De la crise de la société bourgeoise à la révolution communiste mondiale

( Manifeste du Parti Communiste International. 1981 )

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Sommaire

 

●    INTRODUCTION

●    PREMIERE PARTIE : Retour au communisme révolutionnaire de Marx et de Lénine

            I. Le capitalisme appelle la révolution communiste

            II. La classe ouvrière possède dans son passé les armes pour vaincre

    DEUXIEME PARTIE : Objectifs, voies et moyens de la révolution communiste mondiale

            I. Position du parti devant les grandes tendances politiques de l’impérialisme

            II. Les tâches de la révolution communiste mondiale

            III. Orientations internationales d’action du parti

    CONCLUSION

●    ANNEXES

                1. Les principes du communisme révolutionnaire

                2. Bibliographie du mouvement communiste

 

*       *       *

 

PREMIERE PARTIE : Retour au communisme révolutionnaire de Marx et de Lénine

 

Il. La classe ouvrière possède dans son passé les armes pour vaincre

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1. Le marxisme est la théorie du parti de classe

 

La classe ouvrière n’a pas besoin d’inventer une nouvelle théorie pour s’émanciper du joug du capitalisme. Sa théorie, c’est le marxisme révolutionnaire. En dépit des efforts constants déployés par des armées d’idéologues à sa botte, la bourgeoisie n’est pas parvenue à le démolir, parce que l’évolution du cours de l’impérialisme le confirme en tous points.

« Sans théorie révolutionnaire, il n’est pas d’action révolutionnaire », affirmait Lénine. Pendant la phase de gestation du mouvement ouvrier, qui se termine en 1848, les théoriciens communistes avaient bien anticipé la société future, mais ils la voyaient encore comme un simple résultat de la marche triomphale des idées. De leur côté, les ouvriers restaient encore organisés dans le sillage idéologique des franges extrêmes de la bourgeoisie et repoussaient les idées communistes.

Pour surmonter l’opposition qui existait entre la théorie communiste et la lutte politique, il fallait que les conditions matérielles de l’émancipation prolétarienne aient suffisamment mûri, que l’antagonisme entre la classe ouvrière et la bourgeoisie soit développé jusqu’à un certain point.

La classe ouvrière s’est donné l’instrument de ce dépassement en utilisant les connaissances théoriques les plus avancées dans les domaines de la philosophie, de la politique et de l’économie. Avec la conception matérialiste de l’histoire, découverte par Marx et que le Manifeste de 1848 expose de façon synthétique, le communisme apparaît désormais comme la conséquence du capitalisme et le mouvement de lutte du prolétariat comme l’artisan de son avènement.

Avec le marxisme, le prolétariat est parvenu à se donner sa propre théorie faite d’un bloc, qui fonde son programme, éclaire son mouvement dans toutes les phases de son développement et affermit les principes de son combat. A partir de ce moment-là sa lutte contre la bourgeoisie est menée en tant que mouvement de classe totalement indépendant, en tant que parti distinct : alors commence l’histoire du parti communiste.

Le parti communiste est l’organe indispensable de la lutte révolutionnaire du prolétariat. Regroupant en son sein la fraction la plus avancée et la plus résolue du prolétariat, il unifie les efforts des masses laborieuses, en les dirigeant de la lutte quotidienne pour des intérêts partiels et des résultats contingents vers la lutte générale pour l’émancipation révolutionnaire du prolétariat. Il a pour tâche de diffuser la théorie révolutionnaire dans les masses, d’organiser les moyens matériels d’action, de diriger la classe laborieuse dans le développement de la lutte en assurant la continuité historique et l’unité internationale du mouvement.

Les conditions historiques ont fait naître le mouvement prolétarien en Europe, mais ce mouvement embrasse désormais le monde entier. Elles ont fait naître le marxisme en Europe, mais il se présente d’emblée comme théorie internationale du prolétariat. Elles ont fait naître le parti communiste en Europe, mais le but de son combat est dès le début la dictature internationale du prolétariat et la transformation communiste de la société, concevable seulement à l’échelle de la planète entière, parce que le capitalisme lui-même n’a pu naître en Europe que par la mise en coupe réglée de tous les continents.

