisme et le réformisme de l’U.P., le MIR avait appelé à l’abstention lors des élections présidentielles de 1970. Son soutien aux revendications et aux luttes lui permit de gagner une influence parmi les franges les plus radicales de la classe ouvrière et des paysans sans terre. Mais dénué de tout programme marxiste véritable et englué dans les préjugés populistes, il se montra incapable de s’opposer à l’U.P. et de défendre une orientation de classe. Malgré la haine que lui vouaient en raison de son soutien aux luttes les secteurs les plus à droite de l’U.P. comme le Parti Communiste, il se rapprocha de celle-ci (au point de fournir à Allende ses gardes du corps!). Ni la répression du mouvement des mapuches où il était actif, ni l’assassinat d’un de ses militants par le PC ne le décidèrent à rompre avec le gouvernement et l’U.P. qu’il espérait toujours et en dépit de tout pousser à gauche. Son «soutien critique» à l’U.P. l’amena inévitablement à s’opposer aux luttes ouvrières quand elles entraient trop en opposition avec la politique des réformistes: c’est ainsi que le MIR condamna lui aussi à la grande grève des mineurs d’El Teniente (accusée de faire le jeu de l’opposition au gouvernement); c’est ainsi qu’il condamna la constitution dans les semaines précédant le putsch des «coordinations de cordons» par les courants prolétariens les plus radicaux au nom de l’unité de la C.U.T. et pour préserver les possibilités d’union avec le PC. Alors que dans les derniers temps le gouvernement laissait l’armée s’attaquer à lui, le MIR espérait toujours convaincre l’U.P. de déclencher la lutte contre la réaction. Le jour même du coup d’Etat le MIR participa à une réunion avec le PS et le PC pour organiser la résistance armée. Le PC refusa d’organiser quoi que ce soit en disant qu’il attendrait d’abord de savoir si les putschistes allaient fermer le Parlement. Le PS arriva avec 2 heures de retard (c’était l’heure du déjeuner!) et les discussions s’éternisaient quand l’armée encercla le lieu de la réunion, obligeant les participants à s’enfuir (cf MIR, «Courrier de la résistance» n° spécial, mai 75).

 Congénitalement incapable de rompre avec le réformisme, le révolutionnarisme petit-bourgeois - le centrisme - ne peut rien apprendre non plus des événements. En dépit de la fatale expérience de la politique criminelle du réformisme qu’il stigmatisait lui-même, après le coup d’Etat le MIR adhéra au front populaire du PC et du PS et il proposa même d’étendre cette alliance aux partis bourgeois démocratiques. Concrètement cette décision n’avait pas d’importance étant donné que la dictature de Pinochet avait écrasé pour des décennies tout mouvement prolétarien au Chili; mais politiquement c’était la reconnaissance par le MIR lui-même qu’il n’avait jamais été en réalité qu’une couverture de gauche du réformisme contre-révolutionnaire.

 

 *    *    *

 

La leçon des tragiques événements du Chili n’est pas originale, même si les marxistes doivent la rappeler à chaque tournant de l’histoire: pour reprendre la formule de Trotsky, dans l’affrontement inévitable qui tôt ou tard l’oppose à la classe dominante et à son Etat, la classe ouvrière ne peut espérer vaincre sans parti ou avec un succédané de parti. Si elle veut éviter d’être conduite à nouveau au massacre, il lui faut rompre complètement avec toutes les forces liées de près ou de loin à la bourgeoisie et à ses institutions; il lui faut combattre tous les faux amis, tous ceux, qu’ils se disent «ouvriers», «socialistes», «communistes», «révolutionnaires» ou autres, qui lui prêchent la réforme ou la démocratisation des institutions existantes, tous ceux qui l’appellent à l’unité interclassiste «populaire» «démocratique» ou «nationale»: tous ceux-là sont ses adversaires de classe ou les agents de ses adversaires.

La seule voie réelle au socialisme, la seule voie pour mettre fin à la misère, à l’exploitation et à la répression capitalistes, n’est pas nationale, mais internationale; c’est la voie qui commence par l’organisation indépendante de classe, par la constitution du parti de classe armé du programme communiste véritable; c’est la voie de la lutte ouverte quotidienne contre les patrons et l’Etat bourgeois qui à un certain point peut se hisser au niveau de la lutte politique révolutionnaire pour la prise du pouvoir et l’instauration de la dictature du prolétariat; c’est la voie de la lutte non plus populaire mais prolétarienne, non plus patriotique mais internationaliste, résolument et ouvertement anticapitaliste, seule capable d’entraîner derrière la classe ouvrière tous les exploités et les opprimés à l’assaut de l’Etat bourgeois.

Tout le reste n’est que tromperie répandue, consciemment ou non, au seul profit de la bourgeoisie et de ses assassins.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top