L’expérience de lutte de toutes les générations de prolétaires, de tous les contingents nationaux du prolétariat, enrichit le patrimoine historique et international du parti communiste qui doit servir à féconder les luttes à venir et contribuer ainsi à la victoire définitive sur la société bourgeoise.

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2. La Ligue des Communistes

 

La Ligue des Communistes, dont le célèbre Manifeste du parti communiste de février 1848, écrit par Marx et Engels, constituait le programme, fut une magnifique et généreuse anticipation du parti international.

On était alors à la veille du formidable bouleversement révolutionnaire que le capitalisme provoquait en Europe : les classes bourgeoises disputaient encore le pouvoir aux monarchies féodales, mais le prolétariat montrait déjà, notamment avec l’insurrection parisienne de juin 1848, que le combat entre le communisme prolétarien et la démocratie bourgeoise était inéluctable.

La Ligue, plus particulièrement implantée en Allemagne, participa avec ardeur à la révolution antiféodale dans l’espoir de rendre selon les termes de Marx « la révolution permanente » jusqu’à ce que la classe ouvrière ait concentré entre ses mains le pouvoir dans les principaux pays. Elle tira des luttes des classes en 1848-51 cet enseignement : le prolétariat ne peut utiliser telle quelle la machine de l’État pour son propre compte et doit ériger sur ses ruines son propre État. Pour désigner le pouvoir politique révolutionnaire et terroriste de la classe ouvrière victorieuse elle laissa à la postérité le terme de « dictature du prolétariat ».

La Ligue ne résista cependant pas aux querelles provoquées par la contre-révolution, qui opposaient les partisans de la préparation révolutionnaire, Marx et Engels, et ceux de putschs révolutionnaires, aussi impuissants qu’ils pouvaient être généreux. Elle fut dissoute en 1852.

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3. L’Association Internationale des Travailleurs (Ire Internationale)

 

L’Association Internationale des Travailleurs fut proclamée à Londres en 1864. Son but était de rassembler en un creuset unique toutes les organisations de classe. Il s’agissait d’unifier, à la chaleur de la lutte commune, théorie et action. En effet, ces deux termes étaient encore séparés par l’opposition entre les sectes socialistes et le mouvement politique où prolétaires et démocrates bourgeois avaient encore un chemin commun possible, et où ces derniers prétendaient représenter les premiers et y parvenaient le plus souvent.

La Ire Internationale joua un rôle éminent pour fondre la lutte des ouvriers des différentes nationalités. Elle inscrivit dans ses Statuts que « l’émancipation n’est point un problème local ou national, mais un problème social embrassant tous les pays où le régime social moderne existe » et soutint activement par la solidarité internationale prolétarienne les divers mouvements de la classe ouvrière ainsi que les luttes nationales révolutionnaires en cours, notamment pour l’émancipation de la Pologne et de l’Irlande.

Elle œuvra efficacement à dépasser l’opposition qui existait entre la lutte économique des ouvriers et la lutte politique, pour les fondre dans une lutte générale révolutionnaire contre le capitalisme, dont les organisations économiques, si elles sont des centres de vie prolétarienne, peuvent devenir de puissants leviers.

Cependant, la collaboration du trade-unionisme anglais, du courant anarchiste et du marxisme ne put survivre à la Commune de Paris de mars 1871, qui confirmait en tous points les positions du marxisme. L’expérience de la Commune vérifia en effet la nécessité d’ériger un État prolétarien temporaire sur les ruines de 1’Etat bourgeois, et sa défaite confirma que « dans sa lutte contre le pouvoir unifié des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir en tant que classe que s’il se constitue en parti politique autonome, qui s’oppose à tous les autres partis constitués des classes possédantes » comme Marx le précise dans les Statuts de 1872. Dès lors, le parti prolétarien ne pouvait que « se fermer » sur ces positions. Toute discipline commune devenait impossible en son sein avec le trade-unionisme, qui nie la lutte politique révolutionnaire, comme avec l’anarchisme, qui nie le besoin de l’État et du parti. L’AIT cessa pratiquement toute activité en 1872.

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4. L’Internationale Ouvrière Socialiste (Ile Internationale)

 

La vie et le développement d’organisations prolétariennes ne cessa pourtant pas dans plusieurs pays. En 1889, l’Internationale Socialiste fut proclamée à Paris pour coordonner et unifier l’action des différentes sections nationales. Son activité entraîna de nouvelles nationalités dans le mouvement d’émancipation de la classe ouvrière. Elle joua un rôle déterminant dans l’organisation de la classe ouvrière sur le terrain syndical, et fit de la manifestation internationale du 1er mai, commémoration des victimes de la répression capitaliste et lutte pour la journée de 8 heures, un puissant moyen de lutte et d’éducation de la classe ouvrière. Ce vaste mouvement d’organisation de la classe servit à son tour de tremplin efficace pour le mouvement politique de la classe.

A l’époque, la bourgeoisie européenne et nord-américaine avait accompli sa phase révolutionnaire et achevait de modeler et d’adapter par le haut l’État à ses besoins exclusifs. Dans la lutte pour les réformes, l’Internationale Ouvrière combattit dans les parlements bourgeois pour arracher les ouvriers à l’influence des radicaux bourgeois et pour faire d’elles une occasion de préparation révolutionnaire contre l’État capitaliste.

C’est à la même époque que les forces productives, déjà trop à l’étroit dans les frontières des États nationaux, commençaient à pousser les bourgeoisies euro-américaines sur les traces de la bourgeoisie anglaise. Entraînant dans leur sillage la Russie et le Japon semi-féodaux, elles se lancèrent à la conquête du monde, dont le partage colonial fut achevé dès les premières années du XXe siècle. Cette situation se refléta dans le parti prolétarien par l’assaut d’une première vague opportuniste, qui prit le drapeau du révisionnisme social-démocrate. Pour ce courant, le suffrage universel, la conquête de droits et les réformes permettaient d’arracher graduellement l’État au contrôle de la bourgeoisie et de transformer pacifiquement le capitalisme en socialisme. Les marxistes radicaux menèrent alors la lutte contre le révisionnisme, défendirent la vision catastrophique et révolutionnaire du marxisme, et condamnèrent les blocs électoraux et la participation aux gouvernements bourgeois.

Cette vague opportuniste fut endiguée. Cependant les progrès du parlementarisme bourgeois et la corruption sociale permise par les miettes tombées de la table des festins impérialistes eurent pour effet d’anesthésier les chefs prolétariens et les bureaucraties ouvrières dans des proportions plus larges encore, alors même que les organisations politiques et économiques de la classe ouvrière d’Europe et d’Amérique du Nord se développaient de façon spectaculaire. Cela provoqua l’affaiblissement de leur combativité et leur inaptitude croissante à la lutte révolutionnaire. En réaction à ce cours réformiste, se développèrent des courants ouvriers antiparlementaires, syndicalistes, qui réagissaient à l’opportunisme du « marxisme officiel » par une rechute dans d’autres formes d’opportunisme de type anarchisant.

La gauche marxiste révolutionnaire mena dans plusieurs pays une bataille acharnée contre ces tendances opportunistes qui finirent néanmoins par devenir dominantes dans l’Internationale. Elle combattit la corruption coloniale, le crétinisme parlementaire et les blocs électoraux, défendit le rôle primordial du parti de classe par rapport aux autres organisations indispensables à la lutte ouvrière. Sous sa pression, l’Internationale fut malgré tout un puissant moyen d’éducation internationaliste et antimilitariste du prolétariat. Ainsi, lorsqu’avec le déclenchement de la guerre impérialiste en août 1914, les chefs opportunistes capitulèrent devant leurs bourgeoisies respectives en tombant dans le social-impérialisme et le social-patriotisme, les accents révolutionnaires de la résolution du Congrès de Bâle de 1912 résonnaient encore aux oreilles des prolétaires : elle appelait la classe ouvrière internationale à répondre aux préparatifs de guerre impérialiste en préparant sa propre révolution.

Les chefs sociaux-démocrates se mirent donc à prêcher ouvertement la défense de la patrie dans la guerre impérialiste et participèrent à l’effort de militarisation, livrant le prolétariat complètement désorienté aux mains des différents états-majors. Les marxistes révolutionnaires et internationalistes, comme les Bolcheviks en Russie, les Spartakistes en Allemagne et la Gauche marxiste en Italie poursuivirent pourtant pendant la guerre impérialiste le combat intransigeant pour le défaitisme révolutionnaire et la révolution prolétarienne.

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5. L’Internationale Communiste (Ille Internationale)

 

Les souffrances inouïes entraînées par la guerre impérialiste provoquèrent vite des réactions prolétariennes qui trouvèrent dans la Russie tsariste, où la paysannerie était également en mouvement contre les puissants restes féodaux, une brèche pour s’emparer du pouvoir politique.

La révolution d’Octobre a entièrement démontré la justesse du combat mené par la Gauche marxiste révolutionnaire contre la social-démocratie réformiste, social-impérialiste et social-patriote. Elle a pleinement sanctionné le caractère nécessaire des solutions révolutionnaires aux crises du capitalisme et tout à fait justifié la perspective du défaitisme révolutionnaire, c’est-à-dire celle de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile révolutionnaire.

Ce n’est pas tout. La victoire d’Octobre est venue prouver expérimentalement ce que la Commune de Paris n’avait pu encore que confirmer par la négative, à savoir que l’insurrection et la dictature exigent la direction sans partage du parti politique centralisé de classe, et que cette conquête du rôle dirigeant du parti n’est possible que par une longue préparation effectuée à travers les péripéties extrêmement riches d’une lutte théorique et pratique sans merci.

Cette confirmation historique intégrale des principes politiques du marxisme au feu de la lutte révolutionnaire a définitivement déblayé le terrain historique pour la formation du parti prolétarien et communiste sur le programme intégral du marxisme révolutionnaire.

C’est sur cette base de granit établie par les deux premiers Congrès de mars 1919 et de juillet 1920 tenus à Moscou, que naquit la IIIe Internationale, l’Internationale Communiste, bien que convergeaient vers elle des courants révolutionnaires non marxistes mais mus par un antiréformisme sincère et une haine authentique du social-patriotisme, comme les groupes conseillistes de type allemand ou hollandais, ainsi que les courants syndicalistes anglo-saxons ou latins.

L’enthousiasme du prolétariat pour l’Octobre rouge était tel que même des fractions centristes, aux chefs opportunistes avérés, furent vite attirées par l’Internationale pour ne pas avoir à s’opposer aux masses, et cherchèrent à l’amener de l’intérieur à leurs propres conceptions défaitistes et collaboratrices. La majorité centriste du P.C. français est une illustration significative de ce phénomène.

A la différence de la IIe Internationale, qui restait en fait un mouvement du prolétariat blanc, l’Internationale Communiste chercha à organiser de façon indépendante les ouvriers de l’Orient et des colonies, de manière à unifier dans une seule et unique stratégie communiste mondiale la lutte des prolétaires des pays avancés et des masses encore essentiellement paysannes des pays dominés contre l’impérialisme et pour la « République universelle des Conseils ouvriers et paysans ».

Le Congrès des Peuples de l’Orient à Bakou en 1920 fut un temps fort de cette exaltante tentative.

Les bolcheviks surent utiliser une méthode impeccablement marxiste et révolutionnaire pour poser des grandes questions de tactique et d’organisation, comme ce fut le cas en particulier au IIIe Congrès de l’IC à Moscou en 1921. Ils restaurèrent aussi avec maîtrise le cadre de la tactique du communisme révolutionnaire dans les thèses sur la question nationale et coloniale, sur la question agraire, sur la question syndicale, adoptées par le IIe Congrès de Moscou de 1920. Ils n’étaient cependant pas en mesure de donner toutes les solutions tactiques efficaces pour les pays de vieille démocratie, dont ils avaient évidemment une expérience insuffisante, et où, en l’absence de contribution positive des partis communistes occidentaux, hormis celle du courant de la Gauche du P.C. d’Italie qui avait bien peu de poids historique, ils furent tentés de généraliser les expériences et les méthodes utilisées avec juste raison dans la Russie semi-féodale et de les appliquer aux pays de capitalisme déjà sénile. Cela se révéla particulièrement grave après le IVe Congrès de l’IC, alors que la Russie se trouvait dans une situation d’isolement tout à fait tragique.

Avec le reflux de la vague révolutionnaire en Europe, les courants centristes occidentaux utilisèrent ces insuffisances et ces flous tactiques et organisatifs pour chercher à attirer l’Internationale dans leur sens et elle fut soumise à des forces centrifuges grandissantes. La direction de l’Internationale chercha à résister à ces tendances par des improvisations tactiques de plus en plus dangereuses. Un exemple en est donné par le front unique prolétarien. Conçue pour arracher la classe ouvrière à l’influence des sociaux-démocrates à partir des luttes suscitées par la défense des prolétaires contre l’offensive capitaliste, cette tactique fut étendue dès 1922 au plan gouvernemental et, qui plus est, prônée sur le terrain parlementaire et non insurrectionnel.

Cela justifiait donc pleinement les réserves de la Gauche du PC d’Italie qui, pourtant pleinement d’accord avec le cadre général de cette tactique, avait cependant pris soin de demander que des limites strictes soient mises à son application pour éviter toute interprétation dommageable.

On se mit à passer d’une méthode à l’autre et à abandonner des méthodes reconnues erronées, sans critique suffisamment approfondie, mais en invoquant seulement des changements de situation. Ce fut notamment le cas au Ve Congrès, après la catastrophe d’Octobre 1923 en Allemagne, où le front unique politique avec les centristes poussé jusqu’au gouvernement « ouvrier » de Saxe-Thuringe, avait laissé aux social-démocrates l’initiative de toute lutte prolétarienne, et même de l’insurrection ; le PC d’Allemagne dut la décommander au dernier moment, provoquant une irrémédiable démoralisation de la classe ouvrière. On introduisait ainsi l’idée que les principes pouvaient varier avec les situations.

La direction de l’Internationale crut pouvoir se livrer à des manœuvres en direction de courants dont on s’était déjà séparé, comme les indépendants de gauche en Allemagne ou les terzinternationalistes en Italie. Au moment où le reflux de la vague révolutionnaire exigeait une sélection plus sévère et une épuration des partis, elle crut élargir leur influence en ouvrant leurs rangs. Elle paralysait ainsi l’action des partis concernés et effaçait progressivement les limites avec les centristes, avant même d’institutionnaliser au Ve Congrès les prétendus « partis sympathisants » (le Guomindang en sera un !), ou de pousser le flirt avec les démagogues « paysans » comme Raditch en Croatie ou La Follette aux Etats-Unis.

Cette succession d’improvisations de plus en plus douteuses devait s’accompagner tout à fait naturellement de la « terreur idéologique » et de pressions bureaucratiques, qui s’exercèrent sur les secteurs récalcitrants ou égarés et vinrent aggraver les manifestations inquiétantes d’un nouveau danger opportuniste.

Les erreurs de la direction de l’Internationale Communiste affaiblirent considérablement le parti prolétarien devant la pression convergente des courants centristes à fond démocratique et social-chauvin d’Occident et des forces sociales qui, en Russie, cherchaient à détourner l’État prolétarien de la révolution mondiale, se faisaient les champions du développement national des forces capitalistes en mouvement et voulaient donc limiter la révolution à l’horizon bourgeois-capitaliste qu’elle n’avait pu dépasser en économie.

Ces forces trouvèrent un drapeau dans le stalinisme, et la théorie du « socialisme dans un seul pays » avait déjà remporté la victoire lorsque le formidable mouvement révolutionnaire des ouvriers de Shanghai et de Canton et des paysans chinois du Hunan fut livré sans défense par l’Internationale aux massacres du Guomindang en 1926-27, et quand la magnifique grève des mineurs anglais de 1926 fut carrément offerte au sabotage des chefs réformistes des trade-unions.

Dès lors, l’Internationale stalinisée devint un instrument de l’État capitaliste russe. Et, tout comme lui, elle fut utilisée pour combattre et exterminer les diverses oppositions nationales et internationales à cette politique contre-révolutionnaire. Ses restes en putréfaction furent eux-mêmes liquidés formellement lorsqu’en 1943 Staline échangea la dissolution de l’Internationale contre les avions de Roosevelt, sur le marché des dupes des luttes démocratiques et patriotiques où l’on fit mourir par dizaines de millions les prolétaires pour la défense des capitalismes démocratiques, c’est-à-dire pour les pays impérialistes les plus puissants, les plus installés et les plus coriaces.

La nouvelle vague opportuniste, qui avait assuré son triomphe en 1926 et mené à une destruction durable de tout mouvement prolétarien, a réuni les pires caractéristiques des précédentes.

Le stalinisme a pris appui sur l’habitude néfaste de l’Internationale, qui consistait à découvrir tous les six mois de nouvelles situations pour justifier des oscillations tactiques de plus en plus amples, présenter la tactique prolétarienne comme la succession de tournants brusques dans les principes eux-mêmes et comme le résultat d’un machiavélisme génial de chefs inspirés et servilement adulés, et pour délier totalement la tactique des principes et du programme.

Il a pris appui sur les manœuvres envers les autres courants et les pressions bureaucratiques, et combiné largement l’ouverture du parti et le plébiscite démocratique ainsi que la catéchisation forcée, les mortifications publiques, la corruption, le terrorisme disciplinaire et la liquidation physique pour éliminer les vieilles gardes révolutionnaires et imposer sa politique bourgeoise-capitaliste, tout en se présentant formellement comme le continuateur et l’héritier de l’Internationale de Lénine.

Il justifia tous les fronts populaires et nationaux, c’est-à-dire la subordination du parti prolétarien à des partis bourgeois, non seulement dans les pays où la bourgeoisie jouait un rôle historiquement progressif, ce qui était déjà grave, mais encore dans les pays où le capitalisme régnait en maître depuis des décennies et où le fascisme fut présenté ni plus ni moins comme une variété de réaction féodale.

Il n’hésita pas à se vautrer dans la collaboration ouverte avec les États capitalistes dans la guerre impérialiste, subordonnant le mouvement prolétarien des démocraties occidentales et des semi-colonies latino-américaines, ainsi que le mouvement d’émancipation coloniale dirigé contre les impérialismes français et anglais en Asie et en Afrique, aux intérêts de l’alliance entre les impérialismes démocratiques et le pseudo-socialisme russe contre les impérialismes de l’Axe.

Il tomba donc aussi bas que l’avait fait la vague opportuniste de la social-démocratie en 1914, mais il le fit en continuant à utiliser la phraséologie révolutionnaire, le langage de la violence et de la dictature utiles au bouleversement capitaliste qui présentait encore un caractère révolutionnaire en Russie et en Orient, accaparant ainsi le patrimoine de sympathie pour la révolution d’Octobre d’un prolétariat de plus en plus désorienté.

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6. La lutte contre la dégénérescence de l’Internationale et contre le stalinisme

 

Les manœuvres tactiques et organisatives des dirigeants de l’Internationale communiste ont sans aucun doute accentué les réactions de type syndicaliste, conseilliste et plus généralement antiparti dans les couches combatives du prolétariat, qui s’étaient déjà manifestées contre l’opportunisme social-démocrate et le centrisme. Cependant, des courants qui luttèrent contre la dégénérescence de l’Internationale, deux seulement le firent sur un terrain marxiste.

L’Opposition de Gauche russe, dont Trotsky, restait prisonnière des erreurs tactiques et organisatives de l’Internationale, dont ses dirigeants avaient partagé la responsabilité. Malgré des positions héroïques, comme dans la lutte menée contre le « socialisme dans un seul pays » ou dans la question chinoise, ils ne surent pas maintenir une attitude parfaitement orthodoxe et finirent même par faire des entailles sérieuses dans les principes sur lesquels s’était fondée l’Internationale.

Le trotskysme dégénéré, qui se revendique de cette opposition par le canal d’une soi-disant IVe Internationale constituée sans référence de principe suffisamment ferme et ne retient de Trotsky que la théorisation de ses erreurs et de son manœuvrisme, est devenu un opportunisme débridé. Il a liquidé toutes les bases de programme et de principe de l’Internationale de Lénine et du marxisme, et ses divers rameaux oscillent entre le suivisme et l’alignement sur l’État impérialiste russe, les divers partis social-impérialistes nationaux ou les divers mouvements démocratiques petits-bourgeois en vogue.

Le deuxième courant qui lutta sur un terrain authentiquement marxiste fut la Gauche du parti communiste d’Italie. Elle convergeait totalement avec les bolcheviks sur les bases théoriques, programmatiques et de principe de l’Internationale, ainsi que sur l’encadrement donné aux questions de tactique, d’organisation, et sur le besoin de la centralisation internationale la plus forte.

Elle intervint au IIe Congrès de Moscou pour faire adopter la 21e condition d’admission à l’Internationale, qui rendait donc les bases d’adhésion plus sévères. Elle polémiqua avec Lénine sur la tactique du parlementarisme révolutionnaire, dont elle n’était pas partisane dans les pays de vieille démocratie non pour des raisons de principe, mais en vue de la préparation du prolétariat et du parti à la révolution et, dans l’immédiat, pour permettre en Europe une meilleure sélection des partis communistes en formation.

Au IIIe Congrès, ses critiques portèrent sur la formule équivoque de « conquête de la majorité » donnée à l’indispensable conquête d’une influence sur les masses, et quelques mois plus tard sur les applications à donner à la tactique du front unique prolétarien dont elle partageait entièrement les considérants, mais qu’il fallait selon elle limiter au cadre des organisations de lutte de défense immédiate, en excluant tout bloc de partis politiques dans l’attaque à l’État capitaliste.

La position de la Gauche n’était pas dictée par des raisons morales ou infantiles, comme celles des courants de type conseilliste, qui se trouvaient en dehors du marxisme, mais par le souci d’une meilleure sélection des forces du parti et d’une meilleure préparation du parti et des masses à la révolution.

Elle pensait, tout comme les bolcheviks, que dans les forteresses capitalistes de l’Occident impérialiste, constituées depuis longtemps, déjà trempées dans la lutte contre le prolétariat aussi bien par la répression féroce et sanglante que par la corruption démocratique et l’adhésion des puissantes bureaucraties ouvrières à leur botte, la conquête du pouvoir présenterait bien plus d’obstacles que dans la Russie tsariste. Mais elle tirait de cette constatation l’exigence de normes tactiques et d’organisation bien plus rigides encore que celles qu’avaient utilisées les bolcheviks. Sans doute ne partageait-elle pas non plus l’enthousiasme de ces derniers, qui croyaient plus aisé de se débarrasser des courants centristes dans l’incandescence d’une vague révolutionnaire, qu’ils voyaient d’ailleurs plus puissante qu’elle ne se révéla finalement en Europe occidentale.

La Gauche estimait enfin que seul l’établissement d’une gamme d’éventualités tactiques, unitaire et unique à l’échelle internationale, pouvait donner au « parti communiste international » vers lequel voulaient aller les bolcheviks les bases d’une centralisation stable, complète et réellement organique. C’était à ses yeux la condition pour assurer au corps entier du parti mondial une cohésion totale dans l’action, sans avoir à passer par le mécanisme démocratique et l’imposition de règles tactiques par la contrainte qui s’avère nécessaire pour les secteurs non homogènes, et permettre réellement d’en finir avec toute autonomie nationale et locale dans le choix de la tactique.

Le cours ultérieur devait tragiquement confirmer les appréhensions de la Gauche communiste. Écartée de la direction du PC d’Italie dès 1923, elle combattit de façon disciplinée et sur la base des principes constitutifs de l’Internationale les erreurs successives qui la menaient à la catastrophe. Son influence était encore large dans le parti italien en 1926, où elle put encore présenter à Lyon des thèses résumant sa conception. La dernière manifestation dans l’Internationale eut lieu au VIe Plenum de l’Exécutif élargi de 1926, où son représentant, Amadeo Bordiga, fut le seul à prendre la défense de l’Opposition russe et à dénoncer devant un parterre de bureaucrates vendus le cours mortel qui emportait l’Internationale de Lénine.

La Gauche fut dispersée par le fascisme et les coups du stalinisme, mais s’efforça de maintenir, notamment dans l’émigration, une activité fondée sur les principes et les méthodes qui firent la force de l’Internationale et tenant compte de sa propre contribution à la lutte contre la dégénérescence du mouvement communiste mondial.

Une tentative fut faite en 1943 de reconstituer le parti en Italie, mais ses bases étaient encore trop confuses pour que cet effort généreux porte immédiatement ses fruits, et une scission dut s’opérer à la fin de 1951 pour clarifier totalement les bases constitutives du parti de la future vague révolutionnaire.

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7. Le Parti Communiste International

 

Si les souvenirs révolutionnaires généreux du premier après-guerre avaient pu nourrir l’illusion que le second après-guerre serait une répétition du premier, la terrible réalité s’imposa vite. Ce n’était pas seulement le parti qui était détruit, mais tout mouvement de classe organisé, toute vie de classe. Fort de cette victoire éclatante et de cette revanche gigantesque sur la vague révolutionnaire des années 1917-23, le capitalisme avait imposé sa solution provisoire, le repartage impérialiste du monde, l’occupation contre-révolutionnaire des pays vaincus contre tout risque d’explosion prolétarienne, laissant prévoir une longue période de dictature implacable du capital.

Seule une nouvelle crise mondiale venant après un nouveau cycle d’accumulation forcenée de capital pouvait créer dans la dictature mondiale des grands monstres impérialistes des brèches suffisantes pour permettre au mouvement prolétarien de reprendre son élan, sous le coup de fouet de conditions de vie détériorées par une nouvelle période d’instabilité capitaliste.

Il fallait également que le mythe contre-révolutionnaire du « socialisme russe » s’effrite pour que les avant-gardes portées à la lutte générale contre le capitalisme soient poussées à rechercher la tradition du communisme révolutionnaire véritable.

C’est donc dans des conditions extrêmement difficiles, en l’absence d’une poussée révolutionnaire des masses comme celle qui avait accompagné la restauration de la théorie marxiste par Lénine puis la reconstitution de l’Internationale en 1919-20, et avec pour horizon une longue période de dépression prolétarienne, que durent être tirées les leçons de la contre-révolution et reconstruites les fondations théoriques et programmatiques du parti de la future vague révolutionnaire.

Les Thèses caractéristiques, qui datent de la fin de 1951, fixent les axes de la restauration intégrale du marxisme, reprennent les bases doctrinales établies les années précédentes, revendiquent les thèses de programme et de principe de l’IC, la contribution de la Gauche communiste d’Italie à l’IC de 1920 à 1926, ainsi que le bilan dynamique des vingt-cinq années suivantes. C’est avec ce bagage que le parti, réduit à une petite poignée de militants, put prendre l’orientation ferme et homogène sur laquelle il poursuit depuis une activité régulière et continue, en revendiquant l’ensemble de ses tâches, quel que soit le succès immédiat qu’il puisse en attendre.

On peut dire que jusqu’à la fin des années 60, l’essentiel de l’activité a été la reconstitution patiente des grandes lignes de la théorie marxiste dans tous les domaines à travers des organes de presse en Italie et en France, l’interprétation historique des événements, notamment celle des mouvements révolutionnaires secouant les continents dominés, la défense de la perspective du cours catastrophique de l’impérialisme et de toutes les armes théoriques, politiques, tactiques et organisatives faisant partie du patrimoine communiste.

Le parti ne dut pas seulement démolir les prétentions hypocrites des successeurs de Staline de revenir au marxisme après 1956 et l’abandon de la phraséologie violente du stalinisme. Il dut également combattre les réactions antimarxistes à cette évolution, qu’il s’agisse des prétentions de courants cherchant à enrichir le marxisme par l’injection de vieilles lubies anarchistes, autonomistes et anticentralistes, ou par l’apport du sang neuf des écoles du romantisme petit bourgeois, portées par la vague révolutionnaire anti-impérialiste comme le guévarisme, et surtout contre l’opportunisme maoïste, ce mélange de stalinisme rénové et de démocratisme petit-bourgeois classique. Il dut également défendre les armes du communisme contre les héritiers ultra-dégénérés du trotskysme et toutes les variétés du spontanéisme contestataire, que les premiers signes d’essoufflement du cycle d’expansion de l’après-guerre ont suscité dans les démocraties occidentales.

Dans les années 70, la situation a permis de rendre moins épisodique et moins irrégulière la participation du parti aux luttes ouvrières, d’étendre son réseau international et sa presse en diverses langues. Cette activité s’est accompagnée de la lutte théorique non seulement contre tous les courants mentionnés plus haut, mais aussi contre de nouveaux. Par exemple le spontanéisme anti-parti, né en réaction à la capitulation du gauchisme soixante-huitard, ou le terrorisme individualiste qui répond en Europe au retard de la reprise générale de classe par une exaspération « excitative » de l’impatience de couches moyennes et, de plus en plus, ouvrières. Ou bien les courants qui accompagnent les efforts de lutte indépendante des prolétaires des pays de jeune capitalisme, mais conservent encore des parties du vieux programme démocratique et national avec lequel ont été menées les luttes anti-impérialistes du second après-guerre.

 

 

Parti Communiste International

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